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En rayon chez Carrefour, Monoprix, Leclerc et les autres, la start-up d’origine espagnole Heura entend s’imposer sur le marché de la viande végétale avec ses produits ainsi qu’à travers une communication qui ose.

Ce jeudi 10 novembre, rue Cadet dans le 9e arrondissement de Paris, des effluves de burgers pourraient se faire sentir. Pour cinq jours, Heura, start-up d’origine espagnole spécialisée dans les produits végétaux offrant une alternative à la viande, y monte son premier pop-up store en France, où elle est arrivée depuis peu, au printemps 2021. Au menu : distribution de burgers au « poulet » et dégustation de produits. « Nous avons ce pop-up, nous étions en 2022 présents au salon de l’Agriculture, via des restaurants partenaires à Rock en Seine… En 2023, nous souhaiterons aller à la rencontre des gens pour les faire déguster nos produits », confie Laurent Gubbels, responsable communication.  

Car celle qui vient fin octobre de boucler un tour de table de 20 millions d’euros pour accélérer son développement à l’international ne cache pas ses ambitions : devenir « le leader européen de la technologie alimentaire végétale d'ici 2027 », selon un communiqué d’annonce de la levée de fonds. Présente dans 24 pays, dont l’Allemagne et la République Tchèque depuis ces dernières semaines, cette entreprise de 180 personnes a fait de la France « son deuxième ou troisième marché derrière l’Espagne », selon Laurent Gubbels. Même si les chiffres restent relativement modestes : l’Hexagone, où sont basés 7 salariés sur 180, représente aujourd’hui 5 % de son chiffre d’affaires. Celui-ci s’élevait à 14,7 millions d’euros à mi-2022, contre 7,6 millions à la même période en 2021, une croissance à faire des envieux. En s’appuyant sur ses trois commerciaux et sur une force de vente externalisée d’une vingtaine de personnes, elle séduit la grande distribution : elle est référencée chez Carrefour, Monoprix, Leclerc, Géant Casino, Super U, bientôt Intermarché, soit plus de 2000 points de vente. Elle vise aussi les restaurants (tous types), les dark kitchens et les épiceries vegan.

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Si sa croissance est rapide, la Barcelonaise est loin d’être seule sur son marché, qui a explosé ces dernières années. « Après un pic à 400 millions d’euros en 2022, le marché tricolore des alternatives végétales devrait tomber à 394 millions en 2025 », écrivait Matteo Neri, directeur d’études chez Xerfi, sur le blog de l’institut, fin 2021. Arrivant sur un créneau où les industriels comme Herta, Garden Gourmet (Nestlé) ou le pionnier Olga (ex-Triballat Noyal, qui possède la marque Sojasun) ont pris leurs quartiers, les start-up ont essaimé : Heura, La Vie, HappyVore, Accro, Hari&Co… Quand un Burger King met un burger végétal au menu, c’est aussi le signe que les choses changent. Quant aux consommateurs, ils évoluent aussi (lentement). « Les vegans représentent en France 0,7% de la population, les végétariens, 3 à 4%, les flexitariens, 40% », pose Xavier Terlet, codirigeant de ProtéinesXTC, cabinet de conseil en stratégie, innovation et communication pour l’agroalimentaire. « Il existe une appétence pour les produits à base de végétal pour le côté santé. La deuxième motivation, environnementale, est certainement le plus gros facteur de croissance de ces dernières années : la viande représente à elle seule 10% des émissions de CO2 mondiales », complète Grégory Dubourg, dirigeant de Nutrikéo, agence de conseil en stratégies nutrition et en communication. Selon une étude OpinionWay-Good Food Institute Europe dévoilée en septembre, 27% des Français consomment déjà de la viande d’origine végétale tous les mois. Reste une marge de progression énorme…

Pour progresser, la qualité sera clé. « La France est le pays qui accorde le plus d’importance au goût, la plus grosse barrière au niveau du végétal », reconnaît Laurent Gubbels. C’est ensuite que la communication peut prendre le relais. Sur le discours, Heura semble cocher les bonnes cases. Elle met en avant sur ses packagings le Nutri-Score A de ses produits. Par ailleurs, « elle est dans l’esprit de travailler avec moins d’ingrédients, d’en avoir une liste courte pour jouer sur la transparence qui est une préoccupation des consommateurs », relève Sandrine Doppler, experte indépendante en transition alimentaire et innovation. Autre aspect de son positionnement : elle joue la carte méditerranéenne. « Elle a un territoire : l’Espagne, le Sud, l’huile d’olive, détaille Xavier Terlet. Couleur jaune, feuille d’olivier… On a l’impression que c’est le nouveau régime crétois. C’est malin car cette catégorie souffre d’une image de produits trop transformés et a besoin de s’enraciner dans une tradition et de jouer la carte de la santé. »

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Au-delà des packagings, sa communication, réalisée en interne, apparaît engagée. Heura se voit en « porte-parole de la transition végétale en Europe », explique-t-elle dans un communiqué de juin. L’alimentation, la planète, les animaux figurent parmi ses principaux sujets d’expression. « Nous avons été créés par deux activistes de la cause animale [Marc Coloma et Bernat Ananos Martinez] qui ont voulu avoir un plus grand impact pour les animaux », rappelle Laurent Gubbels. Son compte Instagram, ses campagnes d’affichage dans Paris et le métro en mars, en avril et en mai-juin derniers reflètent ce parti pris. « Nos messages vont au-delà de la vente de produits. Des solutions existent face à l’éco-anxiété. Si l'on passait tous au végétal, on réduirait le CO2, la consommation d’eau, etc. », développe-t-il. « Le climat change, les barbecues aussi », « Grille ta viande, pas la planète », « Ce vendredi saint, mange de la viande », proclamait-elle ainsi dans la capitale. « Les marques peuvent avoir peur de s’engager. Pas nous. En Italie, nous avons posté sur les réseaux sociaux un message anti-Meloni. C’est un peu plus léger en France. Les gens qui s’engagent, cela plaît. Nous avons reçu quelques critiques mais beaucoup de soutien », relate le porte-parole.

« Aucune transition alimentaire ne s’est faite en souplesse. En matière de transition écologique, on a dépassé les politesses de salon », apprécie Sandrine Doppler. Un bémol ? Pas sûr que cela suffise à se différencier : une marque comme La Vie occupe aussi ce créneau, un peu provocateur et décalé. « Dans les codes couleur et le message, Heura oublie la notion de plaisir », estime Grégory Dubourg. Autre écueil à éviter, pour Heura et les autres : le fait de vouloir absolument se comparer à de la viande, au risque de souffrir du rapprochement. En attendant, une nouvelle campagne d’affichage est prévue pour janvier.

Chiffres clés

180 Effectif d’Heura.

14,7 millions d’euros Chiffre d’affaires à mi-2022, contre 7,6 millions à la même période en 2021.

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