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Issu de la loi Climat, le dispositif Oui Pub, qui devrait succéder à Stop Pub, entend garantir un meilleur respect du consommateur et des ressources. De là à mettre en danger toute une filière ?

Les prospectus publicitaires entassés dans les boîtes aux lettres, une époque bientôt révolue ? Répondre par l’affirmative serait mensonger mais la promesse miroite alors que les premiers effets du dispositif Oui Pub, issu de la loi Climat et Résilience, commencent à se faire sentir. « Beaucoup de choses vont changer, en particulier pour le secteur de la grande distribution, qui se trouve concerné au premier chef », avertit d’emblée Xavier Guillon, directeur général de France Pub, quant à la disparition des imprimés sans adresse, un enjeu chiffré à « plus de 2,3 milliards d’euros l’an passé en incluant les coûts de fabrication et de production ». En parallèle de la promulgation de deux décrets, une phase d’expérimentation d’envergure s’apprête à être déployée. En première ligne : 15 communes, communautés de communes ou agglomérations au sein desquelles le dispositif va être expérimenté, en deux temps, à compter du 1er septembre. Concrètement, durant 31 mois, il y sera interdit de distribuer des imprimés publicitaires sans adresse, à moins qu’un autocollant Oui Pub orne la boîte aux lettres. Une évaluation de l’impact de ce test grandeur nature sur la production et le traitement des déchets papier sera ensuite réalisé.

Expérimentation à grande échelle

En attendant, les plus de 2 millions d’habitants vivant dans les zones concernées sont informés depuis le 1er mai et des autocollants sont mis à disposition par les autorités locales, les annonceurs et les distributeurs. Parmi les territoires inclus dans l’expérimentation figurent Grenoble-Alpes-Métropole, Bordeaux, la métropole du Grand Nancy ou l'agglomération d'Agen. De quoi envisager à terme une généralisation de ce dispositif amené à remplacer Stop Pub, son prédécesseur. En cause notamment : le constat partagé selon lequel Stop Pub serait à peu près aussi respecté que les préceptes religieux dans une maison close. Une impression trompeuse due aux pratiques de certains margoulins en tous genres qui entachent les progrès effectués ces dernières années par les principaux contributeurs de la filière comme l’explique Florian Grill, président du groupe de conseil média et marketing Cospirit, qui pilote la communication nationale et locale d’acteurs comme Aldi, Intermarché ou Cora. « Mine de rien, Stop Pub est relativement respecté sur le terrain et s’est avéré une mesure positive puisque celle-ci a permis d’augmenter le ROI du média en forçant les marques à mieux cibler les consommateurs », rappelle-t-il en préambule, prenant à témoin la tendance baissière du nombre de catalogues distribués annuellement en France. Une érosion limitée, comprise entre -2 et -5% au cours des cinq derniers exercices, exception faite de 2020 et 2021, crise sanitaire oblige.

Chaîne de valeur menacée

Reste que si la différence entre Oui Pub et Stop Pub peut sembler anecdotique pour certains consommateurs, les conséquences s’annoncent diamétralement opposées à l’autre bout de la chaîne. Si environ 20 % de la population française a apposé un autocollant Stop Pub aujourd’hui, rien ne dit que le dispositif Oui Pub électrise les foules au point de voir les consommateurs y recourir ne serait-ce que majoritairement. « L’expérience menée à ce sujet aux Pays-Bas nous enseigne qu’environ 30 % de la population accepte d’apposer un message pour recevoir de la publicité non adressée », pointe Florian Grill quant à un phénomène « très disparate selon les territoires géographiques », comme le souligne Xavier Guillon. Autrement dit, de 80 % de la population hexagonale acceptant implicitement de recevoir à date de la publicité, on pourrait passer dans quelques années à un tiers le déclarant ostensiblement. Soit une perte de presque 50 % de la population. « Ce serait une erreur d’autant plus que les études le prouvent : les prospectus et les catalogues, outre leur efficacité, sont appréciés des consommateurs dans leur parcours d’information commerciale et d’achat avec presque 50 % d’utilisateurs actifs au sein de nos panels », alerte le dirigeant de France Pub. Au-delà de ces projections pour l’heure théoriques, une chose est sûre : toute une filière va devoir s’organiser et se réadapter sous peine de connaître une possible descente aux enfers.

