Stratégies Les 50
Marque iconique pour des millions d’adolescents, symptôme d’une transformation des usages et du rapport à la consommation, la trajectoire de Vinted, société lituanienne de 1 100 salariés, raconte probablement une partie du monde à venir. Rencontre avec Thomas Plantenga, patron trentenaire, habité par Vinted, l’essor de l’économie circulaire et la bataille face aux Gafa.

Louis Dreyfus : J’ai le sentiment que tous les ados français, en tout cas les miens, sont vos clients ! Quelle part de votre activité est faite en France ?

Thomas Plantenga : Le plus simple est de prendre la répartition de nos membres : sur les 45 millions de membres que Vinted compte dans le monde, 18 millions sont en France, soit près de la moitié ! Peut-être parce que la mode fait partie intégrante de la culture française.

Quel est le profil de vos utilisateurs hexagonaux ?

Une large majorité sont des utilisatrices. Au début, notre audience était composée de jeunes femmes, puis leurs mères sont arrivées, et maintenant les hommes. Vinted devient petit à petit un outil utilisé par l’ensemble de la société française. C’est notre philosophie : offrir un outil utile pour chacun. Et notre priorité : être accessible, compréhensible par tout le monde.

Pouvez-vous nous résumer la raison d’être de Vinted ?

Nous voulons que les biens de ­seconde main deviennent un premier choix. Ça veut dire que nous voulons que le premier réflexe au moment de chercher de nouveaux vêtements soit de vendre un vêtement et d’en chercher un d’occasion. Et même en France, nous avons encore une belle marge de progression !

Il y a bien sûr le fait de rendre l’économie de la mode pleinement circulaire, mais pas seulement. Les contraintes environnementales, et les évolutions législatives qui les accompagnent, vont forcer toute l’industrie de la mode à évoluer. C’est douloureux, mais cela crée aussi des opportunités gigantesques de croissance.

Avez-vous en tête d’autres entreprises qui ont ainsi transformé les usages ?

Des entreprises dont vous n’avez peut-être jamais entendu parler. Je pense à Adyen qui est devenue la solution référente des moyens de paiement. Ou Elasticsearch, une entreprise hollandaise en pointe dans le domaine de l’indexation des données.

Que vous inspirent ces succès ?

Aujourd’hui, il y a une vraie réflexion à avoir parmi les patrons de start-up sur ce qu’on appelle le succès. Je ne veux pas paraître arrogant, mais il faut arrêter de considérer comme un modèle de réussite le fait de vendre sa société pour 200 millions ou 300 millions de dollars, ou plus, à une entreprise américaine. L’Europe est un marché considérable avec de vraies opportunités de croissance. Pourquoi faudrait-il forcément être vendu à des Américains ou des Chinois ? Se vendre aux Américains revient à leur tendre les clés du continent. Mon erreur a peut-être été ces cinq dernières années de passer trop de temps derrière mon ordinateur et de ne pas avoir assez vu les pouvoirs publics pour les convaincre d’agir.

J’imagine qu’en France, ou sur d’autres marchés, vous avez face à vous des concurrents locaux...

Oui, parfois naissent des initiatives locales qui essaient de nous copier, mais nos vrais concurrents sont des plateformes telles que ­Facebook avec Facebook Marketplace. C’est essentiel que les sociétés européennes soient aidées face à ces plateformes. Je préfèrerais mille fois être coté plutôt que me faire racheter par Facebook. C’est essentiel que l’Europe adapte ses lois qui souvent datent du tout début des années 2000. Il faut veiller à ce que nous, sociétés européennes, ne soyons pas désavantagées et qu’il soit plus facile pour nous de construire un business transcontinental.

Comment expliquez-vous ce mouvement, d’abord générationnel, de passage d’une logique d’acheter, consommer puis stocker à celle d’acheter et échanger ?

Je suis d’accord, il y a évidemment un aspect générationnel. La nouvelle génération est particulièrement soucieuse de l’environnement et pourtant toute la mode «écoresponsable» est plus chère, donc inaccessible pour elle. Nous avons créé un dispositif qui est à la fois meilleur pour l’environnement et accessible aux jeunes générations. Vinted est et sera un ­business ­profitable, car nous mêlons des préoccupations écoresponsables et une vraie logique économique.

Quelles ont été ou sont les réactions des industriels de la mode face à ce tournant que vous incarnez ?

Des réactions classiques face à l’innovation : au début, ils vous ignorent, puis ils se moquent, cherchent à vous ridiculiser, disent à tout le monde que ça ne marchera jamais. Et après, ils essaient de vous acheter. Et quand ils voient qu’ils ne peuvent pas vous acheter, ils vous attaquent en justice, ils activent les lobbys contre vous. Et maintenant ils essaient de nous copier.

Vous avez réussi à créer un vrai business…

Aujourd’hui, plus personne ne doute que cela en soit un. Je suis heureux que tout le monde se mette à essayer de nous copier. L’industrie de la mode rassemble 2,2 trillions de dollars. Sur ce total, nos revenus comptent peu. L’image des vêtements de seconde main a aussi complètement été modifiée : ils deviennent inspirationnels, les designers s’en emparent. Et cela va aider à accélérer cette évolution.

Une autre influence marquante de Vinted sur la jeune génération est de lui donner accès à des liquidités sans passer par le filtre parental.

Ce que nous constatons en effet, c’est que l’essentiel des fonds récoltés par des ventes sur Vinted est réinjecté dans des achats sur Vinted. Évidemment, c’est ultra-vertueux pour notre modèle économique. Mais la part de jeunes dans notre audience nous force à être très vigilants. D’ailleurs, les moins de 18 ans ne sont autorisés à utiliser Vinted qu’avec le compte d’un adulte (comme le précisent nos conditions d’utilisation). De plus, vous ne voyez pas chez nous la fonction «acheter maintenant, payer plus tard» alors qu’on pourrait faire beaucoup d’argent avec. Un autre point positif est que plus l’audience utilise Vinted, plus elle y revient. On voit une part de l’audience acheter une majorité de ses vêtements sur Vinted. C’est bon pour nous, c’est bon pour l’environnement, c’est bon pour la société.

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