Tribune

Face à l'importance prise par les réseaux sociaux dans l'expression de l'opinion, il est temps pour les fédérations et groupements d’intérêts de développer au plus vite une stratégie qui prenne en compte ces nouvelles formes de militantisme digital.

L’application Elyze, qui s’inspire de l’application de rencontre Tinder pour faire «matcher» utilisateurs et candidats à la présidentielle, a dépassé le million de téléchargements seulement trois mois après son lancement. Son succès est le reflet d’un phénomène de société, celui de l’accélération de la digitalisation de la chose politique malgré une abstention grandissante dans les urnes.

La crise sanitaire et désormais la guerre en Ukraine creusent un écart grandissant entre les Français et la campagne présidentielle. Alors que les meetings politiques sont loin de faire salle comble, les réseaux sociaux jouent à l’inverse un rôle central pour tenter de reconnecter les citoyens aux enjeux électoraux. Les candidats ne s’y sont pas trompés et (dé)multiplient désormais les interventions sur les plateformes Twitter, TikTok, Twitch et YouTube.

Les ONG et groupements d’activistes, s’inspirant des bonnes pratiques tout droit venues des Etats-Unis, ont su formater leurs discours et se constituer de solides communautés digitales. A la clé : une véritable armée de relais d’opinions capables d’amplifier la portée d’un message tout en s'affranchissant du filtre des médias.

Une force d’influence

Disposer d’une communauté digitale soudée et ultra engagée, fruit d’une maîtrise experte des réseaux sociaux, c’est se donner le potentiel de provoquer un phénomène de mobilisation si puissant que les médias traditionnels, comme les politiques, n’ont d’autre choix que de s’en emparer. On se souvient que c’est depuis Facebook que le mouvement des Gilets jaunes a essaimé. Les médias n’avaient alors joué qu’un rôle de caisse de résonnance dans leur lutte.

En 2022, ne pas s’être constitué cette force d’influence est synonyme de fragilité en termes de défense et de promotion de ses intérêts. Car les réseaux sociaux sont utilisés pour agir dans une logique de revendication. Samsung a dû faire face le 16 février dernier à la première manifestation virtuelle organisée dans le metaverse. Il y en aura d’autres.

Dans ce nouvel espace où les intérêts collectifs et particuliers s’opposent, les fédérations professionnelles peinent à exister, émerger et encore moins convaincre et engager. Dans l’opinion publique, elles peinent à être audibles car elles se cantonnent à un échange catégoriel de l’entre soi institutionnel.

La compétition bouillonnante des opinions

Quelle est alors l’arme de prédilection des fédérations et des groupements d’intérêts ? Le livre blanc. S’il reste pertinent, il ne peut plus se suffire à lui-même. Il ne pèse d’ailleurs plus grand chose face aux différentes actions militantes brillamment orchestrées sur les réseaux sociaux, qui peuvent nuire durablement aux intérêts d’une profession. L’énergie, l’agroalimentaire, la santé sont des secteurs particulièrement vulnérables.

Et que représente la traditionnelle influence politico-médiatique pour les 75% de Français usagers des réseaux sociaux ? Sans doute encore beaucoup, mais de moins en moins et le phénomène va crescendo. Il y a donc urgence pour les organisations et groupements d’intérêts à s’affranchir du confort des salons dorés pour investir la sphère digitale. Urgence à se frotter d’un peu plus près à la compétition bouillonnante des opinions en ligne qui s’affrontent à coups de tweets. 

La pratique de l’influence évolue et les 39 millions de Français actifs sur les réseaux sociaux n’y sont pas pour rien. Passés de récepteurs de contenus médiatiques à émetteurs d’avis, ces utilisateurs deviennent la clé de voûte de l’influence. Les fédérations professionnelles doivent, pour défendre les intérêts de leur secteur, s’appliquer à leur parler directement et à les transformer en relais d’opinion. En laissant d’autres s’en charger à leur place, elles subissent passivement la diffusion d’un discours unique dont elles ne sont pas l’émetteur. Ainsi, entreprises, organisation et autres fédérations prennent le risque de perdre définitivement la bataille des idées face aux activistes et même face au simple citoyen engagé. Pour s’en prémunir, elles n’ont d’autre choix que de développer au plus vite une stratégie qui prenne en compte ces nouvelles formes de militantisme digital.

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