Culture
Avec le Quinze.bis by Gibert, récemment ouvert à Paris, Gibert fait le pari d’une certaine diversification. Le libraire a également progressivement revu sa façon de communiquer.

Des tableaux d’artistes locaux qui côtoient des articles de décoration, des produits de soin pour la barbe exposés aux yeux des clients. Se trouve-t-on dans une boutique d’art de vivre ? Non, dans une librairie, en l’occurrence, la dernière-née des enseignes Gibert, ouverte en septembre boulevard Saint-Denis à Paris, loin de son cinquième arrondissement originel. « Un ovni dans notre stratégie », indique Olivier Pounit-Gibert, arrière-petit-fils d’un des fondateurs et aujourd’hui président du directoire de Gibert Joseph. Un lieu d’expérimentation, sur le modèle du « concept store », proposant, au-delà des livres et des disques, des articles culturels au sens élargi, ainsi qu’une programmation événementielle, du classique (colloques, rencontres…) au plus atypique (ateliers de yoga ou de poterie). Une telle diversification, sur le principe, n’est pas une première dans le commerce. Ce n’est d’ailleurs pas l’idée. « On n’invente pas un métier qu’on ne sait pas faire, défend le dirigeant. On fait beaucoup plus ici et on le markete différemment ». Ainsi, le modèle se veut soigné. Adapté à la sociologie du quartier – « qui se boboïse », souffle-t-on – il s’appuie sur un modèle de partenariat, comme avec des labels pour faire venir des artistes.

Un lieu de « destination »

Autre particularité, il accueille des jeunes entreprises qui trouvent dans le magasin, moyennant commission, un espace dédié pour exposer et vendre leurs produits. La programmation suit un rythme soutenu, avec 200 événements prévus à l’année. Un positionnement particulier qui s’incarne dans le nom du point de vente, le Quinze.bis by Gibert. « L’idée : en faire une destination, explique Rodolphe Baix, directeur marketing et communication.

Cette ouverture intervient dans un marché agité mais pas si dramatique pour la librairie, dont le Covid a mis en lumière l’importance comme « commerce essentiel » et qui a aussi contribué à resserrer les liens de ces commerçants avec leurs clients. Revers de la médaille, il a aussi donné un coup de fouet aux plateformes. « Un rebond des ventes dès le début de l’été et un mois de décembre exceptionnel ont pu gommer en partie les effets des deux confinements », écrit Xerfi dans une synthèse d’étude sur le secteur, datée de juillet. Les aides de l’Etat ont aidé. « Au final, le marché du livre progressera de 8% en valeur sur l’ensemble de l’année 2021 », note aussi l’institut. Une performance à replacer dans une évolution globale. « Le marché s’est beaucoup réorganisé ces 15-20 dernières années avec les plateformes Amazon et Fnac où se réalisent en gros 20 % des ventes en ligne. Cela se fait au détriment des grandes surfaces alimentaires tandis que le segment le plus dynamique reste celui des grandes surfaces culturelles de type Cultura. Le reste fait de la résistance », détaille Mathilde Rimaud, consultante associée chez Axiales, réseau de consultants experts du livre.

Autre caractéristique du marché : l’occasion se porte bien. Bonne nouvelle pour Gibert, très présent sur ce créneau. Selon Xerfi, elle a pesé près de 900 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2020. « Sa place est en fort développement en particulier dans le livre avec l’émergence de plateformes comme Momox. Ce qu’illustre aussi un partenariat entre Fnac et Emmaüs sur l’occasion », développe Mathilde Rimaud. Des plateformes qui constituent cependant une nouvelle forme de concurrence pour Gibert… ou pour son concurrent du quartier latin Boulinié, ancré sur le segment.

Chantiers marketing

Au-delà de ce lieu de test, le repositionnement est aussi plus global. Gibert : un nom depuis longtemps associé à l’occasion, justement, et au scolaire. « Les gens ne savent pas qu’on peut acheter le dernier Amélie Nothomb chez nous », remarque Olivier Pounit-Gibert. À la fois un avantage – ce sont les raisons qui l’ont fait connaître – et un inconvénient, ne reflétant pas la réalité de l’offre. L’image de l’enseigne, trop restrictive, devait donc être adaptée. D’où un travail engagé pour changer cette vision dans l’esprit des gens. « Pour en refaire une destination, nous avons mené un travail de mise en avant du livre pour valoriser les mangas, les BD, la littérature et le bien-être qui font des croissances à deux chiffres dans le livre », se souvient-il. Notamment par la signalétique et la lumière. Le concept store en lui-même est aussi une réponse à cette problématique.

Le marketing permet également de pousser petit à petit cette nouvelle image. Avant 2019, l’enseigne n’avait pas de direction dédiée. Lorsqu’un département s’est créé - il compte sept personnes aujourd’hui -, les chantiers ont été multiples à commencer par la gestion compliquée du « Gibert bashing » occasionné par la fermeture de magasins place Saint-Michel, repris deux ans plus tôt de l’autre branche de la famille, mais que la crise et les circonstances n’ont pas permis de redresser. Un baptême du feu pour la nouvelle direction, qui s’attèle également à d’autres tâches : enquête d’opinion auprès des clients, optimisation du merchandising, valorisation des services de la marque comme son application de rachat. C’est à ce moment-là aussi qu’est mis en place un plan marketing organisant les prises de parole de l'enseigne, toute l’année, autour de temps forts commerciaux. Gibert s’appuie sur les agences Pascale Venot pour ses relations presse et ComCorp pour des RP plus institutionnelles. En termes de leviers de communication, elle mise essentiellement sur le digital. Pas de TV à ce jour, jugée trop chère, ni d’influence autrement qu’à la marge, pour les mêmes raisons. L’enseigne devait fin novembre activer son wallet, à savoir une carte de fidélité dématérialisée, où elle comptait également pousser des messages de communication.

Pour la suite, Noël sera un baptême du feu pour l’enseigne. A plus long terme - au-delà des fêtes -, l’idée n’est pas de reproduire ailleurs le modèle atypique du Quinze.bis. Si l’enseigne, présente via un corner au Printemps Nation, est en recherche de locaux, ce serait pour en faire des espaces de services, avec vente de neuf et d’occasion, commande express ou encore click and collect. Une autre réponse à la transformation en cours du secteur.

Chiffres clés

115 millions d’euros Chiffre d’affaires déclaratif pour 2020.

650 personnes Effectif du groupe, incluant une quinzaine de salariés au Quinze.bis by Gibert.

25 Nombre de magasins du groupe. 9 sont à Paris. La capitale représente la moitié du business.

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