Législation
La décision de la DGCCRF de déréférencer le site de ventes en ligne Wish n'est pas anodine, et pose une question de fonds sur la responsabilité des sites d'intermédiation et des marketplaces. Arnaud Touati, associé au cabinet Hashtags Avocats, revient sur toutes les dimensions de ce problème, y compris politiques.

La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a enjoint mercredi 24 novembre les moteurs de recherche et d’application français à ne plus référencer le site de marketplaces Wish. Est-ce une première en France ?

Sur le plan juridique, nous avons très peu de recul. Une telle décision de la part de la DGCCRF n'est possible que depuis fin 2020, lorsqu’une modification législative lui a conféré un tel pouvoir. Nous ne savons pas dans l’absolu si c’est la première fois qu’elle l’utilise, mais c’est en tout cas la première fois qu’elle communique dessus et qu’elle communique d’ailleurs massivement. Il ne fait aucun doute que cela devrait renforcer à l’avenir les sanctions à l’égard des sites étrangers ne respectant pas les normes européennes de sécurité.

Cela peut-il aller plus loin que le déréférencement ?

C’est en tout cas potentiellement envisageable. En effet, nous comprenons en filigrane que cette mesure de déréférencement ne pourrait être qu’une étape avant de rendre inaccessible le site sur tout le territoire français si Wish ne se conformait pas aux injonctions de la DGCCRF. Pour autant, Wish a affirmé qu’ils allaient contester cette décision devant les juridictions administratives. Affaire à suivre, donc.

Qu’est ce qui a poussé la DGCCRF à prendre cette décision ?

Ce qu’il faut savoir, c’est que la DGCCRF dépend du ministère de l’Économie et des Finances et qu’elle a des fonctions de police administrative mais également d’enquête. Or, le procédé d’enquête qui a accompagné la décision est très détaillé : nous savons que la DGCCRF a commandé près de 150 produits sur le site et qu’un grand nombre d’entre eux ne respectaient pas selon elle les normes européennes de sécurité. C’est la raison pour laquelle elle a ordonné à la plateforme de retirer toutes les annonces de produits non conformes sous deux mois, ce que Wish aurait fait, mais ce qui n’aurait pas empêché les vendeurs de publier à nouveau des annonces similaires. Il apparaîtrait donc que c’est face à l’impossibilité de retirer les produits non conformes que la DGCCRF aurait pris cette décision.

«Apparaîtrait», vous n’êtes pas convaincu ?

N’ayant pas accès à la décision de la DGCCRF, il est complexe de se prononcer. Wish n’est pas un site d’e-commerce comme les autres. C’est un site d’intermédiation entre des vendeurs et des acheteurs à l’échelle mondiale. Que la DGCCRF veuille protéger tous les consommateurs de produits non conformes, c’est indiscutable et c’est même un de ses rôles principaux qu’elle exécute avec une grande efficacité. Qui peut s’opposer au fait de refuser de trouver sur le marché des guirlandes de Noël défectueuses ou des jouets pour enfants dangereux qui pourraient les étouffer ? La mission est salutaire. En revanche, la question de l’applicabilité des mesures me semble se poser. Souhaite-elle que Wish mette en place des procédures de contrôle sur chacun des produits vendus ? Il faudrait pour cela que l’entreprise teste elle-même tous les produits, ce qui me semblerait très lourd à instaurer et qui au regard des volumes de transaction, n’aurait pu se faire en simplement deux mois. Ou veut-elle que les plateformes d’intermédiation contrôlent chaque vendeur en exigeant que les normes européennes de sécurité des produits soient scrupuleusement respectées ? Dans cette hypothèse, cela entraînerait des conséquences opérationnelles qui rapprocheraient ces plateformes d’un modèle de distribution classique.

Certes, mais comment font les autres ?

Je pense que cette décision est potentiellement applicable à de nombreuses autres plateformes d’intermédiation qui se trouvent dans une situation peu ou prou similaire. C’est pour cela que je pense que cette décision contre Wish est un signal fort à destination du marché de l’intermédiation dans sa globalité. Si les plateformes doivent être responsables de la totalité des produits qui sont échangés, cela aura un impact considérable sur leur activité.

Serait-ce ce que la DGCCRF voudrait dire, mais sans le dire ?

Peut-être, mais les autres plateformes de ce type sont clairement en droit de s’interroger.

Mais n’y a-t-il pas moyen pour elles de mieux contrôler les produits ?

Selon moi, nous pouvons faire un parallèle avec la modération sur internet et l’esprit de la loi Avia qui avait été en grande partie retoquée, alors que ses intentions étaient plus que louables. Ainsi, les plateformes ont-elles réellement la capacité réelle de contrôler tous les flux qui transitent sur leur écosystème ? Ont-elles les moyens matériels et technologiques de réaliser une telle mission ? Ce fut d’ailleurs le point d’achoppement de la loi Avia : la faisabilité technique du contrôle des contenus.

Vous avez dit que la DGCCRF avait massivement communiqué sur cette décision. Doit-on y voir selon vous un geste de communication plus « politique » ?

Le contexte plaide en faveur d’une telle analyse. L’annonce a lieu deux jours avant le Black Friday, ce n’est probablement pas anodin et surtout la veille d’une réunion à Bruxelles aux termes de laquelle les pays membres doivent décider de l’avenir du Digital Market Act [le texte réglementant davantage les grandes plateformes du numériques]. Tout cela évidemment, à quelques semaines de la présidence française de l’Union Européenne, qui, on le sait, sera placée sous le signe de la réglementation du numérique. En outre, la DGCCRF dépend du ministère de l’économie qui a beaucoup insisté sur la dimension de « première mondiale » d’une telle décision. Après la taxe Gafa, c’est clairement une opération que je qualifierais de réussite pour Monsieur Bruno Le Maire.

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