Restauration
Un an après le rachat de l’enseigne Courtepaille, le groupe Buffalo Grill, durement affecté par la crise, abandonne cowboys et indiens et opte pour la marque corporate Napaqaro. Un virage qui en dit long sur les défis attendant la restauration à thème dans l’Hexagone.

On aurait pu croire que la salade de bienvenue serait celle des adieux. Ou que la diligence des desserts avait versé sur le chemin, livrée aux pires convoitises. Que les amateurs de Buffalo Grill se rassurent. Le lancement de Napaqaro, nouvelle marque corporate du groupe Buffalo Grill, ne signe pas l’arrêt de mort d’une enseigne entrée dans les mœurs depuis 1980 et l’ouverture du premier établissement sous la houlette de Christian Picart. Dès le début, l’homme d’affaires s’était inspiré des « diners » de bord de route à l'américaine, profitant notamment de la fermeture des stations Total tout en injectant un marketing western très présent dans l'imaginaire collectif français, biberonné au cinéma et au rock US. Mais Fort Alamo n’est plus imprenable. Quatre décennies après sa création et dans le sillage de la plus terrible secousse de son histoire, la pandémie ayant entraîné un plongeon de 40 % du chiffre d'affaires (232 millions d'euros en 2020), Buffalo Grill doit se relancer. Montant mis sur la table pour moderniser son image : 80 à 100 millions d’euros selon les chiffres qui circulent, avec une feuille de route toute tracée. Sur un parc comptant 360 restaurants, une centaine affichent déjà les couleurs du nouveau concept et l’enseigne souhaite poursuivre dans cette voie en rénovant 50 établissements par an, auxquels s’ajouteront une vingtaine d’ouvertures. Le tout sans oublier de redonner parallèlement vie à Courtepaille (240 établissements), enseigne rivale rachetée à la barre par le groupe fin 2020 et pour laquelle un repositionnement d’envergure doit débuter au premier trimestre 2022.

Imaginaire daté

Mais si Buffalo Grill abandonne l’univers des indiens et des cowboys au profit d’une ambiance « steakhouse » à l'américaine, l’enseigne n’entend pas faire table rase du passé. « No stress, il y a toujours la salade d'accueil et la chanson d'anniversaire », rassure sur Twitter l'agence Marcel (groupe Publicis), qui accompagne la marque dans sa communication. Insuffisant pour empêcher celle-ci d’être prise à partie sur les réseaux sociaux, montant même en « trendring topic » durant plusieurs jours. « Buffalo Grill et Courtepaille vont perdurer, on ne va pas tricher avec des marques qui ont 40 ans d'histoire », aplanit dans une interview à BFMTV Jocelyn Olive, l’ambitieux président du groupe, soucieux de désamorcer les rumeurs infondées ayant circulé au sujet de Napaqaro, dont le terrain de jeu sera avant tout B to B. En d’autres termes, c’est aux fournisseurs, partenaires, employés ou franchisés actuels et futurs que la nouvelle marque s’adresse. Et non au consommateur final. « L’idée est simple : nous voulions un toit commun pour l’ensemble de nos enseignes (…) et notre marque digitale Bun Meat Bun », explique le dirigeant à Franchise-Mag, en référence à la marque de hamburgers en livraison lancée début 2021. « Il nous fallait un nom qui ait du sens, qui reflète notre image populaire et notre volonté de bâtir la restauration de demain. Nous avons fait le choix de partir sur la nappe à carreaux, (…) traditionnelle dans nos métiers. Et de l’écrire en écriture texto », retrace-t-il. Une trouvaille que le groupe doit à Olivier Auroy, fondateur d’Onomaturge, chargé de dénicher l’appellation idoine. « Il fallait un nom qui sorte de l’ordinaire tout en respectant l’histoire. De là est né Napaqaro, qui fait allusion à la réinvention du métier tout en faisant un clin d’œil à Buffalo Grill avec une consonance évoquant une tribu indienne », détaille le spécialiste, qui loue la réactivité du groupe. « En une heure, le choix était acté », se félicite-t-il quant à une écriture revisitée pour renforcer la « désémentisation » de la marque. Un procédé ayant fait ses preuves, à l’image d’Apple ou Orange, dont le sens originel a fini par s’effacer. Pas de quoi, néanmoins, éviter les railleries sur les réseaux sociaux de la part des habitués de l’enseigne, désorientés par ce virage stratégique que justifie Jocelyn Olive, à la tête de Burger King France avant de rejoindre Buffalo Grill en 2018. « Les cowboys et les indiens, ça ne parle plus à mes enfants qui sont jeunes », avance-t-il dans les médias, réfutant céder à l’idéologie « woke » qui condamne - entre autres - l'exploitation commerciale des peuples natifs d'Amérique. Pas de quoi occulter une question centrale. Dépouillé de ses atours immémoriaux, le nouveau concept ne risque-t-il pas de couper la marque de son public ?

