Première industrie du divertissement, loin devant le cinéma et la musique, le secteur du jeu vidéo rayonne désormais hors de ses frontières numériques. Le mariage cinéma-gaming est depuis longtemps consommé. Les marques doivent aussi intégrer cette logique de « crossover » et ne plus penser le jeu vidéo comme un simple espace d’affichage numérique. Un article également disponible en version audio.

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La lame de fond du gaming ne semble pas près de s’arrêter. Plus d’un tiers des Terriens, soit 2,7 milliards d’humains, sont des joueurs de jeu vidéo, selon une étude d’Accenture parue en 2021. En France, la part des joueurs grimpe à 70 %, ce qui représente 37 millions de pratiquants, selon la dernière étude du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (Sell). Le secteur est un poids lourd économique : il pèse plus de 300 milliards de dollars de revenus, selon Accenture, plus que le cinéma et la musique réunis. « En quelques années, le jeu vidéo est passé d’un loisir annexe à une activité majeure », résume Bruno Laporte, head of social behavior chez Dentsu Creative. Signe de l’influence grandissante de ce secteur économique, il est désormais au cœur des événements les plus marquants de l’industrie culturelle.

Cela fait longtemps que le cinéma et l’industrie du jeu vidéo se nourrissent mutuellement. Les plus grands succès de consoles ont tous donné naissance à une adaptation sur grand écran : Resident Evil, Tomb Raider, Gran Turismo, Prince of Persia ou, plus récemment, Super Mario Bros (plus d’un milliard de dollars de recettes en un mois). Les adaptations en séries TV ne se comptent pas non plus. « Aujourd’hui, le jeu vidéo n’est plus cantonné aux seuls cercles d’initiés et aux revues spécialisées ; il est partout, au cinéma, dans les séries, dans le métro », constate Loris Bernardini, directeur général adjoint social media & digital de l’agence indépendante Steve. « Nous sommes à l’apogée de la culture gaming, renchérit Thibault Thévenin, international head of gaming du groupe de médias Webedia. La frontière entre les différents univers culturels se brouille et les codes du gaming se retrouvent partout, dans la culture, le sport… »

Avec le développement phénoménal du jeu vidéo, le public des joueurs s’est d’ailleurs considérablement élargi. « On est sorti de cette image du gamer, nerd asocial. Cela touche un public beaucoup plus large », note Max Vedel, cofondateur de l’agence digitale Swipe Back. « Aujourd’hui, tout le monde joue, y compris la mythique ménagère de moins de 50 ans qui joue dans le métro sur son mobile », complète Nicolas Vignolles, délégué général du Sell.

- Le phénomène crossover

L’industrie du luxe s’inspire, elle aussi, de cet univers foisonnant. Fin 2015, Louis Vuitton révélait sa nouvelle égérie, Lightning, l’un des principaux personnages de Final Fantasy XIII. L’hôtellerie n’est pas épargnée par ce mélange des genres puisqu’Atari, fabricant historique de matériel - largement supplanté par Sony ou Nintendo -, a annoncé en 2020 la création de ses Atari Hotels, inspirés par la culture gaming, avec salle d’e-sport intégrée.

« Le secteur du gaming a dépassé son appellation qui est désormais périmée. Les plateformes vont au-delà du jeu : elles sont devenues des plateformes d’entertainment et des réseaux sociaux à part entière », estime Dimitri Guerassimov, co-CEO et chief creative officer de VMLY&R France (WPP Group). Un positionnement clairement revendiqué par Epic Games pour sa licence star, Fortnite. Le 23 avril 2020, une étape majeure a été franchie dans ce rapprochement entre industries du divertissement. En plein confinement, le rappeur américain Travis Scott a offert une performance numérique au sein du jeu Fortnite. Le show a été suivi en direct par 12,7 millions de personnes et a cumulé près de 30 millions de vues à l’issue de quatre rediffusions. Depuis, Ariana Grande et Aya Nakamura ont aussi fait leur show sur la plateforme.

- Le modèle avec publicité sur mobile

Si le jeu vidéo s’est longtemps contenté des PC et des consoles comme terrains de jeu, il est désormais tranquillement installé dans notre poche. En 1997, Snake, un jeu proposé par Nokia, a été le véritable point de départ de la folie des jeux mobiles, avec une logique de plus en plus addictive. Angry Birds, Candy Crush ou Clash of Clans se sont par la suite imposés et, avec eux, un nouveau modèle économique qui va faire école : le jeu gratuit, free-to-play, mais parfois saturé de bandeaux publicitaires de plus en plus intrusifs.

