Enquête
Même si l'épidémie semble ralentir, rien n'est gagné pour les fêtes de fin d'année, qui resteront, c'est une certitude, hors normes. Entre commerce, communication et magie de Noël, que peut-on faire ?

Cette année, le père Noël a du retard. Les vaccins tant attendus n’arriveront pas à l’heure. Si les annonces successives des laboratoires pharmaceutiques dressent une guirlande d’espoir, ce n’est pas pour tout de suite, et la crise sanitaire s’invitera bien au pied du sapin. « Les consommateurs français ont compris que Noël allait arriver, mais qu’il serait bien différent des autres années » estime Benjamin Soubeille, directeur marketing de Verizon Media. De son côté, le gouvernement tergiverse encore. Interdire les repas en famille ? Les limiter à six personnes ? Nul besoin de demander à la police de rationner les parts de bûche, la population a choisi : selon un sondage OpinionWay pour Proximis, confinement ou non, 73% des Français ont déjà prévu de fréquenter moins de personnes à Noël, et un sur deux ne le fêtera pas en famille par peur de la contamination. Et pour couronner le tout, autant prévoient d’acheter moins de cadeaux de Noël que l’an dernier. 2020 année noire jusqu’au bout. Comment sauver ce qui reste à sauver ?

Fermés depuis le 29 octobre, les commerçants « non essentiels » tentent de tout faire pour préserver leur année. Novembre et décembre peuvent représenter 50% du business, comme pour la parfumerie sélective, voire 60%, pour ce qui est du jouet. « D’autant qu’aucune raison sanitaire ne vient justifier une fermeture, déplore Philippe Gueydon, directeur général de King Jouet et coprésident de la Fédération des commerces spécialistes des jouets et des produits de l'enfant. Pourquoi, en France, laisser la jauge à 1 personne pour 4 mètres carrés et fermer les magasins ?» Les professionnels sont prêts à mettre en place des protocoles sanitaires plus stricts mais veulent des portes ouvertes.

Le Black Friday, 6 milliards d'euros de CA

Tous ont pris le Premier ministre Jean Castex au pied de la lettre, lorsque le 12 novembre, il a indiqué une possible réouverture quinze jours plus tard, soit le 27 novembre. Et les fédérations poussent au maximum pour cette date. Pourquoi ce jour précis ? À cause du Black Friday, qui tombe ce jour-là, et qui représente, selon la chambre de commerce et d’industrie de Paris, jusqu’à 6 milliards d’euros de chiffre d’affaires, dont cinq pour les commerces physiques. « Une fermeture des commerces à cette date signifie l’impossibilité d’écouler des stocks dont la vente se prépare un an à l’avance », estime l’organisme. Sauver Noël passe donc par sauver le Black Friday, une opportunité d'acheter des cadeaux au rabais, sinon... le spectre d’un Noël sur Amazon se profile.

Roue de secours

C’est bien l'e-commerce qui s’offre en roue de secours pour le traîneau. Le premier confinement avait digitalisé une partie de l’économie, mais ce reconfinement accélère encore la tendance. « Les marketplaces sont une bonne solution pour les vendeurs. Nous avons vu une croissance de 70% sur les quatre premiers jours du reconfinement » constate Dickel Sooriah, VP marketing du spécialiste des places de marché Mirakl. Si la solidarité consistait à fabriquer du gel ou des masques en avril, elle devient sauvetage des petits commerçants en novembre. La grande distribution ouvre ses marketplaces, comme Carrefour, ou les pure players, comme Spartoo. Google et Facebook se sont associés respectivement à la Fédération française des associations de commerçants et à la Confédération des PME, notamment pour la formation à l'e-commerce. D’autres, comme les centres commerciaux SCC, misent sur des ventes par rendez-vous en visio. Toutes les solutions sont bonnes à prendre qui, même en cas de réouverture, aideront à éviter la célèbre cohue de Noël. Mais l’e-commerce ne sauvera pas tout. « Même s’il a triplé par rapport à l’année dernière, il ne représente que 40% de l’activité. Et les fermetures restent catastrophiques... » insiste Philippe Gueydon. Notamment pour l’ambiance et la magie. Après tout Noël n’est pas qu’un acte d’achat.

Recréer la magie de Noël

Et les animations resteront bien limitées. Les magasins devront éviter de créer des attroupements. Finie la queue pour les paquets cadeaux. Idem pour les dégustations, hygiène oblige. Quant aux photos avec le Père Noël, plus personne n’y croit... Pour autant, la magie ne sera pas forcément absente. « La part de rêve n’a pas bougé. Elle sera là par le décorum et à travers les cadeaux », assure Pierre Chazalette, directeur commercial de Strada Marketing, agence de marketing opérationnel. Décors de sapins, de lutins, de bougies… recréeront l’enchantement.

Même les traditionnelles vitrines de Noël des Galeries Lafayette du boulevard Haussmann, devraient être inaugurées le 18 novembre, alors que le magasin est fermé. Thème de l’année : le voyage. « Avant de savoir que nous serions reconfinés, nous avons souhaité maintenir un Noël le plus généreux et positif possible. Nous sommes attendus sur ce moment », explique Guillaume Gellusseau, directeur marketing et communication de l’enseigne. Et pour la première fois, l’inauguration est prévue en digital, sur les réseaux sociaux et le site.

