Ce segment de la publicité digitale, qui cible le consommateur pendant son parcours d’achat, atteint de nouveaux sommets. Il s’étend maintenant « off site », pour le plus grand bénéfice des retailers. Un article également disponible en version audio.

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Où s’arrêtera le retail média ? Déjà crédité d’un bond de 42 % en 2021 et d’un autre de 30 % l’an dernier, il progresse encore de 15 % au premier semestre 2023, selon le dernier Observatoire de l’e-pub publié par le SRI et l’Udecam. Il y a certes un ralentissement, mais trois fois moindre que celui de l’ensemble du secteur de la publicité digitale, en hausse de 5 % au premier semestre. Avec 498 millions d’euros investis sur la période, le retail media pèse désormais plus de 11 % du total des investissements publicitaires digitaux en France (4 408 millions d’euros sur les six premiers mois de l’année).

Comment expliquer un tel essor ? Lors de la présentation de ces résultats en juillet, Jean-Baptiste Rouet, président de la commission digitale de l’Udecam, insistait sur quatre facteurs : « le ciblage de profils "shoppers", le contexte d’achat, une offre de plus en plus structurée et une mesure de l’efficacité business ». Jusqu’à présent, l’essentiel de cette manne publicitaire profitait à un seul acteur, Amazon. « Cela fait plus de dix ans qu’Amazon a lancé, en France, sa régie. Ceci explique sa position dominante, avec une part de marché supérieure à 75 % », estime Kevin Buzaglo, un ancien d’Amazon qui a monté son agence, Deeploy, pour accompagner les marques sur le site du géant américain. Mais cette situation pourrait évoluer. « Les distributeurs ont compris qu’ils sont assis sur une manne financière car ils peuvent monétiser le trafic de leur site en commercialisant des espaces publicitaires sous la forme de liens sponsorisés », constate Kevin Buzaglo. Or comparé aux marges réalisées dans la grande distribution, la publicité leur offre des résultats inégalés. « Ça ne coûte rien de vendre un clic, c’est ce qui a fait la fortune de Google », relève-t-il.

Essor des cartes de fidélité

Les distributeurs sont conscients de l’aubaine, et deux facteurs se conjuguent en leur faveur. Il y a d’une part l’essor de l’e-commerce lui-même, avec les habitudes prises pendant le covid qui perdurent aujourd’hui, à commencer par le drive. Selon les données de NielsenIQ, celui-ci pèse aujourd’hui 7,9 % du chiffre d’affaires des grandes surfaces alimentaires, contre 3 % en 2015. C‘est autant de connexions en plus sur les sites des distributeurs et autant d’audience supplémentaire à monétiser. S’ajoute l’essor des cartes de fidélité, qui permettent aux distributeurs d’être rémunérés non plus seulement grâce à leur audience « onsite », sur leur propre site, mais aussi « offsite », en vendant aux médias les datas issues de ces cartes mais aussi des comptes drive. « Ce sont des informations essentielles pour nous en termes de ciblage », relève Philippe Boscher, directeur marketing adjoint de TF1 Pub.

Par exemple, quand une personne se logue sur le site MyTF1 pour regarder en replay l’émission Quotidien, il est possible de faire le lien entre son compte TF1 et sa carte de fidélité de Monoprix. On peut alors la cibler, si elle a donné son consentement, avec une publicité correspondant à son profil, pour des croquettes pour chat si elle a l’habitude d’en acheter ou pour tout autre produit qui pourrait l’intéresser. La méthode est la même pour réaliser de la publicité segmentée en télévision, dès lors que la personne y accède par une box et que l’on passe des accords avec les opérateurs télécom. La publicité ciblée se fait ainsi sur la base de segments retail. Le distributeur est rémunéré sur la partie data, avec un modèle lié au volume.

Partenariat stratégique

TF1 a passé des accords avec Intermarché et Casino, réunis au sein d’Infinity Advertising, lui permettant d’accéder à quelque 17 millions de porteurs de cartes de fidélité. La chaîne elle-même indique avoir 23 millions de comptes MyTF1. Elle a aussi passé des accords avec La Redoute, Rakuten et Fnac-Darty. Tous les médias s’y mettent. Dernière annonce en date : Vivendi (Prisma, Canal+ et Dailymotion) a signé un « partenariat stratégique » avec Valiuz, une alliance data retail qui se présente comme la plus puissante du marché, revendiquant 55 millions de « clients uniques » avec Boulanger, Decathlon, Auchan ou Kiabi.

Avant l’été, les annonces de rapprochement s’étaient déjà succédé, à l’initiative des médias, à l’instar de M6 avec Carrefour, mais aussi des groupes publicitaires. Ainsi, Publicis et Carrefour se sont associés au sein d’Unlimitail, fédérant derrière eux d’autres distributeurs et médias ; Omnicom a déployé une entité dédiée, Transact, déjà présente dans une vingtaine de pays. Criteo, de son côté, n’est pas en reste, et vient d’annoncer de nouvelles solutions de monétisation pour les retailers, trouvant là de quoi faire face à la fin programmée des cookies tiers, base historique du ciblage publicitaire et du retargeting. Après le onsite et le offsite, Criteo entrevoit déjà un nouveau développement, « une troisième vague », selon Marc Fischli, vice-président Europe de l’Ouest de Criteo, cette fois directement dans les magasins, sous forme digitale ou non. Criteo a ainsi fait l’acquisition en Australie de la société Brandcrush, spécialisée dans ce domaine.

Dernier exemple avec Havas, qui multiplie les outils de data retail. Son agence média 79 a ainsi sorti Retail Scanner, qui propose aux e-commerçants d’adapter leurs enchères en fonction de l’observation du positionnement prix de leurs concurrents. Surtout, le groupe Havas vient d’annoncer un partenariat stratégique mondial avec la licorne française Mirakl pour « créer le réseau d’acteurs indépendants du retail media le plus puissant du marché ».

Reste pour les distributeurs plusieurs défis à relever. Le premier réside dans le coût des technologies à mettre en place. « C’est une des limites : avant d’accéder à des marges très intéressantes, les coûts sont lourds », remarque Kevin Buzaglo. Se pose ensuite la question de savoir comment on mesure les performances des campagnes de retail media, qui peuvent prendre différentes formes (bannières, liens sponsorisés, vidéos). « Si la mesure est différente de ce que proposent Amazon ou CDiscount, les marques risquent de ne pas adopter ces outils, car les comparaisons nécessaires aux arbitrages ne seront pas possibles », ajoute-t-il. Les distributeurs sont condamnés à s’entendre, dans un contexte où Amazon impose son standard.