Tribune
Qu'il s'agisse des artistes ou des marques, la création de jetons non-fongibles permet de renforcer l’engagement des consommateurs. Une tendance qui gagne aujourd'hui les réseaux sociaux.

Difficile d'échapper à l’engouement autour des NFTs. Créés en 2014, lors d’une conférence à New York, pour permettre aux artistes de protéger leurs œuvres digitales de la duplication, ils sont depuis quelques mois utilisés dans de nombreuses opérations de communication. Des chaussures en réalité augmentée Gucci aux œuvres digitales de McDonald’s, les marques s’y essaient toutes et chaque opération a été largement commentée. Au-delà de la fureur soudaine, se dessine une caractéristique du rapport actuel au digital et au social media.

Avant d’avoir la notoriété que nous lui connaissons, la mannequin Emily Ratajkowski s’est d’abord fait connaître grâce à son apparition dans le clip Blurred Lines de Robin Thicke. Une manière pour elle de commencer à vivre de son image. Mais petit à petit, ses images lui échappent, atteignant une apogée quand l’artiste Richard Prince s’approprie l'une de ses photos Instagram pour en faire une peinture.

En avril 2021, elle prend en représailles une photographie d’elle-même posant devant cette peinture qu’elle a achetée au peintre, et en fait un NFT. En faisant de sa photographie un objet numérique unique et traçable, elle se réapproprie son image. Au-delà des questions de droit d’image, son geste dévoile aussi un désir de possession, d’exclusivité de son image digitale et donc d’un objet digital, un NFT.

Un désir d’exclusivité

Dans un monde digital où tout est accessible, les NFTs  introduisent la rareté. Etant une ligne de code inscrite dans la blockchain, ils ne peuvent en effet pas être dupliqués ou contrefaits. Si une personne décide d’en acheter un, elle sera la seule à le posséder grâce à un certificat de propriété digitale. Par exemple, les joueurs de jeux vidéo pourront être les seuls possesseurs de certains skins en achetant les NFTs intégrés au jeu, comme dans Blankos Block Party de Burberry. Si les ventes de jetons non-fongibles atteignent des sommes extraordinaires avec, par exemple, une œuvre de Beeple vendue 69 millions de dollars, c’est que des gens sont prêts à payer cher pour avoir l’exclusivité de créations digitales.

Si l'on tire le fil et qu’on pense au succès d’Onlyfans, c’est le fait que cette plateforme offre des contenus exclusifs, réservés aux seuls members, qui la rend si spéciale. Et si, a priori, Clubhouse n’est qu’une plateforme audio, ou que les Super Follows de Twitter ne sont qu’une feature de plus pour partager du contenu, c’est cette même exclusivité que les deux réseaux sociaux proposent à leurs utilisateurs. En effet, Clubhouse n’a longtemps été accessible que sur invitation, et les Super follows offrent une grande diversité de contenus exclusifs auxquels seuls les fans ont accès. Même chose pour la version sur laquelle travaille actuellement Instagram, qui empêchera tout screenshot, rendant le partage impossible.

Une exclusivité qui renforce les communautés social media

En faisant le choix d’offrir des contenus exclusifs, les marques réaniment un sentiment communautaire fort. Par exemple, en récompensant certains de ses clients avec des œuvres digitales NFT via un tirage au sort, McDonald’s a accru le sentiment d’appartenance à la communauté des gagnants en proposant une expérience exclusive, en les faisant se sentir privilégiés.

C’est encore plus flagrant lorsque les items ont un lien avec une passion comme le sport. Sur la plateforme NBA Top Shop, les fans peuvent acquérir les NFTs d’extraits marquants de matchs de basket et en être les possesseurs exclusifs. Avec la Major League Baseball, les fans peuvent acheter des moments fondateurs de l’histoire du sport sous la forme de NFTs, comme le discours de la légende des Yankees Gehrig.

Du côté de l’entertainment, la sortie du film Space Jam: A new Legacy s’est accompagnée de la création de NFTs que les fans pouvaient acquérir gratuitement sur le site Niftys.com. Les produits dérivés associés à un univers ne sont plus seulement des figurines ou des casquettes, mais aussi des items digitaux uniques qui «sont un moyen amusant et excitant pour les fans de célébrer leur amour pour nos personnages», explique Pam Lifford, présidente des marques et expériences mondiales de Warner Bros. Les marques donnent à vivre une nouvelle expérience forte qui renforce l’engagement des consommateurs.

Cet engagement peut cependant aller trop loin dans la culture de l’exclusivité, et frôler l’exclusion, comme avec Reddit. La plateforme a récemment développé et mis en vente des avatars NFTs créés à partir du logo. Les utilisateurs peuvent se promener dans le jeu avec un avatar unique et reconnaissable par tous. En choisissant d’en acheter un, les membres se contraignent alors à ne plus jamais dire du mal de la plateforme au risque de perdre les droits sur les NFTs dans lesquels ils auront investi au moins 100 Ethereum.

Pour un usage plus intime des réseaux sociaux

Dès ses premières heures, internet a été pensé comme un lieu accessible, avec pour objectif et principe fondamental : «Aiming to give universal access to a large universe of documents» (tendre vers un accès universel à un vaste catalogue de documents). Social media et exclusivité semblent donc antinomiques. Ce n’est pas Louis Vuitton qui dira le contraire : à l’inverse de ce que propose la majorité des marques, les NFTs de son nouveau jeu Louis: The Game sont indisponibles à la vente, à la possession.

Les usages en social media ont aussi été à l’origine de la diffusion d’événements privés. Qui ne fait pas de stories de sa vie pour la partager avec ses amis du network ? Bruce Willis et Demi Moore ont partagé leur vie de famille confinée sur Instagram. Plus loin dans le temps, le selfie groupé de Kylie Jenner au gala du MET de 2017 (duquel n'est censée s’échapper aucune image) a rendu au moins un instant de l'événement public.

Du côté des plateformes, là encore l’exclusivité a du mal à trouver sa place. Clubhouse a finalement décidé de s’ouvrir à tous, et des plateformes plus communautaires cherchent à attirer une audience plus large, comme en témoigne la campagne Imagine a place de Discord. Difficile donc d’être vraiment exclusif dans ce monde de réseaux qui se connectent, s’inter-connectent, s’entre-connectent.

La recherche d’exclusivité dévoile finalement la recherche d’une meilleure maîtrise de ce qui est partagé par les utilisateurs, une sélection plus fine de ce qui est consommé et surtout offert au regard des autres. En effet, si Twitter permet désormais de choisir qui peut répondre ou non à un tweet, c’est que les utilisateurs choisissent de plus en plus de fermer leurs comptes publics et de les rendre privés. Il y a comme une fatigue, notamment de la part des jeunes générations, de partager leur vie avec des inconnus, de recevoir des likes de gens plus ou moins bizarres. Alors oui, les gens continuent et continueront de partager leur quotidien, leurs opinions, mais avec des cercles plus restreints, plus privés, plus exclusifs, pour un retour à plus d’intimité.

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