Sept. C’est le nombre de prospectus que les Français reçoivent chaque semaine en moyenne dans leur boîte aux lettres. Et 58 % d’entre eux en lisent au moins un. « L’imprimé publicitaire se distingue des autres médias en cela qu’il est non intrusif, contrairement aux pop-up sur ordinateur, pose en guise de préliminaire Karine Laravoire, directrice générale de Mediapost, filiale du groupe La Poste spécialisée dans la communication de proximité et le marketing relationnel. C’est le prospect qui décide de l’instant où il va entrer en contact avec le message. »
Autre avantage d’un message publicitaire sur support papier, son taux de mémorisation : 61 % pour le courrier adressé, 27 % pour le prospectus, alors qu’il serait seulement de 5 % pour la publicité digitale, selon des données de La Poste Solutions Business. Le papier est également un champion de l’efficacité en termes de trafic en magasin. Les points de vente ayant eu recours à une campagne d’imprimés publicitaires auraient un indice de fréquentation de huit points supérieur aux points de vente ayant arrêté ce type de campagne, selon les enseignements d’une étude Mediapost et Locala de 2022.
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Malgré ses atouts, la communication papier est à la peine, avec des résultats au premier semestre 2022 en régression sur une année, selon le Baromètre unifié du marché publicitaire (Bump) de Kantar, l’Irep et France Pub. Les prospectus ont généré 241 millions d’euros de recettes sur les six premiers mois de l’année, soit une baisse de 4 % par rapport à 2021 (-20,6 % par rapport à 2019, année de référence avant la crise du covid). Le courrier adressé ne fait guère mieux : s’il a réalisé 324 millions d’euros de recettes, il est en retrait de 2,8 % par rapport à 2021 (-21,2 % par rapport à 2019).
Ces résultats sont à mettre en regard avec la situation économique de l’industrie papetière, en grande difficulté, à l’image d’Arjowiggins, placée sous administration judiciaire. « Le prix du papier a doublé par rapport à 2019 », déclare Thierry Griselin, directeur général France et Benelux d’Antalis, acteur mondial de la distribution de papier. « On revient à des prix d’il y a 25 ans », poursuit-il. Le papier est en déclin depuis quinze ans, selon le dirigeant, en raison de la digitalisation des usages, caractérisée par la dématérialisation, et des années d’une offre supérieure à la demande qui a tiré les prix vers le bas.
« Les usines qui n’étaient pas rentables ont dû fermer, d’autres ont arrêté le papier graphique pour se reconvertir en usine de papier d’emballage, un marché d’avenir avec l’explosion de l’e-commerce », relate Thierry Griselin. Le covid a eu pour effet de ralentir l’activité et de provoquer une crise de l’approvisionnement des matières premières. La guerre en Ukraine a créé d’autres perturbations, les usines russes fournissant 15 % à 20 % du papier en Europe, toujours selon Thierry Griselin. « Aujourd’hui, les capacités des usines de production de papier ne peuvent plus soutenir la demande », résume-t-il. À cela, s’ajoute la flambée des prix de l’énergie qui multiplie les coûts de production.
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Pour se prémunir des pénuries, certains prennent les devants. Le 13 septembre 2022, la maison-mère de Lidl, le groupe Schwarz, a racheté une usine de papier en Allemagne, à Maxau, dont la capacité de production est estimée par plusieurs sites spécialisés à 530 000 tonnes de papier pour des usages graphiques. De quoi supposément assurer l’approvisionnement en papier du catalogue de Lidl, un support de communication important pour l’enseigne. Contacté par Stratégies, Lidl n’a pas souhaité témoigner.
Car la hausse du prix du papier n’est pas le seul facteur pénalisant la communication print. Cette dernière semble souffrir d’une mauvaise image : aucune marque contactée pour les besoins de cet article n’a accepté de répondre. La communication papier serait-elle devenue un sujet sensible ? « Les marques ont peur de la confusion des consommateurs sur la déforestation en Amazonie, devine Thierry Griselin. Et ce alors que les forêts papetières sont réglementées en Europe. » Il faut dire que la société est plus que jamais attentive à la question environnementale.
La Convention citoyenne pour le climat avait d’ailleurs préconisé une interdiction de dépôt de publicités dans les boîtes aux lettres pour janvier 2021. Certes écologique, la mesure aurait potentiellement mis en péril 59 790 emplois dans l’imprimé publicitaire (auxquels s’ajoutent les emplois liés à l’activité comme, par exemple, les 28 300 personnes en charge de la distribution des prospectus), selon les estimations socio-économiques de la filière menées en 2019 par le cabinet EY pour Mediapost.
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La loi Climat et résilience de 2021, qui reprend en partie la proposition de la Convention citoyenne, a quant à elle ouvert la voie à l’expérimentation du « Oui Pub », moins drastique. « Le dispositif renverse la logique du “Stop Pub” qui prévalait jusqu’alors. Seuls les habitants qui ont apposé une étiquette “Oui Pub” sur leur boîte aux lettres donnent leur accord à la réception de prospectus », explique Laurence Gouthière, ingénieure au sein du service consommation responsable de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe).
« L’objectif n’est pas de priver les citoyens qui ont l’usage de ce type de communication », poursuit-elle. Cela est particulièrement vrai pour les prospectus promotionnels des grandes surfaces alimentaires alors que l’inflation pèse actuellement sur le pouvoir d’achat. « L’ambition de Oui Pub est de lutter contre le gaspillage alors qu’en France, chaque foyer a reçu plus de 26 kg d’imprimés publicitaires sans adresse en 2020, soit en moyenne près de 12 kg par habitant », relève-t-elle.
Pour l’expérimentation, menée jusqu’en mai 2025, quatorze territoires ont répondu à l’appel à candidatures de l’Ademe, notamment la ville de Bordeaux, la Communauté urbaine de Dunkerque et une zone des Côtes-d’Armor. Ces quatorze territoires ne représentent cependant que 4 % de la population française, soit 2,6 millions d’habitants. « Les collectivités de ces territoires pilotes sont libres d’organiser l’expérimentation, avec par exemple l’autocollant qui est distribué ou à venir chercher en mairie », relate Laurence Gouthière. Les premiers résultats sont attendus pour la fin octobre, notamment le taux d’apposition de l’autocollant ou encore le suivi de tonnage des déchets (ici, les prospectus jetés).
La phase d’évaluation aura lieu dans deux ans. Les collectivités devront remettre un rapport de retour d’expérience le 1er novembre 2024, sur plusieurs indicateurs, en recueillant les commentaires de l’ensemble des acteurs. Un exercice qui s’annonce délicat tant les implications sont nombreuses. Outre la perspective de débats d’experts sur les émissions de CO2 entre le papier et le digital, la crainte des acteurs de la publicité est que les autocollants apposés ne soient pas assez nombreux et donc que les impressions et la distribution ne soient plus rentables dans certaines zones géographiques. « Est-ce que les Français auront suffisamment d’informations pour adopter le Oui Pub ? Les annonceurs poursuivront-ils leurs campagnes en boîte aux lettres et à quel prix ? », s’inquiète déjà Karine Laravoire.