Pression concurrentielle

Car Buffalo Grill est une institution. L’enseigne dispose d’une notoriété établie et rares sont les Français à ne pas s’être restaurés dans un de ses établissements au toit rouge orné de cornes de bison. Un statut qui, au-delà des conséquences du coronavirus, ne suffit plus pour conserver son rang. « Aujourd’hui, la moindre ZAC (zone d’aménagement concerté) déborde de restaurants, qui vont de McDonald’s à la Taverne de Maître Kanter en passant par Del Arte, La Pataterie, les buffets à volonté, les chaînes régionales, les indépendants… La pression concurrentielle force tout le monde à bouger », contextualise Etienne de Laharpe, directeur des stratégies chez BETC Shopper, pour qui Buffalo Grill ne pouvait pas tourner le dos aux codes US. « Cela aurait été une erreur car cet imaginaire reste très puissant. Et puis l’abandonner pour devenir quoi ? Un clone de La Boucherie ? Non, ils assument et tentent d’augmenter le rapport valeur-prix en rendant le concept plus adulte. Ça se tient », poursuit-il. « La durée de vie des concepts a tendance à se raccourcir. La règle, dans la restauration traditionnelle, c'est de changer - au moins sa décoration - tous les cinq ans. Ce qui peut s'avérer une gageure pour de gros réseaux comme Buffalo Grill », ajoute Philippe de Taffin, président de l’agence Matador spécialisée dans la communication des lieux, louant le « courage » d’un tel investissement. De quoi inverser la tendance ? Rien n’est moins sûr. « Pour Buffalo Grill, c’est compliqué. Leur matière première est plus chère donc moins facile à rentabiliser que crêpe, pizza ou pomme de terre. C’est une enseigne reconnue donc on attend le zéro défaut sur le contrat qualité et traçabilité. C’est aussi un modèle de service à la table, gourmand en temps homme. Et à cette équation économique compliquée s’ajoute une concurrence culturelle sur la viande », estime Etienne de Laharpe. « Ce qui a fait le plus de mal à Buffalo c’est l’arrivée de Burger King dans les ZAC. Outre la simplicité d’usage, Burger King est très fort sur la qualité, le goût et le rapport satiété-prix. Son positionnement sur la flamme satisfait les amateurs de “vraie” viande et il apporte - qui plus est avec humour - un imaginaire US plus authentique, moderne et viril que Buffalo », considère-t-il. Pas simple à contrer. D’autant que de nouveaux entrants poussent derrière comme Au Bureau ou Ninkasi, qui pourraient à terme supplanter des enseignes historiques comme Courtepaille, Buffalo Grill ou Léon de Bruxelles, devenu officiellement Léon il y a quelques semaines pour tenter de redynamiser un modèle vieillissant.

Triomphe du produit

Outre une recomposition qui force les enseignes traditionnelles à se réinventer sous peine de péricliter, une autre interrogation structurelle revient. « Les zones d'activité commerciales restent très puissantes mais dans l'esprit des gens, elles peuvent donner l'impression d'être de moins en moins aimées. Ce que les médias appellent “La France moche” », pointe Philippe de Taffin, en écho à un maillon pourtant essentiel du paysage économique et urbanistique français, dont l’essor a coïncidé avec celui du modèle de la franchise. « La restauration représente une part importante de la franchise, qui couvre près de 90 secteurs d’activité. À elles seules, la restauration à thème et la restauration rapide représentent près de 10 % du chiffre d’affaires total sous franchise », cadre Véronique Discours-Buhot, déléguée générale de la Fédération française de la franchise, soulignant le poids et le succès croissants de ce modèle dans l’Hexagone. Problème : après avoir longtemps séduit les investisseurs et les pouvoirs publics, l’écosystème des ZAC – et par conséquent la restauration à thème - est à un tournant. « C’est un thème largement abordé au cours des actuelles Assises du commerce. Il y a toujours eu une forme de balance entre centres-villes et centres commerciaux, qui a peut-être mené à une forme de désertification du centre-ville ces dernières années. Tout du moins à une raréfaction des commerces dits chauds. Mais il faut arrêter de les opposer car ce sont deux modèles complémentaires », plaide la déléguée générale. Dernier élément relatif à l’avenir de ces enseignes historiques, une tendance de fond globalement défavorable comme l’explique François Peretti, planneur stratégique et cofondateur de l’agence Nicky Paris. « Depuis quelques années, toutes ces enseignes partagent le même constat : celui de l’épuisement de l’imaginaire au profit du produit. Les raisons sont multiples : prolifération des nouveaux concepts, baisse du nombre de sorties au restaurant à partir de 2012 et, surtout, difficulté à partager publiquement l’expérience. Pourquoi ? Parce que la culture populaire a digéré ces enseignes en les chargeant d’une connotation beauf, cheap, ringarde. En un mot, caricaturale. Mais surtout, parce que l’artificialité inhérente aux concepts va, par essence, à rebours des codes Instagram qui prônent l’authenticité, le retour au vrai... D’autant que la thématisation en tant que telle est limitée en comparaison d’exemples américains comme le Rainforest Café, où le repas se déroule dans un décor de jungle équatoriale avec de nombreuses animations, des animaux géants, une cascade, des aquariums… », jauge-t-il. Et si, comme titrait Le Parisien, « Buffalo Grill sans les cow-boys, c’est comme Disneyland sans Mickey » ?

Chiffres clés

600. Nombre de restaurants du groupe Napaqaro (360 Buffalo Grill et 240 Courtepaille)11 000. Nombre de collaborateurs du groupe Napaqaro100 millions d’euros. Chiffre d’affaires annuel que génèrent les activités de livraison à domicile du groupe Napaqaro232 millions d’euros. Chiffre d’affaires 2020 de l’enseigne Buffalo Grill800 millions d'euros. Chiffre d’affaires annuel du groupe Napaqaro1,8 milliard d’euros. Chiffre d’affaires annuel de la restauration à thème sous franchise6 milliards d’euros. Chiffre d’affaires annuel de la restauration rapide sous franchise

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