C’est tout le rôle des marques en cette période de fête: créer la part de rêve. « C’est une bonne occasion pour les marques de se rendre utiles, de devenir servicielles » estime Gabriel Gaultier, président de Jésus et Gabriel. Mais comment communiquer quand tout le monde a le moral dans les chaussettes ? « Il faut éviter les discours guimauve, trop convenus, conseille Olivier Altmann, cofondateur d’Altmann + Pacreau. Ne pas dramatiser ne signifie pas occulter. Faisons une prise de judo à la situation, jouons l’autodérision. Mieux vaut admettre que ce n’est pas facile avec humour et connivence, plutôt que de tomber dans la facilité et les câlins. C’est cela qui passerait pour de la démagogie. » Pourquoi ne pas rire de Noël ? Dîner à quatre est une occasion de se disputer moins fort. De même, imaginons des bourriches d’huîtres individuelles ou des copeaux de Noël plutôt que des bûches... Même loin, le rire rapproche. En famille, comme dans le milieu professionnel : car cette année, les entreprises ne pourront pas non plus célébrer la fin de l’année.

Social gaming

Les traditionnels arbres de Noël n’ont qu’à se rhabiller. Tout comme les réunions pour remercier les clients. Pour autant, le besoin de recréer du lien est crucial alors que beaucoup de salariés ont passé la majorité de ces derniers mois en télétravail. « Pour les fêtes, les événements sont basés sur la surprise, l’interaction… Il ne s’agit pas de digitaliser ce que l’on fait en physique mais de recréer quelque chose ayant une densité émotionnelle et informelle », observe Isabelle Tardieu, associée de l’agence Uzik. La gamification s’offre alors en solution pour renouer avec la spontanéité et souder les équipes. « Le social gaming est la vraie nouveauté par rapport au premier confinement. Jouer à plusieurs, de manière synchrone ou asynchrone, pour réunir des badges, des points… Les jeux peuvent durer une heure à plusieurs semaines », développe Guillaume Mikowski, dirigeant de l’agence Brainsonic. Autre option possible, miser sur la livraison à domicile d’un repas de fête ou un objet racontant une histoire de Noël.

Blues du père Noël

Mais si les alternatives existent, elles ne se démultiplieront vraisemblablement pas, d’autant que le second confinement a mis un coup d’arrêt à des initiatives en cours. Autre paramètre alarmant : craignant de mauvaises nouvelles sur le plan social en janvier, les marques ne souhaitent pas prendre d’initiatives trop ostentatoires. Même le père Noël a le blues. « Aujourd’hui, on est à 95 % de chiffre d’affaires en moins », relate Sylvain Cadiot, directeur marketing et communication de Père Noël Chez Moi, société de pères Noël intervenant dans les entreprises et chez les particuliers. « On nous a demandé de faire des apparitions en digital mais nous sommes sur un métier d’interaction… ». Et c’est peut-être là ce qui sauvera Noël : « Rien de tel qu’une séparation pour savoir à quel point les gens nous manquent, philosophe Gabriel Gaultier. Noël était devenu une grande fête de marchandises et de vide. Au-delà de la croyance religieuse, la frustration de ne pouvoir se réunir redonnera tout son sens au rituel des retrouvailles. » Rendez-vous en 2021.

Interview de Michèle Benbunan, directrice générale d’Editis (Vivendi)

 

Anticipez-vous une chute importante des ventes à l’approche de Noël ?

Novembre est un mauvais mois (−60 % sur les GMS). J’espère que décembre sera meilleur après deux années marquées par de nombreux événements très contreproductifs [Gilets jaunes…]. Arnaud de Puyfontaine, président du directoire de Vivendi et président d’Editis, et moi demandons la réouverture des librairies à partir du 1er décembre car ce qui arrive est un drame non seulement pour les libraires mais aussi pour les auteurs et les maisons d’édition indépendantes. Nous faisions +40 % la semaine précédant le confinement. Il y a eu de nouveaux lecteurs après le premier confinement et les gens ont fait des réserves de livres… ce qui prouve que c’est un produit de première nécessité.



Pourquoi le livre ne pourrait-il pas vivre du seul e-commerce ?

L’édition s’appuie beaucoup sur la librairie indépendante. Ceux qui découvrent les auteurs, les font connaître, les soutiennent, lancent la rumeur d’un titre, ce sont les libraires. Ce sont des spécialistes du livre indispensables pour assurer la diversité de l’offre. La grande surface amplifie ce phénomène comme les e-commerçants, qui vendent les livres que les gens recherchent dans l’instant : cela représente 10 à 20 % des ventes. C’est un complément mais cela n’a rien à voir avec le fait d’entrer dans une librairie, d’y flâner, de s’y évader, d’y passer du temps sans a priori. Un monde sans libraires est un drame pour les jeunes auteurs sur lesquels repose toute l’économie de l’édition. Ils sont prescripteurs, et animent des communautés dans leurs magasins comme sur les réseaux sociaux.

 

Propos recueillis par Amaury de Rochegonde.

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