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L’hebdomadaire féminin, qui fête cette année ses 70 ans, veut regagner du terrain auprès des lectrices et du marché publicitaire. Une relance menée tambour battant par Constance Benqué, directrice générale de l’univers féminin haut de gamme de Lagardère Active, et Françoise-Marie Santucci, nouvelle directrice de la rédaction. PROPOS RECUEILLIS PAR OLIVIER MONGEAU ET DELPHINE SOULAS-GESSON @omongeau @DelphineSoulas

Présidente de Lagardère Publicité, Constance Benqué est également depuis un an directrice générale de l’univers féminin haut de gamme de Lagardère Active, un pôle qui regroupe l’hebdomadaire Elle, ses déclinaisons Elle à table et Elle déco ainsi que le mensuel Art & Décoration. A ses côtés, Françoise-Marie Santucci, directrice de la rédaction d'Elle depuis le départ controversé de Valérie Toranian.

La mission de ce tandem chic et choc qui s'exprime pour la première fois ensemble dans les médias? Relancer Elle à l’aube de son 70e anniversaire. Depuis quelques années, le titre pâtit de la désaffection des kiosques, de l’arrivée de nouveaux magazines, tel Grazia ou Vanity Fair, de la concurrence d’internet, mais peut-être aussi d’un certain immobilisme. Toutes deux en sont convaincues: Elle doit bouger. Les deux femmes lèvent le voile sur leurs projets.

 

En septembre dernier, le groupe Lagardère décidait de remplacer Valérie Toranian, directrice de la rédaction du magazine Elle depuis 2002, par Françoise-Marie Santucci, rédactrice en chef de Next, le supplément culturel de Libération. Pourquoi ce choix?

Constance Benqué. Françoise-Marie a passé vingt-deux ans à Libé. C’est une journaliste de mode, mais aussi une jolie plume, avec un caractère bien trempé, du charisme, de l’humour; elle est en prise avec son temps. Avec Denis Olivennes [président du directoire de Lagardère Active], elle nous a semblé une évidence pour Elle, un magazine de fond qui incarne un certain engagement tout en gardant une part de frivolité. Ou, comme disait Hélène Lazareff [la fondatrice d'Elle] «le sérieux dans la frivolité, l’ironie dans le grave». Il était temps de changer, même s’il s’agit-là d’un changement dans la continuité.

Françoise-Marie Santucci. J’ai été choisie pour incarner quelque chose de différent, plus en phase avec l’évolution de l’époque et des technologies. Pour autant, je ne me suis jamais vécue comme branchée, c’est d’ailleurs la pire chose à faire quand on est journaliste. Il faut parler à tout le monde, à travers un ton fédérateur, drôle, informé et en aucun cas parisianiste. Je ne suis pas là pour faire Next, je suis là pour faire Elle. Et j’aborde les choses avec beaucoup d’humilité, ce qui est nécessaire devant un titre pareil, qui fêtera ses 70 ans cette année. Le journal doit garder son ADN, mais nous voulons lui donner de la pétillance avec le ton d’aujourd’hui.

 

Elle a terminé 2014 sur une baisse de sa diffusion de 8,4%. De quoi le journal a-t-il pâti?

C.B. Il n’y a pas eu de crise à Elle. Le journal a maintenu sa part de marché mais, en même temps, il demandait à se remettre en question. Dans un marché qui n’est pas simple, nous sommes parvenus à maintenir un OJD correct. En vente au numéro, nous sommes en baisse de 11% en un an et de 6% pour les six derniers mois, ce qui est mieux que ce que font nos concurrents. C’est une position d’autant plus difficile à tenir pour un hebdomadaire largement leader comme Elle, avec 339 000 exemplaires chaque semaine. C’est le même problème en publicité, où nous avons le leadership avec une part de marché de 23,3% et plus de 3 900 pages par an. Ce sont des performances dures à tenir, surtout quand nous voulons à tout prix maintenir la valeur de nos pages. Enfin, pour la mode, cela faisait quelques mois, peut-être même quelques années, que nous n’étions plus aussi bons et la profession nous le faisait savoir.

F.-M.S. Depuis trois mois, avec notre nouvelle rédactrice en chef mode, Friquette Thevenet, nous avons rééclairé les séries mode. Nous avons aussi fait un travail très important sur les unes pour revenir à quelque chose plus «ancré Elle». Je veux également remettre l’écriture au centre du magazine. Comme dans pas mal d’autres journaux, Elle a réduit la taille de ses articles au fil des années. Je pense que c’est une erreur. La tendance du «long-read» aux Etats-Unis montre qu’il y a une appétence des lecteurs pour les formats plus longs. C’est pourquoi je suis en train de constituer une petite équipe de belles plumes qui se consacrera aux portraits, enquêtes et récits. La presse magazine se distingue par sa capacité à proposer du récit, à raconter des histoires et à offrir des papiers anglés. Dans ces domaines, tout était là, il fallait un nouveau regard et le journal se redessine devant nous.

 

Préparez-vous une nouvelle formule?

F.-M.S. A moins d’imaginer quelque chose de radical, c’est toujours une erreur d’annoncer une nouvelle formule. Cela déçoit tout le monde, ceux qui trouvent que vous n’allez pas assez loin et ceux qui préféraient la formule précédente. Il faut se remettre en question en permanence. A l’occasion du numéro spécial mode par exemple, qui sort le 6 mars, nous réalisons quelques changements dans la maquette avec pour objectif d’apporter plus de cohérence dans l'aspect général du magazine.

 

Considérez-vous le succès des blogs de mode comme une nouvelle forme de concurrence?

