Évenement

Christel Heydemann arrivera en avril à la direction du groupe Orange. Chez cette ingénieure en chef diplômée des Ponts, consolidation, transformation et passerelles sont attendues.

Elle sera la deuxième femme à piloter un groupe du CAC40, après Catherine MacGregor, directrice générale d’Engie, et avant Estelle Brachlianoff, la patronne de Veolia à compter du 1er juillet. À 47 ans, Christel Heydemann arrivera le 4 avril à la tête d’Orange avec une gouvernance à inventer, une feuille de route à écrire et une stratégie à réenchanter. Ses proches décrivent une X-Ponts non cérébrale, bien qu’assez secrète, et une femme de terrain, facile d’abord et refusant les dogmes. « Elle peut décider assez vite et réajuster ses prises de décision, souligne un cadre dirigeant de Schneider Electric où elle quitte un poste de directrice Europe. Elle voit toujours les choses sous un angle positif. S’il y a un centilitre d’eau, la bouteille est pleine ! Et elle a la baraka ! ».

Caroline Cassoux, vice-présidente chargée de l’expérience client chez Schneider, relève aussi une capacité à aller sur le terrain « avec les équipes et les clients pour signer de gros deals mais aussi pour écouter ce qui ne va pas ». Tous les mois, elle commence ses comités de direction par une revue de la satisfaction clients et prend soin de placer la clientèle au cœur des business reviews. « Cela passe, pour elle, par la relation de confiance et l’adaptation de la solution », relate-t-elle.

Qu’en sera-t-il à Orange où la nouvelle patronne doit venir apporter un nouveau souffle après trois mandats de Stéphane Richard ? Si le prédécesseur est unanimement reconnu pour ses qualités de pacificateur social après la crise des suicides de France Télécom et sa vision sur l’Afrique, il laisse un troisième mandat relativement illisible en raison de son implication dans l’affaire Tapie, pour laquelle il a été condamné en appel. L’ingénieure en chef Christel Heydemann devra dessiner ses plans en tenant compte tout à la fois des impératifs des réseaux d’Orange, de la question sociale, de l‘identité de la marque, de l’expansion internationale du groupe, de ses relations avec l’État comme des exigences des marchés financiers. Revue de détails.

1/ Les infrastructures : cap sur 2030

Le premier enjeu d’Orange porte sur le réseau cuivre que l’opérateur devra démanteler intégralement en France au profit de la fibre entre 2023 et 2030. Fabienne Dulac, la directrice d’Orange France, a expliqué le 7 février qu’il s’agira d’abord de refuser tout abonnement à une offre cuivre ADSL dans les trois ans là où la fibre est implantée. Puis, à partir de 2026, il s’agira de faire migrer les quelque 20 millions d’abonnés au cuivre à une offre fibre pour éteindre finalement le vieux réseau historique. Avantage : Orange trouvera ainsi le moyen de régler définitivement la question d’une infrastructure qui lui coûte 500 millions d’euros en maintenance par an et lui rapporte de moins en moins en contrats d’itinérance (sous le milliard d’euros). Christel Heydemann aura à gérer les multiples contestations que, sur le terrain, ce plan d’action risque d’entraîner. Que faire face aux zones blanches ? Comment substituer une solution alternative comme le satellite ou la 4G fixe s’il n’y a pas d’accès au très haut débit par la fibre ? Les élus ne manqueront pas de se tourner vers l’opérateur historique en cas de problème.

Plus globalement, la nouvelle patronne devra veiller à valoriser les investissements dans le réseau mobile et la fibre, deux fois plus déployée chez Orange que chez Telefonica. Elle aura à accompagner la montée en puissance de la 5G, dont l’offre grand public est pour l’heure quasi-imperceptible, et à trancher sur les idées stratégiques exposées par Stéphane Richard, comme l’idée de déployer de la fibre dans des pays d’Afrique anglophone où le groupe n’est pas opérateur mobile.

2/ Assurer une bonne gouvernance

Qui pour présider Orange ? De la réponse à cette question dépendra la nature du tandem que la dirigeante formera avec le président non exécutif. « Il y a des équilibres qui se passent bien, d’autres moins », rappelle Sébastien Crozier, président de la CFE-CGC et membre du conseil d’administration. Lui-même candidat, comme Pascal Cagni (ex-dirigeant d’Apple Europe), il rappelle les contre-exemples de Engie (Isabelle Kocher-Gérard Mestrallet) et Renault (Thierry Bolloré-Jean-Dominique Senard) : « La centralité doit rester chez la directrice générale. Si on a un président qui veut exister, cela peut être un souci pour la gouvernance ». Vincent de La Vaissière, fondateur de VcomV, rappelle que Christel Heydemann aura face à elle deux administratrices qui ont voté contre elle et qu’elle a accepté le poste sans savoir qui va présider son conseil d’administration.

