Stratégies Les 15

Start-up spécialisées dans l’économie circulaire, SmartBack et Secondly proposent des alternatives porteuses au schéma de consommation traditionnel et au problème du gaspillage. Rencontre avec leurs fondateurs, Olympe Chabert et Timothée Coisne.

Vous êtes entrepreneurs, qu’est-ce qui vous a donné le déclic pour vous lancer ?

OLYMPE CHABERT. Avec Ariane Varale, nous sommes associées depuis octobre 2021. Dès notre rencontre sur les bancs d’HEC, nous voulions un métier avec du sens et nous nous sommes lancées dans l’entrepreneuriat. En découvrant l’envers du décor de l'e-commerce, nous avons été choquées par le gaspillage et l’impact carbone lié aux retours. Nous avons interrogé des centaines d'e-commerçants, fabricants et logisticiens et visité des dizaines d’entrepôts pour comprendre quels étaient les freins au réemploi, au reconditionnement ou à l’upcycling. Notre rôle est de faire avancer tout le monde dans le bon sens en commençant par « faire bouger les entreprises bien installées ». Si lutter contre le gaspillage est notre credo, trouver des solutions concrètes et rentables pour l’éviter est notre raison d’être. C’est notre responsabilité et c’est notre mission de donner la meilleure seconde vie aux retours e-commerce en local.

TIMOTHÉE COISNE. Pour ma part, le déclic a été un long cheminement, après un tour du monde en vélo et plus de 15 000 kilomètres parcourus. Je cherchais à m’épanouir dans un domaine qui ait du sens au niveau environnemental et social. Je voulais un métier avec un process industriel structurant dans lequel nous pouvions innover et inventer de nouveaux produits et de nouvelles manières de faire. En 2011, j’ai entendu parler d’un changement réglementaire concernant le recyclage des produits d’ameublement et la filière de recyclage des matelas était un univers totalement vierge. J’ai donc saisi cette opportunité et fait une rencontre clé avec mon associé Erwan Le Yaouanq. Notre association a permis l’émergence de Secondly en 2012. Tous nos modèles sont fabriqués à partir de matières recyclées, c’est notre plus grande fierté. Notre mission depuis dix ans est la même, recycler et réemployer, plus que jamais, nos déchets sont nos ressources ! Aujourd’hui, nous nous diversifions et répondons à de nouvelles demandes en développant des matelas, des tapis d’escalade ou en travaillant sur des matières acoustiques pour l’industrie automobile.

L’économie circulaire est au cœur de votre mission : quelle est votre vision de la place de l’économie circulaire dans le futur, quels en sont les bénéfices pour la société et quels sont les freins que vous rencontrez ?

O.C. Nous devons sortir du modèle classique « extraire, fabriquer, consommer, jeter », nous voulons imposer de nouveaux process industriels et business models. Aujourd’hui, peu d’industriels savent comment intégrer des matières recyclées, réparer des produits, vendre des produits uniques...  Nous sommes au démarrage de l’économie circulaire et il nous faut être pédagogues. En tant que « start-up à mission », c’est notre rôle d’aider les géants du retail à construire ces nouveaux modèles. Nous rendons le réemploi plus économique que la destruction ou le recyclage. Grâce à SmartBack, des tonnes de CO2 de transport sont évitées, des milliers de meubles sont sauvés de la benne et des centaines d’associations partout en France sont soutenues mais ce n’est pas encore financièrement valorisé. Nous devons transformer les choses de l’intérieur, nous sommes créatrices d’emplois et nous contribuons à la réindustrialisation.

T.C. Comme Olympe et Ariane, je suis convaincu de la nécessité de rendre notre économie circulaire. Nous marchons sur la tête avec notre système linéaire actuel. C’est ce que nous cherchons à faire chez Secondly. Le bénéfice est évident : baisse de la pression sur nos ressources naturelles et nouvelle vie donnée à des produits qui avaient pour seule finalité l’enfouissement ou l’incinération. Cependant, le quotidien reste compliqué et le modèle de l’économie circulaire est encore très fragile. Par exemple, nos ressources sont nos déchets : comment gérez-vous la traçabilité ? C’est bien d’être sain pour la planète mais est-ce sain pour l’homme ? Ces deux questions anodines et légitimes demandent un travail colossal. Les normes et certifications doivent prendre en compte cette réalité au risque de condamner la filière. Il faut assumer un affichage environnemental, chez Secondly, c’est validé et efficient depuis deux semaines. On avance, lentement mais sûrement.

Quelles sont les spécificités du modèle d’affaires et d’une entreprise engagée dans l’économie circulaire ?

