Marques

Depuis quelques mois, la France assiste à la fermeture en chaîne de marques emblématiques du prêt-à-porter - souvent implantées dans le Nord ou dans l'Ouest. En plus de la pandémie, ces fermetures résultent d’un détournement des consommateurs vers des enseignes plus écoresponsables, plus digitales et plus agiles.

Fermeture de rideau pour l’enseigne de chaussures San Marina. C’était samedi 18 février. La société qui employait près de 600 personnes sur 163 magasins devient la dernière victime sur la longue liste des magasins contraints de cesser leurs activités. Elle suit le parcours funèbre de nombreuses enseignes de prêt-à-porter et de chaussures milieu de gamme, à l’image de Cop.Copine, Kookaï, André, Go Sport, Pimkie… Des marques mythiques des années 80-90 qui, tour à tour, se sont retrouvées en cessation de paiements puis en liquidation judiciaire. Même les Galeries Lafayette ont demandé à bénéficier d’une procédure de sauvegarde. Évidemment, la question du timing se pose. Pourquoi tout d’un coup, ces enseignes françaises ferment-elles les unes après les autres ? « Le covid a entraîné une baisse de marché de 15 % en 2020. Il y avait une amélioration que l’on pouvait attendre en 2022 mais l’inflation a suivi, ce qui est très dommageable pour le secteur des vêtements, avec notamment une hausse des prix des vêtements. Cette hausse n’est pas monstrueuse mais suffisante pour que les ménages revoient leurs priorités, sachant qu’en parallèle l’alimentation et l’énergie ont aussi subi une hausse des prix », introduit Gildas Minvielle, directeur de l’Observatoire économique de l’Institut français de la mode (IFM). En effet, toujours selon l’Observatoire économique de l’IFM, les ventes de vêtements en 2022 restent près de 10 % inférieures à leur niveau de 2019, juste avant la pandémie.

Bien que le covid n’ait pas été clément avec les enseignes de prêt-à-porter, cette réaction en chaîne résulte de plusieurs années sans investissements, de quelconque sorte. « Dans les années 1990-2000, les chaînes historiques, Camaïeu, Promod, Etam… se sont fortement développées, entraînant une hausse de part de marché mais aussi une forte concurrence, surtout dans le secteur du milieu de gamme. Le parc des marques a continué de se développer, alors que celles-ci investissaient peu en interne. En réalité, cette crise des chaînes date depuis 2015 », retrace Gildas Minvielle. Depuis Vivarte plus précisément. Longtemps prospère, le groupe propriétaire de marques emblématiques comme Caroll, ou encore La Halle aux Vêtements, a subi comme beaucoup la crise économique de 2008. Il avait tenté de redresser la barre avec un plan d’investissements de 150 millions d’euros sur trois ans. Mais la consommation du prêt-à-porter s’est réduite et toutes les enseignes de textile ont été touchées. Les dettes s’accumulent et contraignent le groupe en 2015 de présenter un plan social. Des dettes aussi dues en partie à l’augmentation des loyers des magasins. Le directeur de l’Alliance du commerce, Yohann Petiot alerte : « Le loyer a pris 9 % entre 2020 et 2023, à cette même période, l’activité a pris moins 4 %. Il est normal que nous allions vers une réduction au détriment des villes moyennes. Si nous n’aidons pas ces entreprises à plafonner les loyers et/ou à faciliter leurs paiements, nous allons vers des fermetures de magasins en chaîne. »

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« Face à ces fermetures, il y a plusieurs explications : le loupé du digital, l’expérience client et le sujet de l’écoresponsabilité », lance tout de go Sébastien Renault, directeur artistique du cabinet Promostyl. En effet, dans ce marché, la part de l’e-commerce représente désormais 18 %, une moyenne tirée vers le haut par les marques uniquement créées en ligne. Alors que les marques historiques se situent en dessous de 5 %. Et quand des pure players arrivent sur le marché avec une gamme de petits prix, à l’instar de SheIn, les marques emblématiques françaises ne font plus le poids face aux nouveaux usages des consommateurs. À cela s’ajoute la seconde main, ce nouveau mode de consommation pèse 6 milliards d’euros rien qu'en France. « Le marché s’est polarisé en deux avec, d’un côté, les produits d’entrée de gamme vendus par Gémo ou Kiabi et de l’autre, le premium. En effet, ces dix dernières années, nous avons assisté à un développement de l’offre premium, avec des belles pièces mais plus abordables que le luxe. Si avant, un client achetait tous ses produits dans une enseigne, désormais, il achète des basiques auprès des enseignes à bas prix et des grosses pièces chez les enseignes premium », pointe Martin Crepy, associé au cabinet Simon Kucher. Si la polarisation s’est accentuée, c’est aussi parce que les marques du « milieu » n’ont pas ou peu investi dans la recherche de tendance et de style. « Il y a de moins en moins de stylistes en entreprises au profit des chefs de produit qui voyagent et ramènent des idées. Les marques qui persistent sont celles qui ont une force de frappe, des moyens financiers pour se payer des créateurs et communiquer dessus. Ou ce sont celles qui proposent des produits iconiques comme Lacoste, K-way, Petit Bateau… Elles ont une identité », souligne Sébastien Renault. La perte d’identité se traduit toujours a fortiori par une perte de savoir-faire.

« Dans les années 80, ces marques souvent natives du Nord défendaient une culture industrielle, elles avaient intégré leur outil de production et, pour les consommateurs, cela traduisait un savoir-faire et une qualité. Désormais, ces distributeurs sont totalement dématérialisés, entraînant une dégradation de leur image avec les années. Pour autant, ce n’est pas parce qu’en moyenne ce marché est en mauvaise santé qu’il n’y a pas de place pour de nouvelles marques. Au contraire, il y aura de la place pour celles qui militeront pour le savoir-faire », avance le directeur de l’Observatoire économique de l’IFM. Si des marques comme Promod, Celio ou encore Jennyfer, sortent à peine la tête de l’eau, c’est qu’elles se sont remises en question, revoyant toute leur stratégie. « Jennyfer est un bon exemple de success story. La marque a compris qu’elle devenait has been et s’est donc relancée en travaillant avec des influenceurs et a surtout arrêté les promotions à tout va. Quant à Promod, elle a décidé de se repositionner courant 2022 vers les jeunes. Les marques ont vieilli avec leurs consommateurs. À ce stade, il vaut mieux prendre des risques et entamer des changements. Camaïeu est mort en restant elle-même », affirme Martin Crepy. En attendant, personne ne peut prédire le sort des derniers distributeurs français même si tous s’accordent à dire que le marché ne sera pas porteur en 2023 : « Le modèle du milieu de gamme n’est pas mort, il doit se réinventer avec un positionnement clair », conseille Martin Crepy.

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