Solutions alternatives

Outre les deux principaux distributeurs français Mediapost et Adrexo, déjà fragilisés et qu’une généralisation du dispositif Oui Pub mettrait en difficulté, d’autres acteurs de la chaîne de valeur sont tout autant concernés. Les imprimeurs, bien entendu, mais aussi les emplois souvent précaires que génère la distribution. Sans omettre les marques des secteurs de la distribution et du retail et les agences les accompagnant. Face à cette nouvelle donne, certains ont d’ailleurs pris les devants, à l’instar de Carrefour, davantage pour des arguments écologiques. « Nous avons commencé le projet 0 % gaspillage il y a deux ans, s’enthousiasme Bertrand Swiderski, directeur du développement durable pour Carrefour. Il ne s’agit pas d’arrêter le prospectus, mais surtout d’en arrêter la distribution non adressée. » Ici, ce sont les clients qui font la démarche de le recevoir. L’enseigne continue de le distribuer en magasin, aux caisses, par exemple, mais elle a développé en parallèle un plan de communication spécifique. « Une personne est dédiée à l’entrée, pour expliquer notre démarche, les enjeux, et proposer aux clients des alternatives s’ils veulent être informés des actualités de notre enseigne. Ce plan d’accompagnement est indispensable pour garder le contact avec les clients, les connaître et mieux s’adresser à eux », continue le directeur quant à une opération dont le coût est loin d'être anodin pour l’enseigne.

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Même son de cloche du côté de Florian Grill, qui en sait quelque chose pour avoir les mains sous le capot ces derniers mois afin de permettre aux annonceurs de trouver la parade, tout particulièrement dans les zones concernées par le dispositif expérimental. « Des solutions alternatives existent pour y remédier, à commencer par la digitalisation des catalogues », illustre-t-il. Mais le digital, guetté à son tour par un phénomène de saturation, ne résout pas tout. « Ce qu’on constate, c’est qu’en termes de fidélisation et de visibilité, on arrive aujourd’hui à compenser la disparition des catalogues grâce au média local, que ce soit sous la forme d’affichage, de presse ou d’activations sur les réseaux sociaux. Mais sur le volet génération de trafic et conquête du consommateur, on n’a pas encore trouvé la solution miracle. D’où l’intérêt de cette expérimentation au long cours avant de généraliser éventuellement le processus », juge-t-il, conscient qu’il s’agit également du sens de l'Histoire.

Indispensable mutation

Car Oui Pub ne constitue qu’une étape pour un média de toute manière déjà condamné à changer. « Personne ne doute du côté inéluctable de la situation. Mais personne ne sait non plus quel chemin cela va prendre, ni à quelle vitesse », expose Olivier Dauvers, journaliste et éditeur spécialisé dans la grande consommation. La preuve ? 70 % des enseignes pensent que Oui Pub sera généralisé au niveau national, selon un sondage réalisé par Bonial auprès des distributeurs. Depuis des années, ces derniers se questionnent sur le prospectus, conscients des effets néfastes sur l’environnement ou de son image auprès du grand public. Mais aucune décision n’était prise. Déjà en 2010, E. Leclerc mettait en place le projet « Objectif zéro prospectus dans dix ans », conscient des enjeux. Force est de constater que 12 ans plus tard, la promesse a échoué. « Ce média est redoutablement efficace, et les distributeurs le connaissent par cœur. Même avec un reach et une efficacité en déclin, il continue de créer des visites incrémentales en magasins », ajoute Laurent Landel, CEO de Bonial France. Il pourrait générer parfois jusqu’à 10 % de chiffre d’affaires. Qui serait assez fou pour s’en séparer ? « Tout cela tenait du dilemme du prisonnier. Si un distributeur décidait d’arrêter, tous les concurrents autour pouvaient continuer. Aucun ne voulait prendre le risque d’être le premier », ajoute-t-il. Mais en 2022, les planètes sont alignées. D’une part, la prise de conscience écologique impose de ne plus gaspiller à outrance les ressources, et notamment d’arrêter de distribuer des prospectus dont une partie ira à la poubelle instantanément. D’autre part, le comportement des consommateurs gagne en maturité. La digitalisation, accélérée par les deux années de pandémie, favorise l’émergence des médias digitaux pour compenser en partie la perte d’efficacité du prospectus non adressé. D’ailleurs, le premier confinement, synonyme d’arrêt total de la distribution des prospectus, a permis de faire émerger et d’éprouver d’autres moyens de communication promotionnelle. Enfin, la hausse tonitruante du coût du papier, qui plombe la rentabilité marketing (lire encadré), s’apparente à une voie sans issue. Autant d’éléments prouvant que la transition est indispensable. 

