Conjoncture
De tous les métiers de la communication, l’événementiel est de loin le plus impacté par la crise sanitaire et ses interdits. Privées de visibilité, les agences vont une fois encore devoir faire preuve de résilience et d’inventivité pour résister suffisamment jusqu’à la reprise qui se fait de plus en plus attendre.

Après avoir encaissé deux guerres du Golfe, une révolution digitale, des crises financières et économiques, le Sras et plusieurs vagues d’attentats… on imaginait la filière événementielle capable de tout encaisser. Jusqu’à ce qu’un petit nouveau n’entre sur le terrain, frappant vite et fort là où personne ne l’attendait : la rencontre physique. Celle-là même qui restait jusqu’à présent l’atout majeur et exclusif de l’événement face à tous les autres médias. Une rencontre considérée comme vitale pour l’être humain dès lors qu’il vit en société. Mais en interdisant les rassemblements et en posant la distanciation sociale comme nouvelle règle de vie en communauté, la filière s’est retrouvée à l’arrêt complet en quelques jours, dès le 26 février avec l’annulation du dernier week-end du Carnaval de Nice, soit trois semaines avant le confinement général du pays.

Première à devoir s’arrêter et dernière à pouvoir reprendre, la profession, qui espérait un début de relance pour le mois de septembre avec des pertes figées à 15 milliards d’euros, a vu ses espoirs définitivement douchés par les dernières annonces du du gouvernement. Ajouté à l’interdiction d’organiser des événements durant six mois, la fixation d’une jauge pour les événements à moins de 5000, voire à 1 000 personnes, et le classement de 69 départements en zones d’alerte laissant aux préfets d’en interdire la tenue du jour au lendemain, l’année 2020 est définitivement perdue. Dans un courrier adressé à Jean Castex le 23 septembre, la filière confirme une baisse de 80 % du chiffre d’affaires équivalent à 30 milliards d’euros vs 2019 et estime à 50 % la diminution pour 2021. De fait, plus personne n’ose miser sur une relance au premier semestre 2021 : « Tant que le virus sera là et tant qu’il n’y aura pas de vaccin ou de traitement, il n’y aura pas de vraie reprise, estime Lionel Malard, consultant auprès des acteurs de la filière. Les levées d’interdictions ne changeront rien à l’affaire : aucun donneur d’ordre ne prendra le risque de devenir un nouveau cluster du virus ! »

Création d’un Référentiel sanitaire

Passé ce constat dramatique dont les effets les plus désastreux ont pour l’instant relativement épargné les agences, contrairement aux freelances et aux prestataires dont la situation est critique, la crise et le confinement ont eu quelques effets bénéfiques. « Dans les discours du président de la République, dans ceux des ministres et dans les médias, on n’aura jamais autant parlé d’événementiel que depuis le début de la crise, rappelle Stéphane Abitbol, président du groupe S’Cape. Une marque de reconnaissance qui traduit la très forte mobilisation des acteurs de la filière qui, dès les premiers signes de la crise, ont activé leurs réseaux pour faire entendre leurs voix dans les ministères. » Au-delà du lobbying auprès des pouvoirs publics, les agences ont mis en place une stratégie d’influence assez complète. Dès le mois de mars, la filière a lancé sa campagne « 335 000 emplois contaminés » sur les réseaux sociaux. Elle a contribué à l’élaboration d’un Référentiel sanitaire de l’événement en collaboration avec six autres instances représentatives de la filière (Unimev, Coésio, Créaliance, France Congrès et Événements, Synpase, Traiteurs de France). Validé par les pouvoirs publics en juin, le document d’une cinquantaine de pages présente une liste de mesures et de pratiques à respecter en matière de pilotage, d’accueil, de restauration, d’hygiène, etc. pour garantir la bonne tenue d’un événement sous la nouvelle contrainte sanitaire. À deux reprises, la filière a été proactive, réagissant aux annonces du gouvernement par des propositions de mesures sociales, économiques et fiscales.

Rester dans l’action

Pour rester dans les agendas médiatique et politique, Lévénement s’est aussi rapproché de B-Smart, la nouvelle chaîne d’information économique avec laquelle elle a lancé Be (A) Live, une émission mensuelle d’actualité sectorielle de 26 minutes programmée jusqu’à la fin de l’année 2020. Parallèlement, dans le cadre du salon Heavent Meetings Cannes (organisé par WeYou Group), l’association animait les 1er et 2 septembre (A) Live, deux jours de débats sur le thème de « L’événementiel, accélérateur de la relance économique ». Hors des instances représentatives, d’autres acteurs de la filière se sont également mobilisés pour défendre le métier, à l’image de La Page Blanche, un événement digital de réflexion – tables rondes, webinaires, ateliers participatifs. 

