Le Lab
Professeur d'économie à Sciences-Po Paris, Julia Cagé a inventé un modèle juridique qui prétend «sauver les médias», comme l'indique le titre de son ouvrage publié par La République des idées.

«La crise des médias est une crise des revenus publicitaires et des ventes. Face à cela s’expriment des besoins d’investissements importants, dans le numérique ou le big data. Il n’est pas évident de trouver ces capitaux-là. Cela passe par l’entrée de nouveaux investisseurs (Jeff Bezos au Washington Post, Bernard Arnault aux Echos et demain au Parisien, Patrick Drahi à Libération et L’Express, le trio BNP – Pierre Bergé, Xavier Niel et Matthieu Pigasse – au Monde et à L’Obs…). Mais c'est au prix de l’indépendance ou de la dilution des sociétés de rédacteurs (elle a même disparu à Libération).  Au Monde, l’épisode Jérôme Fenoglio montre que les actionnaires  n’ont pas respecté la procédure qu’ils avaient eux-mêmes fixée au moment du rachat du journal.

Je propose un modèle, la société de média, à mi-chemin entre la société par actions et la fondation. Avantage: elle offrirait un statut d’entreprise à but non lucratif qui pourrait attirer des investisseurs en quête de défiscalisation. Comme les médias ne dégagent plus de marges importantes, cela peut convaincre. Dans la culture et les œuvres d’art, les grandes entreprises ou les mécènes disposent des fonds de dotation qui offrent de défiscaliser l’apport en capital. Le gouvernement freine à l'idée de l'étendre aux médias car il a peur que cet argent soit détourné du secteur culturel ou des universités. L’association Presse et pluralisme existe mais elle ne permet pas les dons directs aux médias, ni une entrée dans le capital.

Sans illusion

Dans le modèle que je propose, il peut y avoir une démultiplication du nombre de donateurs, mais pas du nombre de votants car, en deçà de 1% du capital, ils doivent se regrouper en société de lecteurs disposant du droit de vote. Ce n’est pas la société coopérative ouvrière, où un homme est égal à une voix, car l’histoire nous a appris que ce système ne fonctionnait pas économiquement tant il pose des problèmes gigantesques de prise de décision.  Avec la société de média, celui qui apporte plus en capital aura toujours plus de pouvoir de décision mais ses droits de vote n’augmenteront pas en proportion. En dessous de 10% des parts, il en aura plus et plus vite. Au-dessus, ses droits de vote augmenteront moins vite. C’est pourquoi mon modèle est un entre-deux: ni une illusion hyper-coopérative, ni une illusion hyper-capitaliste.

Ce n’est pas la simple société par actions: il n’y a pas de versement de dividendes car quand on doit distribuer des bénéfices aux actionnaires, on ne réinvestit pas dans le développement de son entreprise. De plus, dans le secteur de la presse, il vaut mieux être plusieurs à prendre les décisions. Les journalistes doivent avoir leur mot à dire. Ils ont, par exemple, une conscience beaucoup plus élevée du payant et une méfiance à l'égard de la publicité native face à des actionnaires qui sont dans une logique de démultiplication de l’audience en ligne afin de maximiser les revenus publicitaires. On voit aujourd’hui l’émergence de médias en ligne en quête de nouveaux modèles démocratiques. Le statut que je propose leur convient bien.»

 

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