De l’utilité des prospectus

Il ne faut cependant pas croire que jeter son prospectus sans l’ouvrir soit un comportement généralisé. Selon un vaste sondage signé Bonial, 67% des sondés jugent les catalogues publicitaires utiles et 70% disent les consulter au moins une fois par semaine. Dans un contexte de pouvoir d’achat tendu et de forte inflation, les promotions prennent une importance considérable dans le budget des ménages. « La sensibilité prix augmente de plus en plus. Les ventes sous promotions ont repassé la barre des 20 % en magasins », appuie Laurent Landel, au sujet d’un indicateur (re)devenu prépondérant dans le choix de l’enseigne. Pas moins de 57 % des consommateurs français disent ainsi choisir leur lieu de courses en fonction des promotions, selon un sondage du spécialiste du catalogue digitalisé Tiendeo. Un pourcentage qui monte à 62 % chez les 25-35 ans. « C’est pour cela que nous proposons différentes alternatives afin que les consommateurs le reçoivent selon leur choix », continue Bertrand Swiderski. Le consommateur peut avoir accès aux catalogues par mail, par WhatsApp ou Messenger, par courrier adressé, sur une plateforme dédiée (Bonial, Tiendeo...) ou directement en se connectant sur le site de Carrefour. Le test a été mené sur deux grandes villes (Lille et Paris), pour un gain écologique évalué par l’enseigne à 1000 tonnes de CO2. À ce jour, le procédé est déployé dans 45 magasins et 37 devraient y passer dans les semaines qui viennent, en plus des territoires où Oui Pub s’appliquera. Pour un taux d’acceptation qui varie beaucoup selon les zones, allant de 40 à plus de 50%.

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Catalogues à réinventer

Et c’est cette transition du média prospectus que le Oui Pub entérine, pour des distributeurs en pleine transformation numérique. La digitalisation des catalogues représente d’ailleurs désormais un enjeu prioritaire pour trois enseignes sur quatre selon Bonial. « 2022 est l’an 1 de la bascule, abonde Olivier Dauvers. Le digital offre de nombreux avantages. Les formats sont dynamiques, plus interactifs et plus réactifs », continue le spécialiste. Au-delà du caractère publicitaire, le prospectus est un média commercial, toujours corrélé à un temps forts pour les marques. La réactivité du numérique permet d’ajuster son opération au mieux, à la météo par exemple. Annuler une promo sur le vin rosé une semaine où il pleut, et la reporter à la semaine suivante. Chose que le format papier rendait plus complexe. Le digital permet également une meilleure mesure des performances. « Nous pouvons savoir très rapidement, quels sont les produits du catalogue qui attirent le plus en fonction des cibles », précise Lola Millet-Bourgogne, VP sales et business development chez Near (ex-Teemo). De quoi ensuite les mettre en avant ou aller chercher de nouvelles audiences en les valorisant sur internet, comme le fait l’offre Bonial Reach. La start-up, qui œuvre avec Intermarché, permet également de mesurer le trafic généré en magasin en géolocalisant les consommateurs consentants. « Les enseignes sont très friandes de ces données qui leur permettent de mesurer les visites incrémentales via de l’AB testing sur un groupe de contrôle », note-t-elle. En comparant une population exposée à une population non-exposée aux produits, elle peut déceler les visites supplémentaires qu’une mise en avant aura créé.

En dernier lieu, la nouvelle relation qu'engendre le catalogue adressé pourrait amener à revoir le fond et la forme du média. « Il renforcera le lien entre l’enseigne, les marques et les clients, pour développer davantage de contenu », à la manière des magazines gratuits de consommation, estime Olivier Dauvers. « Outre les promos, des recettes, des guides, des informations nutritionnelles pourraient faire leur apparition… Tout est à revoir », affirme-t-il. Plutôt bienvenu quand le consommateur est en demande d’informations ciblées mais aussi de sollicitations décroissantes.

Les prix du papier en pleine flambée

Un million de tonnes de papiers par an, c’est une estimation de ce que représente la pub dans les boîtes aux lettres. Et son prix a doublé en quelques mois, du fait de l’augmentation du prix du gaz favorisé par la guerre en Ukraine mais aussi de la pénurie de pâte à papier, davantage destinée à l'e-commerce. Une hausse qui remet directement en cause le modèle économique du prospectus. « Ce média de masse terriblement efficace représente 50% du budget marketing d’un distributeur. Si le coût de fabrication augmente de 30 ou 40% avec une efficacité qui décroît et que vous réalisez 2% de marge -soit globalement la marge d’un grand supermarché-, comment faites-vous alors que votre budget marketing augmente les coûts de plus d’un point ? », interroge Laurent Landel, CEO de Bonial France. Nul besoin d’être mathématicien pour connaître la réponse. 

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