Les terroristes qui pensaient éliminer le journal satirique le 7 janvier 2015 l'ont érigé en symbole planétaire de la liberté d’expression. Ils ont fait d’un hebdomadaire qui sollicitait ses lecteurs pour assurer sa survie une publication tirée à 3 millions d’exemplaires et assurée d’un soutien quasi général. Retour sur une semaine dramatique et historique.

Mercredi 7 janvier. L’annonce de l’attaque en fin de matinée du journal Charlie hebdo par deux hommes cagoulés aux cris de «Nous avons vengé le prophète», «Allah Akbar» et «On a tué Charlie» crée une onde de choc sans précédent. L’attentat commis en pleine conférence de rédaction tue douze personnes, dont les figures historiques Cabu, Wolinski, Bernard Maris, Charb, Honoré, Tignous… et en blesse grièvement quatre: Fabrice Nicolino, Riss, Philippe Lançon et Simon Fieschi. Rapidement se met en place un élan de solidarité, qui revêt trois formes: la mise à disposition par les médias de moyens visant à assurer la continuité de la publication; un appel de Reporters sans frontières à la reprise par la presse internationale de caricatures de Charlie hebdo; et la diffusion du hashtag #JesuisCharlie à partir du logo créé par Joachim Roncin, directeur artistique du magazine gratuit Stylist. Le mot-clé atteint jusqu’à 6 230 tweets par minute à 21h30 et cumulera 6,6 millions de messages cinq jours plus tard. Le même soir, des dizaines de milliers de personnes se recueillent place de la République, à Paris.
Jeudi 8 janvier. Condamné unanimement, l’événement fait la une de la presse nationale et internationale. Les survivants, effondrés mais fidèles à l’idée de Charb que «le journal devait sortir coûte que coûte», décident la publication du numéro du mercredi suivant. «Une manière de dire que non, ils n'ont pas tué Charlie», analyse leur avocat, Richard Malka. Et pas question de faire dans la nécrologie. Laurent Léger, qui a survécu à la tuerie, revendique «un journal pour continuer à lutter contre la connerie, contre la bêtise humaine, contre l'obscurantisme». Forts des soutiens reçus – trente médias proposent leur aide, des industriels du papier, les acteurs de la distribution de la presse le reversement des recettes de vente au journal –, Charlie hebdo prévoit un tirage d’un million d’exemplaires.

L’association Presse et Pluralisme et le fonds Google pour l'innovation numérique de la presse s’engagent à verser chacun une aide exceptionnelle de 250 000 euros, le quotidien britannique The Guardian propose de donner 128 000 euros et la ministre de la Culture et de la Communication, Fleur Pellerin, de débloquer un million d'euros. La rue de Valois envisage aussi de réviser les textes qui empêchent Charlie hebdo de bénéficier des aides à la presse, n'étant pas un quotidien à faible ressources publicitaires.
Vendredi 9 janvier. Luz, Coco, Gérard Biard, Laurent Léger, Babouse, Willem, Ségolène Vinson, Antonio Fischetti, Zineb El Rhazoui, Patrick Pelloux, Mathieu Madenian…, une vingtaine de rédacteurs, dessinateurs, secrétaire de rédaction et chroniqueurs arrivent et s’installent dans la salle de réunion du quotidien Libération, qui a proposé de les héberger. Le siège du journal est placé sous haute surveillance, d’autant que Manuel Vals et Fleur Pellerin y passent. Sous l’œil des médias du monde entier, qui se pressent rue Béranger ainsi que place de la République, où se recueillent les anonymes. Mais l’information se recentrera vite sur la traque des terroristes, à Dammartin-en-Goële et Vincennes.

C'est la deuxième fois que Libération accueille ses confrères, après l’incendie criminel qui avait détruit les locaux en 2011, suite à la parution d'un numéro spécial Charia hebdo. Le quotidien se charge de relater de l’intérieur la fabrication du futur numéro. «On a besoin de se réunir dans une certaine intimité, demande à la presse Richard Malka. La force qu’il nous reste, on va la mettre dans les pages du numéro de mercredi prochain.» Durant trois heures, ils y réfléchissent, entre étreintes, larmes et nouvelles des blessés. Cela n’empêche pas quelques rires, par exemple quand Patrick Pelloux demande «Y'a quoi dans l'actu?». D’ailleurs, le rédacteur en chef, Gérard Biard, promet «un numéro normal» dans lequel «tout le monde sera là», défunts compris.

Des soutiens financiers de particuliers affluent depuis la veille. Près de 100 000 euros ont déjà été collectés via une cagnotte en ligne sur Leetchi.com. Dans la journée, Presse et Pluralisme lance le site Jaidecharlie.fr pour un recueil de dons en ligne (un million d'euros a été collecté auprès de quelque 14 000 donneurs au 13 janvier). Reporters sans frontières (RSF) s’occupe de la collecte depuis l'étranger.
Samedi 10 janvier. La rédaction tente de se mobiliser sur la réalisation du numéro. «C’est difficile, mais il faut le sortir (…), faire ce que l’on sait faire, dessiner et écrire», estime le dessinateur Foolz dans une vidéo de Libération. L’équipe est soutenue par la ferveur populaire, avec 700 000 personnes qui se rassemblent en province durant la journée.
Dimanche 11 janvier. Les survivants et les proches des défunts de Charlie hebdo ouvrent la marche républicaine, parallèlement aux près de 4 millions de personnes rassemblés dans le pays. Mais à Beaucaire, ville FN qui accueille Marine Le Pen, des manifestants rompent l’unanimité, scandant notamment «journalistes au bûcher».
Lundi 12 janvier. Le bouclage du premier numéro post-attentat se termine dans la journée, malgré le chaos et dans une attente croissante. Les MLP (Messageries lyonnaises de presse), qui distribuent le titre, enregistrent une immense vague de commandes, en provenance de France et de l’étranger. Le tirage est porté à 3 millions d’exemplaires, avec des éditions en quatre langues prévues pour vingt-cinq pays.  La une de ce numéro 1178 de Charlie hebdo circule sur les réseaux sociaux à partir de 22 heures. Affichant Mahomet, elle ne rompt pas avec la ligne éditoriale. «On a essayé de faire un numéro sans jouer les victimes, de se moquer de nous-mêmes, prévient Luz. (…) En tout cas, on a envie que les prochains lecteurs nous suivent pour de bonnes raisons. On veut, en étant radical, faire comprendre aux gens pourquoi Charlie a existé depuis tant d’années.»

Mardi 13 janvier. Le numéro terminé, les rescapés tiennent une conférence de presse. «J'ai dessiné Mahomet, relate Luz, auteur de la une. Je l'ai regardé, il était en train de pleurer. Au-dessus j'ai écrit “Tout est pardonné”, et j'ai pleuré», reconnaît le dessinateur. Les 27 000 points de vente se préparent à gérer une demande phénoménale. Ils seront livrés quotidiennement du 14 au 18 janvier, avec ensuite huit semaines de mise en vente. «Achetez Charlie et achetez un autre journal, poursuit Luz, œcuménique. Si on peut faire vivre le papier, on aura vraiment gagné.»

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