Tribune
À l'heure où la reprise se précipite et où les positions se jouent, il est possible de vraiment concilier réussite business et engagement sociétal. C'est l’opportunité d’emboiter le pas de John Maynard Keynes, selon qui «la difficulté n'est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d'échapper aux idées anciennes».

Bonne nouvelle : la raison d’être est devenue mainstream. Jadis ésotérique et cantonnée à quelques entités dans l’entreprise, l’engagement figure désormais à l’agenda au plus haut niveau des organisations. Néanmoins, même bien racontée, la raison d’être n’en reste pas moins dévoyée lorsque sa formulation est une fin, et qu’elle se cantonne à l’expression des mots face aux maux, environnementaux et sociaux. Faute d’être opérationnalisée, la dynamique impulsée reste très en-deçà de son potentiel performatif véritable.

Pourtant – et nous le revendiquons - mobiliser la raison d’être pour envisager la performance financière et extra-financière est une opportunité puissante. Ce n'est pas seulement une contrainte nécessaire mais coûteuse, une «chance pour l’entreprise» selon le ministre de l'Economie Bruno Lemaire. Pour la saisir pleinement, définir sa raison d’être en associant ses parties prenantes constitue un acte de gouvernance fondateur. C’est la première étape du chemin vers la performance. En ce sens, les récentes révélations par nombre d’entreprises (et pas des moindres) de leur raison d’être à l’occasion des assemblées générales du printemps sont éloquentes.

Un chemin évolutif

La seconde étape consiste à traduire concrètement la cause défendue dans sa proposition de valeur (à la fois commerciale et sociétale) pour en faire un levier central de compétitivité. Ce mouvement a été enclenché par certains acteurs, qui associent des éléments d’évaluation dédiés. Ainsi, Thomas Buberl, directeur général d’Axa, a présenté un indice «Axa pour le progrès», permettant aux parties prenantes de suivre et de maximiser l’impact de la raison d’être sur les activités. De même, Veolia a présenté dès 2019 un tableau de bord détaillé de l’implémentation de sa raison d’être dans son modèle, afin de construire une «performance plurielle».

Plus sûrement qu’une transformation radicale, la raison d’être est un chemin évolutif. L’emprunter permet de rendre son modèle (de production, de distribution, de management) plus sobre, plus efficient dans la durée et surtout mieux armé pour capter les évolutions de la société. La raison d’être stimule l’innovation.

Elle permet également de tisser des relations fertiles avec ses parties prenantes, elles qui sont plus audibles, attentives à la crédibilité et mobilisées au sein d’arcanes classiques et nouveaux qu’il est essentiel de considérer. Elle confère une structure cohérente et authentique à l’engagement RSE : si l’on n’est jamais parfaitement transparent, inclusif ou vertueux, on peut malgré valoriser une progression continue. La responsabilité devient dès lors un investissement à valeur ajoutée. Enfin, elle légitime, preuves à l’appui, sa parole dans un climat d’écoute saturé, cacophonique et, disons-le, qui a toutes les raisons d’être traversé de défiance face au social-washing qui alimente l’éco-lassitude.

Travail d'homogénéisation

Mais comment se repérer dans un maquis de grilles de lecture et autres labels qui brouillent les initiatives ? Pour réconcilier volonté et capacité de faire, des outils sont en passe d’être charpentés. En effet, s’il n’existe pas de façon standard de mesurer les performances sur la base des critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance), le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, avance qu'un accord mondial visant à homogénéiser la prise en compte des risques liés au changement climatique par les organisations est en passe d’être acté. Rendez-vous à la COP 26 qui se tiendra en novembre à Glasgow ?

Au-delà des seules très grandes entreprises, la secrétaire d’Etat chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable, Olivia Grégoire, a lancé Impact, une plateforme pour aider toutes les entreprises responsables, des TPE aux grands groupes, à le faire savoir ou à le devenir, en rendant visibles et lisibles leurs données ESG à travers 47 indicateurs. Cet outil est destiné à devancer la réglementation européenne et à permettre aux entreprises françaises de se familiariser avec les référentiels extra-financiers.

C’est ainsi que les organisations apporteront des réponses probantes aux attentes de collaborateurs en quête de sens au travail, aux attentes de leurs clients, qui souhaitent aligner leurs convictions avec leurs actes de consommation, et enfin à celles des investisseurs, qui demandent une meilleure maîtrise des externalités liées aux activités. Les organisations savent désormais qu’elles ont intérêt à passer de spectatrices à actrices. On sait. On veut. On peut. Alors, on fait ?

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