Dossier Ad tech
Ces derniers mois, les plaintes, les décisions de justice et les sanctions à l’égard des Gafa se sont multipliées sur des sujets liés à la publicité en ligne. Une tentative affirmée de régulation alors que le marché, désormais mature, prépare la disparition des cookies tiers.

Toucher les Gafa au portefeuille est-il un vrai levier d’action pour combattre la position dominante de Google et Facebook sur le marché de la publicité en ligne ? L’Autorité de la concurrence française a en tout cas fait preuve de fermeté en infligeant récemment à Google deux amendes à moins de deux mois d’intervalle. La première, le 7 juin, visait à sanctionner à hauteur de 220 millions d’euros le fait que la firme de Mountain View ait favorisé ses propres technologies de publicité en ligne au détriment de celles du marché. La plus élevée, le 13 juillet, d’une hauteur de 500 millions, punissait des pratiques jugées mauvaises sur les droits voisins, la rémunération que doivent percevoir les éditeurs pour la reprise de leurs contenus.

En parallèle de ces amendes, plusieurs plaintes visant les Gafa ont été déposées, à l’image de celle initiée par France Digitale contre Apple en mars 2021 que, quelques mois plus tard, en juillet, la Cnil se reconnaissait compétente pour l'instruire. L'objet de la plainte ? Pour l’association de start-up et investisseurs du numérique français, les publicités personnalisées au bénéfice de la plateforme Apple, aujourd’hui activées par défaut, pourraient entrer en infraction avec, notamment, le RGPD.

Mouvements de contestation

De leur côté, l'IAB France, la Mobile Marketing Association, l’Udecam et le SRI décidaient fin octobre 2020 d’attaquer la firme à la pomme pour abus de position dominante lié à une nouvelle façon de recueillir le consentement des internautes dans le cadre de la mise à jour de son iOS. Et le mouvement de contestation n’est pas seulement français. Fin 2020, dix États américains emmenés par le Texas attaquaient en justice Google pour pratiques anti-concurrentielles, tandis que, en octobre, le département de la Justice ouvrait une procédure à l’encontre de Google pour des raisons similaires. Autant d’actions au long cours ou à l’éclat plus retentissant qui symbolisent les tentatives de réguler les pratiques sur le marché publicitaire.

Sauf qu’en réalité, le phénomène n’a rien de nouveau. Les sujets posés par les Gafa, notamment sur des questions de concurrence et de manque de transparence, sont connus depuis des années. Dès son adoption au niveau européen en 2016, le RGPD mettait plus que jamais sur le tapis la question du consentement des internautes face au tracking et la Cnil s’active depuis sur ces sujets. Le Digital Markets Act et le Digital Services Act, présentés fin 2020 par la Commission européenne, visent à terme à poser un nouveau cadre de régulation pour le digital et les grandes plateformes numériques. Autrement dit, après le temps de la législation, celui des sanctions serait-il venu ? Pour l'heure, une certaine accélération est palpable et, dans les faits, « les décisions judiciaires tombent de manière plus rapprochée de la part des autorités françaises, européennes, américaines », dépeint Véronique Pican, vice-présidente de l’IAB France. Les amendes aussi, même si l’important est moins la hauteur des montants que la reconnaissance des problèmes.

Un sursis pour les cookies

Ce n’est pas un hasard si cette accélération se constate maintenant. Le marché a atteint une certaine maturité et brasse des sommes importantes, ce qui n’était pas le cas auparavant. « La publicité sur internet était vue comme geek et exotique, non pas cœur de business. Cela a changé au fil des années, des pratiques et des technologies qui se sont construites sur le tracking, le profiling… On constate un foisonnement de technologies qui évoluent très vite et qui sont difficiles à réguler », développe maître Patrice Navarro, associé au sein de l’équipe protection des données et cybersécurité du cabinet d’avocats Hogan Lovells.

Dans un marché qui gagne en maturité, les phénomènes de consolidation et de regroupement apparaissent logiques, créant des monopoles, avec tous types d’effets. Enfin, le législateur prend mieux en compte les problématiques, notamment sur la concurrence et la gestion des données privées. « Nous observons une meilleure compréhension des enjeux de la part des autorités, une vraie évolution des expertises en 18 mois. Elles ont auditionné et ont eu des échanges avec des éditeurs, des collectifs… », témoigne Véronique Pican.