Bien que toujours privées de reprise de l’activité, les agences restent donc dans l’action et essaient de garder le moral. D’abord parce qu’elles profitent aujourd’hui, et au moins jusqu’à la fin de l’année, des mesures d’aide de l’État (PGE, chômage partiel…). « Au-delà des pouvoirs publics, les clients ont aussi joué le jeu, ajoute Béatrix Mourer, cofondatrice et directrice de la création de Magic Garden. Ils ont tenu leurs engagements et n’ont pas cherché à profiter de la situation. » Ensuite parce que leur business model repose en grande partie sur l’utilisation de compétences externes – freelances, lieux, traiteurs, loueurs de matériels, prestataires techniques, etc. – qui allègent d’autant les charges fixes. Et enfin parce qu’elles sont habituées depuis longtemps à vivre dans l’incertitude et sans visibilité sur le business, à repartir d’une page blanche à chaque projet et à faire preuve de résilience. La plupart d’entre elles ont d’ailleurs profité de cette période d’inactivité pour se remettre en question.

« Le confinement nous a imposé ce que nous n’étions plus capables de faire : ralentir pour se redonner le temps de réfléchir, observe Cyril Giorgini, président d’Auditoire Groupe. Cette période nous a permis d’ouvrir les yeux sur cette époque marquée par l’excès : trop vite, trop de messages, trop d’événements pour les faire passer, plus assez de recul, plus assez de purpose… Elle nous a permis de nous reposer la question du sens que nous voulons donner à notre métier et de travailler à notre réinvention. » Parfois sous la forme d’une évolution structurelle, à l’image du rapprochement qu’ont opéré Double2, Ubibene et Obo (lire ci-dessous). Parfois par le biais de réorganisations internes et la formation des collaborateurs. Mais le plus souvent par une accélération de la digitalisation. En cours depuis plusieurs années, elle s’est accélérée pendant le confinement où elle s’est imposée comme la seule alternative aux événements présentiels, et s’est durablement ancrée dans les nouveaux usages.

Essor du digital

En plus des innombrables webinaires organisés depuis le mois de mars, bon nombre de marques ont donc fait muter leurs manifestations en phygital, voire en 100 % digital, à l’image du Laval Virtual, devenu Laval Virtual World (du 22-24 avril), du Think Digital Experience d’IBM en mai dernier et prochainement du Paris Peace Forum, organisé par Auditoire, qui réunira le 11 novembre les chefs d’État et/ou délégations d’une cinquantaine de pays… sur la toile. Pour les agences qui en ont fait un axe fort de développement, c’est Noël avant l’heure : « L’e-événement représente la majeure partie des briefs qui nous sont faits, constate Christophe Cousin, directeur de Win-Win. Le digital fait de l’événement un média global et sans limite, qui nous permet de nous recentrer sur le contenu et de nous affranchir des contraintes logistiques de lieu, de temps, de capacité, etc. » À l’image d’une bonne moitié des agences, Stéphane Abitbol tempère le propos, considérant l’événement digital comme une alternative pertinente, mais dégradée de l’événement : « Nous travaillons avec de nombreuses start-up de cet univers dont les solutions sont très innovantes. Mais elles restent moins engageantes qu’une vraie rencontre. Ce que nous demandent nos clients en priorité. » Ce que confirme Thomas Rodier, de Nissan Europe. S’il propose une autre forme d’expérience, voire une certaine magie, l’événement full digital ne permet donc pas tout. « C’est un format parmi d’autres qui rend les clients plus regardants sur le ROI des tous les autres formats événementiels, constate François Bitouzet, directeur général de Publicis Live. Mais je ne crois pas au tout digital : des événements se feront désormais par ce canal ; d’autres, qui n’auront pas su prouver leur utilité ou qui n’auront pas su faire évoluer leur format, disparaîtront. D’autres encore se maintiendront, parce qu’indispensables pour gérer ou animer une communauté, à condition d’être plus riches de sens, plus utiles et plus responsables. » Autrement dit, capables pour motiver leur participation d’apporter un bénéfice durable et significatif à chaque individu ciblé, à sa communauté mais aussi au reste de la société.

