Communication de crise

À la suite du scandale de la salmonelle, qui a conduit au retrait de la vente de nombreux produits Kinder avant Pâques, Fausto Rotelli, directeur des relations extérieures de Ferrero en France et Marion Darrieutort, fondatrice du cabinet d’influence The Arcane, ont choisi Stratégies pour revenir sur ces événements. 

Pouvez-vous nous relater la chronologie des événements ? 

Fausto Rotelli. Nous avons vécu un véritable tsunami. C’est le premier cas de rappel en 70 ans d’histoire du groupe. Nous avons une enquête en cours en Belgique et je m’exprime pour la France. Cela a commencé le 30 mars en France avec la réception des premières questions de la DDPP [Direction départementale de la protection des populations]. Le samedi 2 avril, nous contactions la DGCCRF [Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes] et le lundi 4 avril, nous lancions le rappel en France. Pour une marque comme Ferrero, consommée par des enfants avec des produits comme Kinder, il s’agissait de réagir à la vitesse de l’éclair. Ce que nous avons fait.

Le premier jour a été très compliqué puisque nous avons reçu 28 000 appels par heure. En temps normal, le numéro vert mis en place pour les consommateurs n’est prévu pour recevoir que 30 appels en même temps... La ligne était saturée, il nous a fallu 8 heures pour la paramétrer. En interne, un élan de volontariat s’est opéré pour aider les 91 personnes, dont j’ai fait partie, dédiées au call center. Depuis, nous avons fait appel à un prestataire externe pour arriver à 500 opérateurs, en plus de la mise en place d’un bot permettant la gestion de 40 000 appels par heure. 

Côté mails, c’est environ 170 000 mails reçus. Une cellule médicale externe a également été mise en place.

Qu'avez-vous mis en œuvre par la suite ? 

F.R. Le rappel volontaire a concerné les produits Kinder issus de l’usine d’Arlon. Par principe de précaution, nous avons tout rappelé. Nous étions sur la saison de Pâques, à un moment clé pour la marque Kinder qui est distribuée partout en France. C’était un rappel d’une ampleur colossale puisque nous sommes distribués dans 4500 GMS [grandes et moyennes surfaces], chez les buralistes, dans les boulangeries, les pâtisseries, les Relay, dans le métro, les supérettes... Nous avons un réseau de commerciaux qui, en trois jours, ont réussi à retirer 90% des produits des enseignes. 

Pourquoi, dans ce genre de crises dans l’agroalimentaire, est-il si long d'identifier les causes d'un problème ? 

Marion Darrieutort. Selon Santé Publique France, il y a 183 000 cas de salmonelle par an, 500 cas par jour. C’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Mais avec Ferrero, nous avons la volonté de traiter au cas par cas. 

F.R. Il y a des process internes, et des recherches avec les autorités de santé qui sont en cours. Au moment où nous parlons, nous n’avons pas encore trouvé sur le marché un de nos produits avec de la salmonelle. Selon les derniers chiffres de Santé Publique France, il y a 59 cas (en date du 28 avril), auxquels nous prêtons la plus grande attention.

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Pas de présence dans la presse, quelques communiqués de presse… Où avez-vous communiqué ? 

F.R. S'il y a bien un apprentissage, c'est que les réseaux sociaux ont été clés pour parler au consommateur. Nous avons un compte Facebook suivi par plus de 12 millions d’abonnés, que nous avons surutilisé. Nous avons également exploité les stories d’Instagram et une cellule spécifique sur les réseaux sociaux a été créée pour répondre aux questions des consommateurs. 

M.D. La crise de Ferrero c’est une crise de popularité. On juge souvent les crises d’un point de vue corporate. Là, il faut la juger sur le niveau relationnel et de proximité entre la marque et les consommateurs. Plutôt que de faire des communiqués sur les réseaux, il était plus judicieux d’entrer directement en contact avec nos consommateurs. Nous nous sommes donc servis des réseaux sociaux comme d’un nouveau CRM. Vous ne résolvez pas une crise de popularité avec des messages et des outils corporate, il faut le faire à hauteur d’homme. 

Pourquoi ne pas avoir fait parler un responsable du groupe ? 

M.D. Avec une enquête en cours, il était difficile de faire parler un homme ou une femme de la marque. L’équipe de The Arcane a effectué un gros travail de pédagogie lors des 200 appels de journalistes pour raconter ce qu’il se passait sur le terrain et comment se déroulait le rappel. Aucun journaliste en France n’a écrit que Ferrero ne répondait pas. 

F.R. Nous nous sommes concentrés, surtout et avant tout, sur les cas français. Certains consommateurs pensaient que nous ne faisions rien. Or il y a eu un journal télévisé qui a parlé de la centrale d’appels, et une interview de la structure des médecins conseil.

Pourquoi prendre la parole maintenant ? 

M.D. C’est difficile de savoir s’il faut prendre la parole ou non, surtout que la crise n'est pas terminée. Nous ne voulions pas être vus comme des gens qui se cachent. Même si la crise n’est pas finie, il faut aussi en faire la pédagogie. C’est pourquoi nous choisissons de vous parler, en toute humilité, pour donner des clés de compréhension, être dans le partage d’expérience. 

F.R. C’est la première fois que je prends la parole dans la presse. Une fois que la crise sera terminée, nous aurons plus de marge de manœuvre. D’ici là, nous n’avons pas de sortie média. 

Pensez-vous qu'il y aura un avant et un après cette crise pour le groupe Ferrero ? 

M.D. Cette crise est riche d’enseignements sur la gestion de crise car c’est une crise de notre époque. Elle est liée à une marque iconique qui a bénéficié des meilleures stratégies de marketing et de branding. En parallèle, la place prise par les réseaux sociaux nous oblige à répondre aux familles. Nous ne pouvons plus nous cacher. Nous devons aller au contact et assumer. 

F.R. Nous sommes encore en gestion de crise et la cellule de crise continue de se réunir. 

Pensez-vous qu'il y aura un avant et un après cette crise conjointe Ferrero/Buitoni/Graindorge ? 

F.R. Pour le groupe Ferrero, avec une crise de cette ampleur, c’est certain. Dans l’alimentation, il y a régulièrement des cas avec 5 300 rappels par an en France. Mettre les trois marques dans le même panier me gêne, on n’est pas sur les mêmes problématiques. Évidemment, le risque zéro n’existe pas. Pour un acteur de notre taille, il est certain qu’il va falloir augmenter le contrôle pour nous rapprocher de ce risque zéro, un impondérable lorsqu’on touche une cible d’enfants. 

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Comment restaurer la confiance des consommateurs ? Quelle forme va prendre la suite ? 

F.R. Nous sommes très présents sur les réseaux mais il nous faudra revenir vers les consommateurs de manière plus humble. Nous avons tout un travail à effectuer aussi bien côté marque que côté groupe afin de rétablir ce lien de confiance avec nos consommateurs, qui a été mis à mal. 

M.D. Il est certain que nous n’allons pas faire de campagnes publicitaires en demandant aux consommateurs de nous faire de nouveau confiance. Nous privilégions le lien direct, sur le terrain, peut être, par exemple, en ouvrant les usines au public et aux journalistes. Ferrero est une marque qui bénéficie d’une communauté de fans incroyable. On peut compter sur eux, à nous de leur parler en utilisant le même langage. 

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