LES 15 SPÉCIAL PARIS 2024

La 33e Olympiade, incarnée par Paris 2024, semble embrasser un tournant révolutionnaire à bien des égards. Si la France a déjà marqué l’histoire avec des cérémonies d’ouverture mémorables, cette fois-ci, l’enjeu va au-delà du spectacle. Virginie Sainte-Rose, head of partnership Decathlon x Paris 2024, se penche sur cette édition qui s’annonce innovante.

Paris 2024 sera-t-elle la prochaine révolution française ? La 33e Olympiade semble en prendre le chemin, pas seulement parce qu’elle a choisi pour mascotte un doudou en forme de bonnet phrygien pour se rêver en future championne. Mais bien parce que la cérémonie d’ouverture est enfin sortie du stade olympique. Le 26 juillet 2024, 220 000 personnes auront accès gratuitement au spectacle sur les quais hauts de la Seine, car non contente d’avoir lieu hors de l’enceinte sportive, la cérémonie aura lieu sur ce fleuve emblématique. La cérémonie des Jeux paralympiques n’est pas non plus en reste puisqu’elle se tiendra place de la Concorde pour remonter les Champs-Élysées.

Ce n’est pas la première fois que la France se distingue pour l’organisation d’une cérémonie d’ouverture. Les Jeux olympiques et paralympiques d’Albertville (Savoie) de 1992 font foi. Avec ces jeux, la révolution fut d’ordre artistique, grâce au formidable spectacle orchestré par le chorégraphe français Philippe Decouflé. Vu par deux milliards de téléspectateurs, ce spectacle extraordinaire était le fruit d’une imagination débridée, rendant hommage avec une grande poésie au geste sportif et créant ainsi un avant/après Découflé à Albertville. Est-ce à dire qu’il existe une exception française pour ces cérémonies, une « french touch » que Paris 2024 entend donner à voir au monde entier et de la meilleure manière ? Pour Éric Monnin, sociologue et historien du mouvement olympique, c’est plus compliqué que cela : « Les cérémonies, comme les Olympiades, s’inscrivent dans un contexte particulier. À chaque fois, elles sont la marque de leur époque. Dans l’histoire olympique, on distingue plusieurs ères : de 1896 à 1936, c’est l’institutionnalisation des Jeux, de 1936 à 1980, c’est l’ère politique. Puis avec Los Angeles 1984, on entre dans l’ère économique, avec le sport business féru de technologie mais aussi de shows, puisque nous sommes à côté de Hollywood. Rappelez-vous l’homme volant qui survole l’enceinte du Coliseum à Los Angeles. La cérémonie d’Albertville survient alors que l’heure est au spectacle et les pleins pouvoirs sont alors donnés à l’artiste. »

Les «sales mômes»

En 1992, les organisateurs ne font néanmoins pas dans la démesure hollywoodienne. Jean-Jacques Annaud, aux idées trop dispendieuses, est remplacé au profit d’une bande de « sales mômes » comme l’expliquait à l’AFP – pour les 20 ans de la cérémonie – le scénographe et décorateur Jean Rabasse qui faisait partie de l’aventure. « On était une bande de trentenaires, précise-t-il, d’univers très différents – le clip, la danse, la pub – qui se télescopaient et on avait l’impression d’être des sales mômes qui allaient mettre le bazar partout. » Pour Éric Monnin, l’heure n’est plus au bazar mais à la sobriété. « Nous sommes désormais dans une ère écologique, plus soucieuse de la planète, plus inclusive aussi et c’est dans ce contexte que Paris 2024 s’est organisé. N’oublions pas que c’est le CIO (Comité international olympique) qui dicte la règle et que les organisateurs s’adaptent. » Thierry Reboul, grand ordonnateur de la marque et de l’événementiel de Paris 2024, confirme que le contexte était favorable. « Cela faisait un petit moment que l’idée de sortir du stade était dans l’air. Rio 2016 y avait songé en imaginant une cérémonie sur la baie de Rio mais les organisateurs s’y sont pris trop tardivement. Il y a eu également un test lors des Jeux de la jeunesse à Buenos Aires en 2018. » 200 000 personnes ont pu pour la première fois apprécier une cérémonie olympique hors du stade, sur la majestueuse Avenida 9 de Julio.

Un équilibre à trouver

Une autre cérémonie d’ouverture d’un événement sportif majeur a pourtant déjà eu lieu hors stade à Paris… et Thierry Reboul ne feint pas vraiment l’oubli quand on évoque « les Géants » de la Coupe du monde 2018, aussi slow motion que summum de l’ennui. Cette french touch a d’abord été initiée, selon lui, par Jean-Paul Goude, artiste en chef du bicentenaire de la Révolution française, auquel Philippe Découflé avait d’ailleurs collaboré. Superbe héritage mais un peu encombrant puisque les Champs-Élysées semblent être le passage obligé. « J’ai résisté pour cette première cérémonie et étant un grand promeneur parisien, le fleuve est apparu comme une évidence. » Aujourd’hui, Thierry Reboul et le comité d’organisation sont confrontés à un immense défi. « D’abord, il y a eu mai 2022 avec le chaos de la Ligue des champions qui a posé question sur nos capacités à organiser les grands événements, rappelle Jean-Philippe Leclaire, directeur adjoint de la rédaction de L’Équipe qui a commencé à couvrir les Jeux en 1996. Encore plus aujourd’hui, il faut arriver à trouver un équilibre entre les inspirations artistiques et les impératifs de sécurité. La cérémonie avec ses trois moments forts ; les tableaux, le défilé et l’allumage de la flamme portent un message national comme international. Il faut au moins qu’un de ces moments soit réussi. On a oublié le défilé d’Atlanta 1996 (fort heureusement) ou de Sydney 2000, mais tout le monde a en tête Mohamed Ali s’approchant de la vasque ou Cathy Freeman, athlète aborigène, dans sa combinaison intégrale qui allume la flamme. »

Aux JO de Londres, à l’inverse de Sydney 2000, personne ne se souvient des cinq espoirs du sport britannique qui ont allumé la flamme. Les tableaux, eux, ont frappé les esprits mettant fin à l’image de cette monarchie vieillissante au profit d’une nation pop pleine d’autodérision. La cérémonie de Londres a marqué le monde mais a surtout cimenté durablement les Britanniques, inspirant ainsi les écrivains comme Jonathan Coe. Dans Le Cœur de l’Angleterre, récit doux-amer et choral de l’Angleterre confrontée aux prémices du Brexit, un chapitre entier est consacré à la retransmission détaillée de la cérémonie d’ouverture et se termine ainsi pour un des personnages : « L’Angleterre lui faisait l’effet d’un territoire calme et stable. D’un pays en bonne intelligence avec lui-même. L’idée que tant de millions de gens disparates avaient été réunis, rassemblés par une émission de télévision le ramenait à son enfance et le fit sourire. Tout allait pour le mieux. » Pour Paris 2024, l’avenir se conjugue au présent. L’événement a déjà marqué des points dans le « Tout va pour le mieux » en ouvrant sa cérémonie au plus grand nombre. Pour que ce geste révolutionnaire soit complet, reste à rassembler les plus grincheux d’entre nous. Un tour de magie que seule la french touch pourra opérer.

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