Sur le terrain du consulting

Logiquement la tendance à l’hybridation tend donc à s’imposer, révélant même des vertus cachées qu’observe Muriel Blayac, directrice générale de LDR : « Au gros événement de deux jours succède un dispositif phygital combinant des manifestations en présentiel à d’autres digitales, ce qui nous permet d’intervenir dans la durée aux côtés du client, d’aborder avec lui d’autres sujets comme la raison d’être, la raison de faire, etc. Notre relation avec lui s’en retrouve renforcée. » C’est sur ce point que les agences fondent le plus d’espoir : « Nous passions quatre mois à travailler pour un client puis deux ans sans le revoir. En chapitrant son histoire, nous établissons avec lui une relation au long court qui nous permet de mieux nous connaître, explique Frédéric Bault, vice-président et directeur de la création d’Havas Events. Les événements physiques n’en seront que plus riches. »

Sans révolutionner le métier, la crise en a plutôt accéléré la mutation et créé de nouvelles habitudes. « Nous avons appris à travailler à distance, à développer des offres connexes pour nos clients, à réfléchir à d’autres modèles de diffusion des messages (streaming, plateau TV…). Les agences ont fait ce qu’elles ont toujours fait : s’adapter », résume Vincent Dumont, directeur de Chaïkana. Elles ont profité du confinement pour se remettre en question sur leur raison d’être et se recentrer sur leurs fondamentaux : la production de contenus live générateurs de sens et d’images fortes, capables d’alimenter n’importe quel support de diffusion (event, web, réseaux sociaux). Une production privilégiant la création et le conseil : deux compétences recherchées par les annonceurs en quête de solutions alternatives face à la crise, à plus forte valeur ajoutée que leur capacité à assembler les prestataires et qui, bien que générant moins de CA, permettent de dégager plus de marges. La crise deviendrait alors une opportunité pour les agences de se positionner sur le terrain du consulting, de s’en approprier les modes de rémunération et régler une fois pour toute ce vieux débat qui n’a que trop duré.

Double2, Ubibene et Obo sous la même bannière

Réponse directe à la crise actuelle, les agences Double2 (dirigée par Nicolas Dudkowski et Thomas Deloubrière), Ubibene (dirigée par Michaël Courcoux) et Obo (dirigée par René Célestin, par ailleurs actionnaire majoritaire d’Ubibene), ont annoncé leur rapprochement. Pour l’heure, il ne s’agit pas d’une fusion : « Le contexte nous obligeait à faire vite, précise Nicolas Dudkowski. Nous avons créé une nouvelle entité, The Banner, opérationnelle depuis le 28 septembre, dont les trois agences sont actionnaires. La question de la fusion se posera ultérieurement en fonction des résultats et de la situation. » Si chaque agence garde son intégrité, ses clients et ses spécificités, leurs 70 collaborateurs sont désormais réunis sous le même toit, au 25 rue de Prony, qui abritait déjà Double2. Elles mettront en commun leurs expertises et leurs compétences pour traiter tout le newbiz et pour répondre aux demandes éventuelles des clients acquis. La création de The Banner dote également le trio d’agences d’une assise financière plus conséquente pour rassurer les grands comptes sur les gros appels d’offres. Dans les mois qui viennent, The Banner devrait également procéder à quelques acquisitions pour élargir son champ de compétences au-delà de la sphère événementielle.

 

Trois questions à… Thomas Rodier, Event & Sponsorship manager de Nissan Europe

« Nous travaillons désormais sur deux scénarios »

Comment abordez-vous votre métier depuis le déconfinement ?

La crise et les dispositifs mis en place par l’État pour relancer la croissance ont permis de soutenir la demande pour les véhicules électriques. Nous avons repris notre activité en travaillant désormais sur deux scénarios pour soutenir la Nissan Leaf : un format traditionnel et un autre envisageant toutes les contraintes inhérentes à la pandémie, comme un nombre plus limité de participants par session. Nous l’avons fait pour des essais presse, mais aussi pour une convention de 4 000 vendeurs, reçus par groupe de 200.

Les grand-messes ont-elles encore leur place ?

Elles vont être challengées par les nouvelles technologies. Le virtuel permet parfois de montrer plus de choses et d’avoir plus d’impact sur les participants que lorsqu’ils sont assis dans la salle. C’est une alternative pertinente mais pas aussi percutante dans l’ensemble que le présentiel.

L’e-évenement peut-il remplacer le présentiel ?

Pour bien connaître et parler d’une voiture, rien ne remplace la prise en main. Les vendeurs, tout comme les journalistes, doivent monter dans la voiture et être accompagnés dans la phase de découverte sur circuit pour tester le confort de conduite, la sécurité, etc. Il se passe quelque chose en plus au volant d’une voiture.

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