Enjeux
Si le protocole sanitaire de la Covid a bouleversé la tenue de tous les événements, bon nombre de formats établis dans le secteur depuis des décennies ne pourront peut-être plus exister en l’état. Au secteur d’inventer de nouveaux formats.

Triste ironie du sort. Promise à un nouvel essor pour sa capacité à contrecarrer la froideur digitale, la filière de l’événement a été figée toute entière par la crise de la Covid. Double peine pour ce secteur, dès lors que le confinement et la distanciation sociale n’ont pas seulement mis à mal son économie, mais aussi son savoir-faire, avec un grand nombre de formats désormais remis en cause. Après le déconfinement, il a d’abord fallu faire le tri entre les événements pouvant être reportés ou maintenus avec de nouveaux protocoles, et ceux qu’il fallait annuler. Certaines structures ont aussi accéléré des projets d’innovation ou détourné des solutions pour proposer au plus vite des immersions virtuelles à haut degré d’émotion. Chez Mazarine, on a par exemple conçu et développé « The Smart Player », solution vidéo de promotion de contenus de marque et de réalité virtuelle, un projet initié par l’agence il y a un an. Du côté de chez Superbien, Superspaces, concept d’espaces événementiels connectés grâce à la vidéo et au digital, a été finalisé en un temps record pour être opérationnel. Mais une fois l’expédition des affaires courantes passée, sur quels types de formats le métier peut-t-il se reconstruire ?

Les règles du jeu vont changer 

Car pour beaucoup, la systématisation de l’événement physique sera désormais régulièrement remise en cause par le succès des éditions dématérialisées. « La période Covid a revalorisé le besoin de rencontre physique. Mais nous réalisons qu’il existait des habitudes de formats qui peuvent trouver d’autres déploiements », constate Boris Matausic, directeur marketing d’Auditoire. Quant aux événements pour lesquels la rencontre physique fera toujours sens, les règles du jeu vont changer. De manière évidente, les productions seront déjà moins grandes. Pour Tom Scalabre, fondateur du studio de création Superbien, la tendance de l’intime, déjà présente dans le monde d’avant, s’accélérera : « Si nous ne pouvons plus faire des rassemblements de 10 000 personnes, nous ferons 10 rassemblements de 1 000 personnes. Il y aura notamment une place pour de petits parcours immersifs, où les audiences, en mouvement, iront chercher de l’information. » Pour ce créatif, le rapport à l’espace-temps sera lui aussi bouleversé de manière durable : « Le digital et le physique ne feront plus qu’un, l’écran devenant clef. Il existera des points d’accès physiques immersifs ouverts sur de plus longues durées et à de petits groupes pour qu’ils puissent se rencontrer, mais aussi se connecter à des plateformes centrales. L’espace physique augmenté offrira la possibilité de scénographies multiplexes nouvelles et plus libres en termes de consommation de contenus. »

Mais qu’on ne s’y trompe pas, plus que les évolutions de formats, ce sont les changements d’ADN qui compteront. Car pour Anthony Fauré, directeur marketing et innovation d’Unimev et rédacteur en chef de l’Innovatoire, il est évident que le marché devra définitivement basculer d’une culture de la production à celle de la réflexion et de la création : « Je constate que les logiques de contenus apprenants se multiplient et génèrent de l’intelligence sur toutes les séquences d’un événement. » Paul-Emmanuel Reiffers, président fondateur du groupe Mazarine, confirme le point : « Notre métier évolue vers de la création de contenu : tout ce qui reste sans valeur créative réelle peut disparaitre, à l’inverse de propositions émotionnelles ou proposant une réflexion de marque aboutie. » La R & D, notion propre aux nouvelles cultures de l’innovation, devra également faire son entrée par la grande porte dans les agences. Une nouvelle posture qui, pour Paul-Emmanuel Reiffers, sera incontournable pour tous à terme : « Nous avions pour notre part déjà anticipé cette hypothèse avec la création de Mazarine Creative Intelligence, entité composée de créatifs et développeurs technologiques travaillant ensemble sur des nouveaux concepts d’expériences, pour le digital, le retail ou en complément de l’événementiel. »

Tout à réinventer

Pour Anthony Fauré, voilà peut-être le seul point positif de cette crise sans précédent : « Notre filière a eu du mal à opérer sa mue digitale, préférant intégrer l’innovation par petites touches. Cette crise a accéléré en quelques mois ce que le marché aurait sans doute fait en quelques années. » Et si chacun ne pourra pas négocier ces nouveaux virages délicats avec autant de facilité, il y aura bien une vraie carte à jouer pour ceux qui y parviendront. D’abord, parce que comme le rappelle Julien Leleu, directeur associé au sein de l’agence Human n’Partners, le live ne peut disparaitre : « Le digital ne peut se substituer à l’événement qui reste unique sur les sujets de révélation, de mobilisation ou d’émotion. » Ensuite, parce qu’il y aura probablement tout à réinventer dans cette nouvelle culture de phygitalisation post-Covid, et en ce domaine, l’expertise de l’événement reste la mieux placée. C’est ce que pensent beaucoup dont Boris Matausic : « Les acteurs traditionnels du digital, bien que très performants techniquement, n’ont pas la même vision émotionnelle du live. Tout reste donc à construire sur ces solutions. » Un espoir partagé par Julien Leleu : « Nos racines événementielles nous offrent un atout différenciant dans ces nouvelles logiques d’hybridation du réel et du digital, avec une capacité à générer une part de rêve et d’engagement plus forte, à revisiter les possibilités scénographiques et immersives de ces environnements digitaux, à favoriser les passerelles créatives et stratégiques entre les deux mondes. En résumé, nous ne digitaliserons pas l’événement mais nous événementialiserons le digital. » Mais dans un contexte économique fragile, il faudra du temps. Du temps aussi avant que la levée des contraintes sanitaires autorise le retour à une liberté de se réunir librement. Du temps enfin avant que les entreprises aient envie de soutenir un retour à la créativité, la sobriété étant actuellement de mise dans un monde en quête de sens. Et du temps, pour certains acteurs, il en reste peu.

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