Automobile
Retour de la R5 en électrique, modernisation de Dacia, montée en régime d’Alpine, ambitions dans les services, discours pub plus intéressant : avec son plan à cinq ans, Renault renverse la table. Une question de survie.

« Nous allons redonner plus de force à nos marques » a annoncé le nouveau PDG du groupe Renault, Luca de Meo, le 14 janvier lors de la présentation de son plan stratégique à cinq ans « Renaulution ». L’une des grandes décisions du successeur de Carlos Ghosn est de charpenter le groupe autour de quatre marques pivot : Renault, Alpine, Dacia et Mobilize, le petit nouveau qui fait office de laboratoire des nouvelles mobilités. Pour réveiller le public qui n’attendait peut-être pas grand-chose d’un constructeur de « volumes », Luca de Meo n’était pas venu les mains vides à sa conférence de presse entièrement en ligne. L’homme qui a sauvé Fiat en ressuscitant la 500 en 2007 a sorti de son chapeau un revival de la Renault 5 ! « Ce projet était dans un tiroir. Quand Luca de Meo est arrivé, il a dit : “Voilà, c’est ce qu’il nous faut”. »

Catalyseur

Après quelques nuit blanches pour sortir un prototype 3D, la R5 - dessinée par François Leboine – a été un électrochoc. À l’externe, toute la presse s’enthousiasme de ce come-back. En interne, l’auto agirait comme un catalyseur des ambitions retrouvées de la marque. Jaune canari – on ne présente jamais un nouveau concept dans une couleur discrète car il risquerait de passer inaperçu, et ici, cela tombe bien, c’est la couleur du constructeur -, l’auto est cette fois 100 % électrique. « Vous reconnaissez la silhouette générale, mais si on la comparait à celle de 1972, toute frêle sur ses petites roues, ce n’est pas du tout le même objet », pointe Gilles Vidal, directeur du design de Renault, débauché chez l’ennemi Peugeot en 2020. Comme il faut forcément s’adapter aux contraintes actuelles en termes d’habitabilité et de sécurité, la R5 s’identifie plutôt dans les détails : le dessin des feux arrière, le « regard malicieux » selon le designer, la grille sur le capot – cette fois dévolue à la recharge électrique -, mieux : le losange à stries de 1972 créé par Victor Vasarely à qui Renault avait demandé de moderniser la marque. Le premier véhicule à l’arborer sera la R5. Alors que le public attendait un retour de la 4L, le designer prévient « qu’il ne faut pas s’attendre à une gamme complète néo-rétro ». Pour lui, cette R5, « dans ces moments de crise et de doute, sert à rassurer et à réveiller des émotions ».

D’une logique de volume à une logique de valeur

Cette icône des seventies ne sera pas de trop pour aider Renault à remonter la pente, d’autant qu’on ne la verra pas sur nos routes avant trois ans. Après la secousse de l’affaire Ghosn qui a ébranlé le management depuis 2018, le choc frontal du Covid-19 a continué de grever le groupe : 7,3 milliards d’euros de dette au premier semestre et moins de 3 millions de voitures écoulées sur l’année, en baisse de 21,3 % sur un an – alors que le marché a reculé lui de 14,2 %. « Oui, Renault peut disparaître », avait même lancé le ministre de l’Économie Bruno Le Maire sur Europe 1 en mai 2020… Pour redresser la barre, Luca de Meo, nommé en juillet, a axé sa stratégie sur une réduction des coûts de 3 milliards d’euros d’ici à 2025. En parallèle, Renault cherchera à relever ses marges. De fabricant populaire, le losange va-t-il faire fi de la crise et s’embourgeoiser, quitte à se couper de sa base ? « Ce que je peux dire est que notre but est de vendre plus de véhicules haut de gamme et modifier le mix produit. Nous n’allons pas augmenter nos prix mais tenter d’attirer plus de clients pour les véhicules haut de gamme. Notre but est de passer d’une logique de volume à une logique de valeur », clarifie Christian Stein, nommé au poste nouvellement créé de directeur de la communication des marques du groupe Renault ; il est, comme le nouveau patron du design de Dacia Alejandro Mesonero, l’un des lieutenants de Luca de Meo et transfuges de Seat.

Vendeur de lessive

Ne manquant pas de slogans, le groupe français a annoncé en plus de sa « Renaulution » une « Nouvelle Vague ». Le premier concerne plutôt le moteur et le second la carrosserie. « Renault doit embrasser la modernité, devenir une marque plus technologique, servicielle et plus écologique », souligne Christian Stein. Si cette dernière tendance est, en réalité, stimulée par Bruxelles qui a tordu le bras des fabricants pour que leurs autos émettent moins de 95 g/km de CO2 en moyenne, Renault a déjà réussi ce pari. En 2020, il a confirmé sa place de leader européen des voitures électriques (en volumes…) avec sa Zoé – que la R5 remplacera -, qui a dépassé les 100 000 immatriculations, soit le double de 2019. Électricité, connectivité… franchement, quelle marque grand public ne communique déjà pas sur ces thèmes ? D’autant plus difficile de se démarquer quand, d’un point de vue publicitaire, « les fabricants automobiles aujourd'hui sont les vendeurs de lessive d’avant », selon les mots d'un directeur marketing du secteur. « Les pubs de voiture ? C’est un homme de 45 ans habillé un peu cool qui actionne des boutons sur un tableau de bord, il passe une vitesse et un slogan vous dit “devenez vous-mêmes”», cingle celui-ci. Mais sur cet aspect aussi, Renault a prévu le coup en recrutant un certain Arnaud Belloni.