F.-M.S. Les blogs de mode offrent un point de vue intéressant, mais cela reste un point de vue. Nous sommes un magazine qui propose l’étendue des thèmes que nous abordons, pas seulement la mode. Elle est en quelque sorte un journal total: nous proposons à nos lectrices, avec un ton très «bonne copine», le «mix and match» d’aujourd’hui, mais aussi la situation des femmes 40 ans après la loi Veil, le film à voir, le livre à lire, les dernières tendances de la beauté. Le champ de nos papiers est aussi large que l’étendue d’âge, de sociologie et de goûts de nos lectrices. C’est cela qui est à la fois génial et compliqué, car les journaux qui s’en sortent bien aujourd’hui sont ceux qui occupent une niche. Mais il n’y a pas de fatalité à la baisse du lectorat, il faut se remettre en question.

C.B. Nos lectrices sont des jeunes filles, des mères et des grands-mères. Nous sommes un magazine de transmission. Ce «mix» est notre fondement, notre richesse. C’est d’autant plus important que la colonne vertébrale de la marque est le magazine. S’il se porte bien, le reste –la diversification, les éditions internationales, les activités numériques– sera plus facile à faire.

 

Elle.fr affichait une audience de 2,6 millions de visiteurs uniques en décembre 2014. Etes-vous en retard par rapport à des sites comme Aufeminin.com ou Le Journal des femmes?

C.B. Le positionnement restrictif que nous avons choisi a limité notre développement en audience. Aufeminin.com et Le Journal des femmes, qui sont des pure players, sont des concurrents sur certains de nos domaines, mais n’ont pas le même positionnement. Nous n’avons pas développé les forums de discussion. Ce n’est peut-être pas notre rôle de le faire, même si cela ferait mécaniquement grimper nos visiteurs uniques, nos inventaires et nos offres. Aujourd’hui, nous voulons renforcer la cohérence des valeurs entre le print et le web, tout en singularisant les contenus. C’est dans cette logique que nous transformerons notre site à la rentrée, avec un design plus en adéquation avec le magazine. Nous voulons davantage fidéliser nos internautes en leur proposant un contrat de lecture plus en adéquation avec leurs attentes mais aussi permettre une meilleure intégration de la publicité. Nous sommes puissants sur les réseaux sociaux, nous continuerons à les développer. Notre force est d’être à 360 degrés.

F.-M.S. Les réseaux sociaux servent de caisse de résonance pour mettre en valeur ce que nous faisons dans le magazine. Cela permet aussi de dire des choses différentes en affinité avec le papier. En termes d’organisation, les rédactions print et web doivent arriver à mieux travailler ensemble, ce que nous avons déjà commencé à faire avec le numéro spécial Charlie hebdo en janvier ou le spécial Génération Z du 27 février. A terme, l’objectif est d’arriver à une rédaction commune, c’est le sens de l’histoire.

 

Comment diversifiez-vous la marque Elle en France?

C.B. Les 27 et 28 mars aura lieu la 4e édition du forum Elle Active à Paris, en partenariat avec L’Oréal Paris. Durant deux jours, nous aidons les femmes dans leur vie professionnelle et personnelle, les guidons pour faire leur CV, pour se présenter… Ce forum permet d’encourager l’ambition au féminin, d’aider les femmes à faire avancer leur carrière, mieux défendre leurs droits, gagner en confiance, crever le fameux plafond de verre. C’est un vrai et bel exemple de diversification réussie en lien avec les valeurs de la marque. Et ce forum existe aussi désormais à Lyon et à Marseille.

 

Comment fonctionnez-vous à l’international depuis que vous avez cédé à Hearst l’exploitation de la marque Elle?

C.B. Dans les 45 pays où nous sommes présents, nous gardons la propriété et le contrôle de la marque pour garantir la cohérence éditoriale et le respect des valeurs de la marque tant au niveau des contenus et de la direction artistique que de l’approche marketing. Avec les partenaires locaux comme avec Hearst dans dix-sept pays, nous validons l’éditeur, la rédactrice en chef ainsi que les postes clés de la rédaction. Nous les accompagnons tout au long de l’année sur les plans éditorial et marketing pour qu’ils développent nos éditions dans le respect des codes de la marque. Nous sommes également responsables de la syndication des contenus entre les 45 éditions internationales d'Elle – plus de 15 000 pages échangées par an – et produisons des contenus à destination de l’ensemble des éditions, comme début janvier avec cette série de photographies de Jean-Paul Goude dans les coulisses du défilé Louis Vuitton, reprise dans 38 éditions. Sur le licencing, nous faisons très attention à ce que les produits lancés soient en lien avec l’ADN du pays. En Chine, en Corée du Sud ou au Japon, nous avons par exemple une ligne de maroquinerie. En France, les lectrices attendent quelque chose qui soit davantage en lien avec le contenu du magazine.

 

Constance Benqué, en plus d’être présidente de Lagardère Publicité, vous êtes depuis un an directrice générale de l’univers féminin haut de gamme de Lagardère Active, donc directrice d'Elle. Ne faut-il pas craindre un mélange des genres?

C.B. Aujourd’hui, je ne m’occupe plus du quotidien des équipes commerciales. Celles-ci sont rattachées directement à leur pôle [féminin haut de gamme, actualité, grand public, familial]. Seuls restent en transversal à la régie la communication, le marketing et le digital. Je ne suis plus la patronne de régie que j’étais hier. Du côté de la rédaction d'Elle, le «final cut», c’est Françoise-Marie. C’est son métier, ce n’est pas le mien.

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