télévision
Universels, familiaux et consensuels, les programmes de caméra cachée envahissent la planète. Un marché dominé par les Canadiens de Juste pour rire et les Français de Novavision.

L'écran géant de Juste pour rire est devenu un incontournable des MIP TV et MIPcom. Installé sur le parvis du palais des festivals de Cannes, à l'occasion des rendez-vous bisannuels du monde de la télé-business, l'écran vidéo diffuse en boucle, depuis cinq ans, les gags produits par cette société canadienne, pour le plus grand bonheur des passants et des visiteurs du salon. Juste pour rire a fait de l'agitation des zygomatiques sa spécialité. Installée à Montréal, l'entreprise est connue depuis près de trente ans pour ses festivals d'humoristes et son rôle d'agents de comiques. Surtout, la société est devenue le leader mondial de la caméra cachée. « En 1997, nous recherchions un produit d'exportation pouvant être vendu partout dans le monde, et nous avons créé cette structure consacrée à la production de sketchs non verbaux réalisés en caméra cachée », explique Pierre Girard, directeur général de Juste pour rire Les Gags Inc.

 

La caméra cachée, pas de quoi se tordre de rire ? Le genre n'est certes pas récent. Allen Funt en a été le précurseur en lançant Candid Camera, en 1948, aux États-Unis. En France, ses enfants s'appellent Jacques Legras et Jacques Rouland, avec La Caméra invisible, diffusée à la fin des années soixante. Dans les années quatre-vingt-dix, Marcel Béliveau avait repris ce principe pour piéger des personnalités dans Surprise sur prise. Aujourd'hui, le genre connaît néanmoins une nouvelle jeunesse grâce à l'exportation des gags, rendue possible par une production sans parole. « On estimait que l'humour, comme la politique, n'était pas exportable, poursuit Pierre Girard de Juste pour rire. Nos produits s'exportent facilement parce que les comportements humains sont universels. » Un avis partagé par son principal concurrent, Novavision. « Le gag doit être consensuel, explique François-Xavier Poirier, président de l'entreprise française. Le téléspectateur doit être surpris et la personne piégée doit autant rigoler que celle qui regarde. »

Une véritable industrie

Tous deux se retrouvent aussi sur un autre point : la caméra cachée, c'est un vrai métier. «Nous sommes contactés régulièrement par des télévisions du monde entier qui aimeraient faire leur propre production mais n'y arrivent pas », confie François-Xavier Poirier. Car il s'agit aussi d'une industrie. Juste pour rire emploie plus de soixante personnes: scénaristes, acteurs, cameramen, techniciens... et dresseurs d'animaux. « Nos budgets sont aussi élevés que ceux d'une série lourde [série à gros budget] », assure Pierre Girard de Juste pour rire.

En 2009, les Québécois ont produit trente-trois émissions d'une demi-heure. « Le rythme est effréné, poursuit-il. L'écriture des sketchs se réalise de novembre à mars, la production de mi-avril à mi-octobre et le montage doit être terminé le 22 décembre. » Un processus lourd, digne d'une fiction car le rebut est important. « Nous ne gardons qu'un sketch sur sept, explique François-Xavier Poirier de Novavision. Et pour un gag filmé, il faut piéger 25 à 30 personnes. Sans compter les caprices de la météo. » Une séquence de deux minutes nécessite quatre heures de tournage.

 

En un peu plus de dix ans, Juste pour rire a tourné 4 000 gags et les a vendus aux chaînes de 140 pays, soit près des trois quarts de la planète. Les séquences sont montées en émissions clés en main de 26 minutes. TF1 est une exception : c'est la seule chaîne au monde autorisée à utiliser des gags en « capsule », c'est-à-dire entre des programmes. Juste pour rire a tourné la quasi-totalité de ses sketchs au Canada. « Au Québec, nous avons l'efficacité américaine et le romantisme européen », plaisante Pierre Girard de Juste pour rire.

Pourtant, l'universalité a ses limites. « En Asie, les responsables de chaînes aimeraient voir des Asiatiques », reconnaît Pierre Girard, qui a déjà réalisé des séquences à Singapour. «Même si nous prenons soin d'éviter que l'on devine le lieu de tournage, il est important d'avoir des connotations locales », ajoute François-Xavier Poirier, de Novavision, qui vise aussi le marché asiatique. Enfin, il faut aussi compter avec la concurrence d'Internet où fleurissent les portails de caméra cachée. Moins coûteuse mais plus sexy…

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