Le chevronné marketeur, débauché, lui aussi, chez PSA, avait contribué à dépoussiérer Citroën, allant jusqu’à un dernier coup de génie : la Citroën Ami, un « objet de mobilité » électrique vendu à la Fnac et dont Renault va nécessairement s’inspirer avec sa nouvelle marque Mobilize. Depuis qu’il y a fait ses armes au début des années 90, il estime que « Renault n’a pas changé ». « La marque a toujours eu ses madeleines de Proust : la F1, Twingo, Clio, Espace, Megane, la musique Johnny and Mary de Robert Palmer et ce positionnement de “voiture à vivre”. Les icônes seront toujours là. Les voitures sont plus à vivre encore qu’à l’époque où on le disait. Mon boulot est de réactiver la magie. » Et en effet, l’homme n’a pas tardé à relancer la pub mythique de la première Twingo de 1993 avec la même musique (Hush Little Baby, de Yo-Yo Ma & Bobby McFerrin) et les dessins de Philippe Petit-Roulet. Attention : on ne pourra pas jouer cette carte à chaque fois. Le marketeur en est conscient : il s’agit de faire un coup pour réactiver la marque. À ses côtés, il compte continuer à s’appuyer sur Publicis Conseil, agence historique de Renault. Arnaud Belloni ne sera pas dépaysé car Hugues Reboul, ancien de BETC Traction, l'agence de Citroën, vient d’être nommé directeur général de Publicis Conseil, en charge de Renault.

Deuxième meilleur motoriste du monde

La R5, la Twingo mais aussi l’hybride et l’électrique. Avec 14 nouveaux modèles prévus au catalogue d’ici à 2025 – c’est-à-dire qu’ils sont d’ores et déjà tous en développement –, Renault va ressortir un vieux pot pour y faire sa confiture : la compétition. L’objectif est de rassurer les clients sur cette technologie et de leur donner envie. De tout temps – on peut le dire car la première course de voiture s’est déroulée en 1894 entre Paris et Rouen, neuf ans après la création de la première auto, le Tricycle Benz 1 -, les fabricants ont utilisé la course pour éprouver les nouvelles technologies, puis vanter leurs résultats dans leurs concessions, promettant à leurs clients d’être eux aussi des winners. L’hybride et l’électrique n’y échappent pas ; à l’instar du turbo en 1977, qui fit le succès du losange sur circuit. La marque est deux fois championne du monde constructeur mais surtout douze fois en tant que motoriste. On l’oublie au quotidien mais Renault est historiquement le deuxième meilleur motoriste du monde derrière Ferrari (16 victoires). Dans le nouveau plan De Meo, tout ce qui a trait au sport échoit à Alpine. La marque non moins mythique réapparue en 2017 autour d’un seul modèle a vocation à chapeauter l’écurie de F1 – la fiche Wikipédia Renault F1 Team a déjà été renommée en Alpine F1 Team –, et devenir un spécialiste du premium électrique avec trois modèles dont un en partenariat avec Lotus (acteur des sportives légères)… et un SUV ; au diable les « alpinistes ». Pour garder le lien entre le circuit et la route, Renault va devoir s’appuyer sur une nouvelle marque : E-Tech. Pour Arnaud Belloni, l’idée est d’essayer de reproduire « ce que le groupe Volkswagen a bien su faire avec le TDI ». L'une de ses premières campagnes chez Renault, diffusée le 24 décembre, a justement visé à promouvoir E-Tech en TV.

Plus d'humain que de voitures

Pour se faire une idée de la tonalité de la dizaine de campagnes dans les cartons validées par Luca de Meo, Arnaud Belloni explique : « Ce qui marche bien en ce moment, c’est de raconter des histoires vraies et bienveillantes, les gens adorent. Ce qu’il faut réussir à trouver ce sont des moments de justesse dans les marques qui sont des moments d’excellence. » Dans la dernière campagne E-Tech, on y voit plus d’humain que de voitures et surtout, pas de quadra qui passe une vitesse pour aller vers l’avenir !

Avec toutes ces transformations, il ne faudrait pas oublier Dacia. La marque « access » du groupe abaisse la marche de l’électrique à 10 000 euros avec sa Spring. Pour ce qui est de l’image, la Sandero 2021 et son look acéré tournent définitivement la page des débuts et de l’hésitante petite Logan. Fidèle à son positionnement low-cost, la marque a trouvé une nouvelle idée pour paraître plus « cool » : le Bigster. De loin, c’est un 4X4 américain hyper moderne avec sa calandre toute en LED et ses formes musculeuses. Ce style « outdoor » - spartiate par nature car les baroudeurs ne s’encombrent pas de confort – devient une excuse toute trouvée pour justifier la simplicité de Dacia. La question est : la marque roumaine – que le français a transformée en plus grande entreprise du pays en termes de chiffre d’affaires et d’exportation – va-t-elle prendre la place de marque auto populaire que Renault occupe historiquement ? Quoi qu’il en soit ce gros Dacia Bigster ne risque pas de toucher les jeunes (l’âge moyen d’achat d’un véhicule neuf est de 56 ans), ni les villes qui restreignent toujours plus l’accès aux autos.

La botte secrète de Renault s’appelle Mobilize. Cette marque dédiée aux nouvelles mobilités va miser sur son EZ-1 Prototype, un petit véhicule électrique voué à l’autopartage. Cette nouvelle activité de services vise à représenter plus de 20 % du chiffre d’affaires du groupe Renault en 2030. Si le français réussit à toucher les jeunes et à sauver ses comptes grâce à des revenus récurrents d’abonnements, là, il aura fait sa « Renaulution ».

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