Automobile
Le constructeur automobile français change une onzième fois de blason mais cette fois, ce serait pour durer. Son enjeu est de refléter sa montée en gamme.

C’est le logo « qui aurait dû toujours exister », celui qui doit faire entrer Peugeot dans les « hyper marques comme Louis Vuitton, Apple ou Coca-Cola ». Mathieu Riou-Chapman, directeur artistique de la marque Peugeot, n’y va pas avec le dos de la cuillère pour parler du nouveau blason de la marque présenté lors d’une conférence de presse en ligne le 25 février. Plus qu’une profession de foi, il parachève une montée en gamme qui se vérifie déjà sur l’ensemble de la gamme du constructeur automobile. Ce logo doit agir comme une clé de voûte, verrouillant la stratégie ambitieuse portée par Carlos Tavares depuis 2014 sur tous les piliers : produit, technologie, relation client, et marge, bien sûr. Bon nombre de marques automobiles ont déjà remis à plat – au sens propre – leur logo ces deux dernières années comme Volkswagen, BMW ou Nissan. Ils ont tous adopté des lignes plus simples et le flat design, censé mieux correspondre aux codes de l’électrique, aux jeux de LED et à la communication digitale. Ce logo reprend en réalité largement les codes de celui de 1960 : un blason avec un profil de lion surplombé du nom Peugeot.

« Sucre lent »

Culturellement, ce blason marque un virage à 180 degrés avec la génération de 2010, devenue kitsch. « Les marques avaient découvert la 3D et la plupart s’étaient retrouvées injectées de botox, tout en volume, en brillance, en culturisme », décrit Mathieu Riou-Chapman. Sur le fond, en 210 ans, Peugeot est connu pour avoir jonglé entre deux représentations majeures de son lion : un de pied style héraldique et un plus resserré sur le visage et sa crinière. « Au 19ème siècle, ce lion était un poinçon qui qualifiait la qualité d’un acier, ce qui a fait la réputation de Peugeot et de ses outils, rappelle le directeur artistique. La marque a pris son caractère héraldique avec son arrivée à Sochaux, dont le blason représente un lion. » Cette double référence à l’acier et au Doubs est loin aujourd’hui et seul le lion, et sa figure statutaire, semblent compter. Pour porter les attributs du premium – tous nouveaux pour la marque dont l’ADN est avant tout celui de l’industriel généraliste comme Citroën et Renault –, ce lion mise « sur le rapport de contraste entre le noir et le blanc, la lumière portée sur le visage et ses lignes affûtées et aiguisées », décrit Mathieu Riou-Chapman. « Si la pub est un sucre rapide, l’iconographie est un sucre lent », compare-t-il. Observateur de ces mutations, le designer Johan Debit, cofondateur de l’agence Brand Brothers, estime qu’il y avait « une nécessité de réaligner l’identité de marque sur le design des voitures qui évolue dans la bonne direction depuis dix ans ». Mais il se dit « partagé » sur l’exécution – qui a demandé trois ans de travail et bien 200 itérations. « La forme du lion est assez complexe pour un logo de voiture et j’attends de voir quelle sera sa perception de loin, qui risque d’être réduite à la forme du blason. » Sur les forums, on reproche au sochalien d’avoir copié Porsche ou Lamborghini…

Pour imposer sa version 2021 du lion de façon pérenne, Peugeot peut se heurter à deux autres limites, selon Johan Debit. Avoir trop souvent changé, « c’est le symptôme qui touche les logos qui n’ont pas réussi à devenir des icônes et qui répondaient peut-être trop aux exigences de leur temps ou à des errements stratégiques », et reposer sur une figure du lion « sur-utilisée ». Quelques exemples : ING, la Premier League, Holden, Publicis, Lion… Au-delà du parfait calibrage de ce logo-là pour le premium, une façon de monter en gamme serait de ne plus jamais en changer, même avec ses imperfections.

Plus qu’un nouveau logo, Peugeot inaugure une nouvelle plateforme de marque avec un univers graphique conçu par l’agence W (groupe Havas) étendu à tous ses points de contact – en un temps record. Le studio Peugeot Design Lab a conçu le logo, l’agence le territoire. « L’élément déclencheur de notre réflexion a été une visite d’usine à Sochaux. En voyant une voiture passer sous une lampe anamorphique – qui révèle les imperfections –, on s’est dit qu’il y avait quelque chose à construire autour du faisceau lumineux, capable de révéler la puissance de la marque », raconte Martin Piot, vice-président de W. « Point fort », selon lui, de l’expression de la marque : le nouveau site brand.peugeot.com, qui porte les valeurs de la marque, et est ouvert à tous. 

« Temps de qualité »

Car ce n’est pas tout. Pour porter haut et fort sa nouvelle identité, Peugeot a dégainé une campagne internationale de communication. Conçue par sa nouvelle agence ad hoc Open (groupe Omnicom), elle vise à affirmer « les valeurs d’excellence, d’allure et d’émotion », décrit le directeur marketing et communication de Peugeot, Thierry Lonziano. Et un nouveau positionnement, « la qualité de temps ». Dans le film sont mis en scène de jeunes gens branchés, « les Lions of our times », qui sont des « gens indépendants et passionnés et à qui nous voulons offrir un temps mémorable au travers de tous nos points de contact », poursuit-il. « Nous avons voulu faire de cette communication une ode au quality time pour tous ces gens qui ne sont plus à la recherche d’argent ou de pouvoir, mais de temps », décrit Stéphane Boutier, global agency lead d’Open. « Nous passons de plus en plus de temps dans notre auto et un jour, avec l’avènement de la voiture autonome, cette question du temps de qualité passé à bord deviendra une valeur importante », dit-il.

Les mauvaises langues diront qu’il fallait bien trouver quelque chose pour se démarquer des indéboulonnables standards allemands. Certains que Peugeot doit à tout prix préciser son territoire dans un groupe Stellantis dans lequel il ne doit pas se diluer. Pour Pierre Gerfaux, principal director chez Accenture, « le futur de la mobilité se joue entre deux visions, celle des constructeurs et celle des plateformes qui pourraient proposer des autos en marque blanche ». Dans ce deuxième schéma, porté par le car sharing ou les VTC, les marques auto disparaîtraient comme Bombardier ou Alstom derrière la SNCF ou la RATP. L’enjeu de Peugeot ne se résume donc pas à une histoire de logo.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.