Une accélération que le marché de l’ad tech ne peut que constater. Google est concerné parmi d’autres alors qu’il a, en juin, annoncé un sursis pour la disparition des cookies tiers sur Chrome, décalée de 2022 à mi-2023. Cette question avait fait réagir le marché car il bouleverserait la publicité digitale, même si Safari et Firefox les ont déjà supprimés. Ce délai supplémentaire ne devrait toutefois pas changer grand-chose, si ce n’est qu’il permettra de mieux organiser la suite en multipliant les tests, mais sans infliger les directions déjà prises pour préparer l'avenir. Car dans les faits, les alternatives se développent déjà, dont un certain nombre sont soutenues par le projet Rearc lancé par l’IAB Tech Lab en 2020 afin d’accompagner l’émergence au sein de l’industrie de nouveaux standards et normes technologiques. Même Google d’ailleurs y va de son initiative. Annoncée en 2019, sa Privacy Sandbox vise à permettre une publicité ciblée sur un groupe d’utilisateurs partageant des centres d’intérêt, les cohortes.

Identifiant unique

Pour tous, l’un des enjeux est que les alternatives mises au point soient au moins aussi performantes que les cookies si ce n’est plus, en assurant, comme eux, la possibilité de faire à la fois du ciblage et du retargeting, de régler la fréquence à laquelle un internaute est exposé à une publicité ou de réaliser des mesures d’efficacité. En l’état, les solutions développées ne sont pas forcément capables de répondre à tous ces objectifs. Reste que le marché travaille à la conception de nouveaux identifiants pour remplacer les cookies tiers.

Par exemple, The Trade Desk planche sur un identifiant unique (Unified ID) qui a vocation à devenir un standard. Concrètement, l’internaute s’identifie via un email, qui est envoyé à un service d’encryption [chiffrement] afin de générer un identifiant. Ensuite, l’email n’est pas gardé. « En Europe, les discussions sont en cours pour savoir, hors de tout intérêt privé, qui pourrait prendre la gouvernance de la solution, peut-être un consortium », complète Yann Blat, directeur chargé des initiatives stratégiques de The Trade Desk.

Côté identifiants, d’autres alternatives sont aussi envisagées, comme un ID basé sur l'adresse IP lancé par Sirdata en mai. D'autres acteurs misent sur la first data party, comme LiveRamp, qui lançait en 2020 ATS (pour Authenticated Traffic Solution), une solution appuyée sur ces données renseignées directement par l’internaute et recueillies sur le site de l’éditeur avec un consentement explicite.

Des solutions mal connues du marché

Enfin, le ciblage contextuel ouvre également de nouveaux champs aux annonceurs. Il s’appuie sur l’analyse sémantique des pages du web afin de comprendre la substance des contenus et d’y afficher des publicités en fonction de critères choisis. Ici, c’est le contexte qui est analysé et non la navigation comme avec le cookie tiers.

Ainsi, Weborama déploie depuis avril une solution dédiée. Cette offre, baptisée GoldenFish, est basée sur 200 millions d’URL qualifiées dans huit langues. « Près d’une centaine de campagnes ont déjà été déployées par ce biais, par exemple avec Sanofi », dévoile Mykim Chikli, dirigeante EMEA de Weborama. De son côté, Sirdata commercialise depuis deux ans une solution basée sur le ciblage contextuel. « Les metrics obtenus sont assez similaires au ciblage basé sur des cookies », note Arnaud Sirjacq, directeur commercial. Quant à Criteo, il lançait au printemps une solution de ciblage contextuel basée sur les données first-party.

Et si le déploiement de ces solutions techniques ne date pas d’hier, elles sont encore mal connues du marché. « Nous avons une personne dans l’équipe qui évangélise en interne et en externe auprès des annonceurs et des partenaires », confie Damien Mora, directeur des opérations à Gamned. Et le manager de souligner la nécessité de se tenir informé sur l’évolution des outils du marché, qui changera la manière de piloter les campagnes.

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