Heureusement, elle a pour elle de connaître l’entreprise en tant qu’administratrice depuis cinq ans, d’avoir travaillé quinze ans chez Alcatel-Lucent et d’avoir planché sur l’internet des objets chez Schneider. « Elle est plutôt du genre à composer mais elle ne se mettra pas en danger sur un terrain pas totalement déminé », estime un dirigeant qui a travaillé avec elle. Au comité exécutif, on devrait donc assister à quelques ajustements : Ramon Fernandez, candidat malheureux à la direction, est donné partant tandis que Helmut Reisinger a déjà quitté la direction d’Orange Business Services. Quant à Fabienne Dulac, la patronne d’Orange France depuis sept ans, elle s’est toujours voulue très loyale à Stéphane Richard.

3/ La question sociale : réformer sans déformer

 La politique portée par le DRH Gervais Pellissier a consisté à alléger les coûts dans les fonctions supports sans plan social. Des départs anticipés à la retraite sont possibles à partir de 58 ans mais il repose uniquement sur le volontariat. Il s’agit en particulier de rééquilibrer l’entreprise entre le siège et les fonctions opérationnelles. Cela sera-t-il suffisant alors que les effectifs en France avoisinent 82 000 salariés et face à un concurrent comme SFR qui a largement taillé dans sa masse salariale ? Sébastien Crozier, pour la CFE-CGC, craint un rapport que l’Agence des participations de l’État aurait commandé à McKinsey pour les 100 premiers jours de la nouvelle patronne. Son syndicat espère plutôt un « coup d’arrêt à une politique focalisée sur la réduction des coûts » passant par une simplification de l’organisation, des processus de travail et des outils – incluant la formation – pour améliorer la productivité. Relocalisation, rééquibrage entre régions et réinternalisation par rapport aux sous-traitants sont attendues. Le syndicat FOcom demande de son côté un plan d’action concret alors que la dernière enquête sur les conditions de travail et le stress, menée fin 2021, pointe une nette dégradation avec une « force au travail » ayant diminué de 12% par rapport à 2019 et des encadrants qui s’estiment majoritairement insuffisamment nombreux sur leurs tâches. Des éléments à prendre en compte sachant que les salariés ont 7% du capital d’Orange et 11% des droits de vote.

4/ Travailler l’identité de l’opérateur multi-services

 Il est probable que l’ancienne administratrice ne tournera pas le dos à la stratégie globale de son prédécesseur, et notamment son identité d’opérateur multi-services. Touchant 259 millions de clients en 2020, l’opérateur est présent non seulement dans les activités télécoms mais aussi dans les services financiers avec Orange Money et Orange Bank, la cybersécurité dont il veut faire un leader européen, la télésurveillance, l’énergie, l’e-santé… Sébastien Crozier, à la CFE-CGC, parle toutefois de « non visibilité des activités » entre la marque unique Orange présente auprès du grand public à travers notamment son réseau de boutiques, les infrastructures gourmandes en dépenses d’investissement et Orange Business services qui intègre de plus en plus d’activités. « Orange est quelque chose de différent pour chacun des acteurs », dit-il. Il conviendrait selon lui de multiplier les points de contacts afin de créer une « relation permanente avec la marque ». Exemple : les clients Orange Bank ont déjà une réduction de 5% sur leur facture télécoms. Pourquoi ne pas aller plus loin dans l’intégration des services à la relation clients ? « Orange Bank a élargi la perception d’Orange mais seuls 40% des Français savent qu’Orange est aussi une banque. Elle doit être plus intégrée », estime Sébastien Crozier.

5/ Conforter le développement international

 Stéphane Richard a réussi l’implantation d’Orange en Europe et en Afrique. Plus de 52% du CA est réalisé hors de France. Christel Heydemann devra d’abord trouver une solution pour l’Espagne, très chahutée par quatre opérateurs, et pour laquelle des acquisitions ou des alliances seront nécessaires. Elle devra aussi poursuivre le développement en Afrique alors que Stéphane Richard avait noué des liens avec les chefs d’État en Égypte, au Sénégal ou en Côte d’Ivoire. L’absence de pays anglophones comme le Nigeria ou l’Afrique du Sud témoigne d’une faiblesse, ne serait-ce que pour exploiter au mieux les infrastructures de câble existantes. L’opérateur doit aussi faire face à l’offensive de la start up Wave qui a développé une appli qui concurrence frontalement Orange Money.

6/ Gérer la tension avec l’État et les marchés

La DG devra enfin apprendre à naviguer entre les exigences d’un État actionnaire incontournable (avec moins de 23% du capital) et les marchés financiers qui se plaignent d’une action qui a perdu un tiers de sa valeur, autour de 10 euros. Altice et Iliad se sont retirés de la Bourse pour échapper à la sous-cote en Europe. L’un des scénarios pour l’État pourrait être de se désengager en descendant déjà à 18% du capital, car il contrôlerait toujours 30% des droits de vote grâce à la loi Florange. En tout état de cause, l’opérateur reste sous le contrôle du gouvernement. Sa stratégie RSE, son attachement à la diversité et son implication dans la stratégie « net zéro carbone d’ici 2040 » se doivent d’être exemplaires. Ancienne DRH, Christel Heydemann aura sans doute à cœur de présenter un projet inclusif et durable. Mais sa rémunération sera aussi liée à la performance de l’action sur trois ans.

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