« L’essor du gaming est lié au développement du jeu sur mobile, on se libère d’un modèle où il faut acquérir du matériel et acheter un logiciel », estime Arthur Kannas, président de l’agence digitale Heaven (Hopscotch Group). Mais les éditeurs de ces jeux mobiles ne se contentent pas de la publicité, pas assez rémunératrice, ils développent aussi des systèmes de microtransactions. Vous n’avez plus assez de vies pour continuer à jouer ? Pour quelques dizaines de centimes, vous pouvez en récupérer. Ces dispositifs peuvent aussi être déclinés en formats publicitaires.

Sur PC puis sur console, la publicité a très tôt fait son apparition. Les licences de jeux sportifs, comme Fifa, ont prolongé dans l’univers numérique les logiques de communication et de sponsoring qui se sont imposées sur les terrains de sports : présence de panneaux d’affichages pub autour des terrains de foot virtuels, présence de marques sur les maillots dans les jeux… Désormais, les annonceurs et les agences de publicité rivalisent de créativité pour proposer des opérations de communication moins intrusives, mieux intégrées dans la dynamique du jeu.

- La fin de la pub old-school ?

« Les logiques publicitaires descendantes, où il y a interruption, doivent laisser la place à de nouvelles expériences interactives. Les marques qui veulent entrer dans la partie doivent se considérer comme un joueur parmi d’autres et accepter les règles du jeu », prévient Guillaume Carrère, head of strategy de l’agence digitale MNSTR. « La marque la plus légitime, ce n’est pas celle qui va mettre le plus d’argent sur la table, mais celle qui va y aller pas à pas pour se faire accepter dans cet univers culturel », complète Nathan Pillot, planneur stratégique, membre de la « gaming squad » de We Are Social. « Le mariage parfait d’une marque et d’un jeu doit offrir un storytelling unique, une intégration parfaite, tout en challengeant les joueurs et en respectant leurs codes », détaille pour sa part Thibault Thévenin, de Webedia.

Les équipementiers sportifs ont depuis longtemps dépassé la seule logique publicitaire. Nike a dématérialisé une partie de ses revenus avec le lancement d’accessoires numériques de sa collection Air Jordan II Cool Grey dans Fortnite. Même logique de passerelle entre univers physique et numérique pour LVMH, partenaire en 2019 de la Coupe du monde de League of Legend. La marque de luxe a alors créé des skins pour le jeu, mais aussi une mallette griffée pour transporter le trophée. « Toutes les grandes marques devraient s’intéresser à leur stratégie gaming, cela va devenir vital », alerte Max Vedel, de Swipe Back.

Mais la publicité in-game n’est qu’un élément de la communication gaming, souligne Adrien Lepage, chief digital officer et co-pilote du groupe de travail Gaming chez Mindshare (Group M). « Réseaux sociaux, chaînes Twitch, événements, influenceurs et streamers sont indispensables. Au-delà du temps de jeu, les possibilités de communication sont infinies », esquisse-t-il.

Trois questions à Nicolas Vignolles, délégué général du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (Sell)

Qu’est-ce qui explique le dynamisme du secteur du gaming ?

Avec sa capacité à se réinventer en termes technologiques et de modèles d’affaires, le secteur du jeu vidéo anticipe mieux les sauts technologiques. Dans les années 2020 par exemple, il y a eu la révolution cross-supports : vous pouvez jouer à votre jeu préféré où vous voulez, quel que soit votre support (PC, console ou mobile). La continuité du jeu vidéo est désormais totale.

L’image du gamer ado, un peu asocial, est-elle dépassée ?

Oui, le jeu vidéo est aujourd’hui un média social. Nos études montrent que l’on joue pour créer du lien : sur le canapé du salon en famille ou bien en ligne pour se connecter avec des amis. Par ailleurs, il faut savoir que les joueurs vont plus au cinéma, à des concerts ou à des événements sportifs que la moyenne des Français.

Quelle est la place des éditeurs français de jeu vidéo ?

La France est un acteur incontournable de la production du jeu vidéo. Il y a évidemment la locomotive, Ubisoft, géant mondial du secteur. Mais notre force, c’est notre capacité à développer des studios de taille intermédiaire pouvant participer à des projets mondiaux : Quantic Dream, avec Star Wars Eclipse, ou le bordelais Shiro Games, pour Dune : Spice Wars. C’est ça la French touch du jeu vidéo.