O.C. Quand on se lance dans l’économie circulaire, on n’arrive à rien seuls. Il faut réfléchir en filière et travailler avec tous les acteurs de la chaîne de valeur pour construire un modèle gagnant-gagnant pour tous et pérenne sur le long terme. C’est notre mission chez SmartBack : nous nous positionnons en chefs d’orchestre pour que les intérêts des consommateurs, des distributeurs, des logisticiens, des associations et des magasins de seconde main soient alignés. La transparence, la confiance et une équation économique saine sont les ingrédients d’une collaboration durable. Pour développer l’économie circulaire, il faut développer la coopération.

T.C. Effectivement, au démarrage, nous privilégions des coopérations avec des personnes convaincues de la nécessité de changer. L’effort que nous fournissons au quotidien pour créer une nouvelle filière, nos clients doivent également y contribuer et avoir l’envie de faire évoluer leurs pratiques tout en étant conscients qu’il s’agit d’un travail exigent qui s’inscrit sur la durée. C’est pourquoi, pour chaque application (isolation, ameublement, protection, literie…), nous privilégions des acteurs engagés ayant la capacité à faire du volume et à entraîner tout le secteur. Nous préférons donc des partenariats de long terme. Pour développer l’économie circulaire, il faut du temps long.

En quoi l’entreprise à mission peut-elle aider les entreprises à se transformer, selon vous ?

O.C. Avoir inscrit notre mission d’utilité environnementale et sociale dans nos statuts nous aide à garder le cap dans les choix stratégiques de développement. Cela a été le cas, par exemple, lorsque ManoMano nous a demandé d’étendre nos services pour faire de la reprise à domicile d’anciens mobiliers. Nous avons fait un test pour estimer le taux de réemploi : 60% des produits ont pu être sauvés de la benne. Nous avons donc développé cette nouvelle branche de notre activité. Ensuite, être une entreprise à mission nous aide à recruter des profils partageant notre vision. Gabriel et Martin, nos premières recrues, ont choisi de nous rejoindre avant tout pour notre mission sociale. Maintenant, nous sommes aussi responsables vis-à-vis d’eux pour mener à bien notre mission et avons mis en place des KPI d’impact sur lesquels nous nous challengeons. Nous constatons, au jour le jour, que nous avançons avec celles et ceux qui souhaitent s’engager. L’entreprise à mission est donc à la fois une boussole stratégique, un levier d’innovation et d’engagement, avec un impact très positif sur la marque employeur.

T.C. Oui, les équipes doivent adhérer au projet de l’entreprise et à sa raison d’être. Cela est particulièrement vrai pour les postes à responsabilité. La mission de notre entreprise n’est pas forcément le levier de motivation de nos 75 collaborateurs ou en tout cas, nous n’avons pas encore réussi à créer l’élan suffisant. Nous faisons au quotidien un métier difficile et nous accueillons de nombreuses personnes en insertion professionnelle (30% de l’effectif). Pour ces publics, l’adhésion à l’entreprise se mesure davantage dans la stabilité que nous leur apportons et la confiance retrouvée dans leur capacité à se remettre au travail. Il nous faut du temps pour passer de l’entreprise d’insertion à celle d’entreprise à mission, nous y travaillons.

Si vous aviez une baguette magique, à quoi l’utiliseriez-vous ?

O.C. À casser l’image que l’économie circulaire, c’est coûteux, complexe et lent à mettre en place. Penser ces nouveaux modèles est passionnant intellectuellement. Coconstruire avec les parties prenantes associatives, professionnelles et institutionnelles fait grandir. Apporter sa petite brique est gratifiant et rend optimiste. À mon échelle, je ne change pas la face du monde mais je tire beaucoup d’épanouissement personnel de mon travail, je me sens en cohérence avec mes valeurs et les relations humaines créées grâce à la mission de SmartBack me portent au quotidien.

T.C. Faire en sorte que tous les produits soient conçus en intégrant des composants recyclés et recyclables. Cela peut paraître impossible aux industriels mais de la contrainte naît l’innovation et le législateur a un vrai rôle à jouer. Tous acteurs ! Tout le monde a un rôle à jouer, les consommateurs, en changeant leurs modes de consommation, les distributeurs, en étant transparents et en rendant l’économie circulaire plus désirable, les industriels, en s’engageant dans l’éco-conception et en changeant leurs habitudes par l’intégration de nouvelles matières issues du recyclage, et l’État, en accélérant la transformation de l’économie par le biais règlementaire et fiscal.

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