Rebaptisés AGL, les actifs portuaires et logistiques du groupe Bolloré, vendus fin 2022 à l’armateur MSC, veulent devenir une marque à part entière en dépit d’un lourd héritage. 

C’est un « nouveau chapitre » et une « formidable opportunité pour les équipes ». Ces expressions consacrées du monde des entreprises, Dieudonné Gaïbaï, directeur de la communication d’AGL, n’y coupe pas. Et pour cause. Dans le sillage de son irruption fin mars au sein du paysage de la logistique et des transports du continent africain, AGL – comme Africa Global Logistics – ne part pas d’une feuille blanche. Bien au contraire, le groupe devant se défaire d’une réputation écornée. Ce changement d'ère pour les actifs portuaires et logistiques du groupe Bolloré, vendus fin décembre au premier armateur mondial, l'italo-suisse MSC, pour la rondelette somme de 5,7 milliards d'euros, tient donc au moins autant d’un rebranding vital que d’une stratégie d’entreprise repensée. « AGL est la nouvelle entité logistique dédiée à l’Afrique au sein du groupe MSC. Elle est née de la cession des actifs débutée en décembre 2021 et validée fin 2022 après les différentes autorisations nécessaires sur le plan de la concurrence », rappelle Dieudonné Gaïbaï, au sein du groupe depuis treize ans. Dénommé jusqu'à présent Bolloré Africa Logistics, le groupe se voit rebaptisé Africa Global Logistics tout en restant société de droit français, détenue à 100% par SAS Shipping Company, elle-même filiale du groupe MSC.

Acteur incontournable

Ce vaste groupe construit par l’homme d’affaires breton durant près de trois décennies compte aujourd’hui 23 000 salariés répartis dans 47 pays africains, auxquels il faut ajouter Haïti et le Timor. « La stratégie d’AGL vise à participer aux transformations de l’Afrique à travers la fourniture de solutions logistiques intégrées pour faire face aux défis actuels, notamment en matière de croissance démographique, d’amélioration du cadre de vie, de transition énergétique, de digitalisation et de développement du commerce intra-africain. A cet effet, l’activité s’organise autour de quatre métiers, dont les solutions portuaires à travers 21 terminaux à conteneurs et conventionnels », précise-t-il. Deuxième secteur : les solutions ferroviaires avec « la gestion des réseaux de Camrail au Cameroun et Sitarail en Côte d’Ivoire et au Burkina ». Troisième axe : les solutions maritimes, lesquelles « vont des métiers d’agent maritime à la gestion des ports secs ». Dernière ligne de solutions, celles relative à la logistique. « Il s’agit d’expertises liées au transport, aux grands projets ou encore aux prestations douanières avec un ancrage particulier sur les services dédiés aux corridors », développe Dieudonné Gaïbaï, citant à titre d’exemple concret « la logistique du projet 2 Africa de Meta ». Autrement dit, AGL dispose d’un rôle clé sur le continent, lequel doit se renforcer avec la prise de pouvoir d’un des principaux armateurs mondiaux. Des acteurs devenus incontournables, à en croire le dircom. « Le marché des armateurs a connu à compter de la fin des années 2000 un phénomène de concentration des acteurs, devenus de plus en plus puissants. On se retrouvait en bout de chaîne et être associé à un armateur majeur en mesure d’investir massivement fait sens. Au regard des enjeux économiques et conjoncturels, cette cession avait un côté irréversible », avance Dieudonné Gaïbaï. En ligne de mire : la volonté de rivaliser avec les géants chinois ayant fait de l'Afrique une priorité, les gérants d'activités portuaires adossés à des États actionnaires ou les autres armateurs. 

Mais faire disparaître l’héritage Bolloré n’est pas chose aisée. En particulier avec un patronyme aussi lourd à porter. Flashback : en février 2021, le tribunal judiciaire de Paris homologue une convention judiciaire d'intérêt public – procédure qui permet à une personne morale d'éviter la tenue d'un procès en négociant une sanction financière – conclue entre le groupe Bolloré et le Parquet national financier. En cause : des faits, reconnus par la holding lors de l’audience, de corruption et d'abus de confiance commis entre 2009 et 2011 pour obtenir la gestion du port togolais de Lomé. À la clé, 12 millions d’euros d’amende pour le groupe Bolloré mais aussi la fin de poursuites exonérant le groupe d’un risque avéré, plusieurs pays interdisant aux entreprises condamnées pour corruption de candidater aux marchés publics. Cette CJIP intervenait après l'ouverture d'une information judiciaire, en 2013, pour des faits de « corruption d'agent public étranger, abus de confiance et complicité d'abus de confiance ». La holding avait alors été mise en examen pour avoir fourni, en partie gracieusement, les services de la branche communication de Havas afin de décrocher la gestion des ports de Lomé, au Togo, et de Conakry, en Guinée. La mise en examen concernant la Guinée avait été annulée pour cause de prescription. 

Légitimité requise

Ces procédures ont laissé des traces dans les mémoires, raison pour laquelle tourner la page Bolloré fait office de priorité. Objectif : redorer la légitimité du groupe auprès de ses publics. « Le B to B constitue la cible primaire d’AGL mais le B to C représente une cible secondaire que nous entendons adresser plus largement à l’avenir. L’ensemble des acteurs de la chaîne doivent comprendre notre rôle, y compris les utilisateurs finaux. Il faut être en cohérence avec le grand public et prouver que notre mission est au service des Africains », plaide Dieudonné Gaïbaï, conscient qu’AGL devra montrer patte blanche afin de se défaire de l’amalgame classiquement fait entre personne et projet d’entreprise, qui plus est sur un terrain favorable aux collusions politico-économiques. Dernier étage de la fusée, incontournable pour faire éclore une marque neuve : la notoriété. « Nous ne sommes personne aujourd'hui », concède-t-il, pointant toutefois les investissements importants mis sur la table ces derniers temps pour émerger. Premier jalon de cette opération de relations publics : une campagne média panafricaine de grande ampleur. Déployée entre septembre et décembre, celle-ci se décline en TV (Canal+ Première, Canal+ Cinéma, France 24, TV5 Monde...) et radio (RFI...), s’appuyant sur un film de marque réalisé avec l’agence Ari Pictures. Le film publicitaire et le spot radio seront aussi diffusés sur les chaînes locales, dans les différents pays où AGL est présent, notamment au Congo, en Côte d’Ivoire, au Gabon et au Sénégal. À cette prise de parole massive vient également se greffer un volet sponsoring sportif, illustré par le partenariat noué avec la sélection nationale des Élephants ivoiriens. Suffisant pour se forger une nouvelle réputation ? 

Chiffres clés 

49 Nombre de pays dans lesquels AGL opère (47 en Afrique ainsi qu’en Haïti et au Timor). 

23 000 Nombre de collaborateurs du groupe AGL.

98 % Part des collaborateurs du groupe AGL nés en Afrique. 

5,7 milliards d’euros Montant total du rachat de Bolloré Africa Logistics par MSC, en incluant la reprise de dette et les sommes versées à des actionnaires minoritaires.