numérique
Une étude d’Ernst & Young, dévoilée au Forum d’Avignon 2010, montre que les entreprises de médias vont bientôt pouvoir compter sur une longue traîne de petits achats à l’acte.

«L'heure où la technologie et les télécoms vont donner un deuxième souffle aux médias n'est peut-être pas si éloignée», a estimé Bruno Perrin, associé d'Ernst & Young, en conclusion de son intervention, le 5 novembre au Forum d'Avignon, rencontres internationales de la culture, de l'économie et des médias. Les motifs d'un tel optimisme sont à chercher dans son étude, intitulée «Monétiser les médias numériques». Pour lui, les opportunités de croissance dans le monde des médias en ligne sont «immenses», à condition de «repenser la façon dont le contenu est créé, agrégé, distribué et vendu».

Pour cela, il ne faut pas se contenter de dupliquer l'offre physique, il importe plutôt de développer des contenus additionnels, puis de favoriser l'accès en rendant les médias à la fois disponibles ou interopérables, et de les ancrer dans le partage et la participation: «Cela incitera non seulement les consommateurs à payer pour les services en ligne, mais contribuera à inverser la tendance déflationniste qui a marqué jusqu'à présent l'industrie du digital.»

Faire payer le consommateur est en effet l'objectif de tout éditeur de contenus depuis que la crise a montré une plus forte résistance des groupes de médias comme Vivendi, vivant à 75% de l'abonnement. Mais, dans un monde où l'on comptera plus de mobinautes que d'internautes en 2014, ce n'est pas tant la recherche d'abonnements qui intéresse que les achats coup de cœur ou à l'acte. Il est aujourd'hui possible de télécharger pour 75 centimes d'euro sur Iphone une visite guidée au musée Jacquemart-André ou d'acheter un titre de musique sur Itunes pour 99 centimes. Pourquoi ne pourrait-on pas acheter à la pièce l'article qui nous intéresse?

Christine Albanel, directrice de la stratégie d'Orange, a justement annoncé à Avignon que son groupe était «en discussion pour donner accès à l'ensemble des quotidiens nationaux» et à trois magazines, via le GIE E-Presse premium, qui regroupe Le Figaro, Libération, Les Échos, Le Parisien et L'Équipe, et qui vient de s'élargir à L'Express, au Nouvel Observateur et au Point. S'il s'agit bien sûr d'offrir la possibilité d'acheter des exemplaires à l'acte, la structure dirigée par Frédéric Filloux réfléchit aussi à la vente de packages d'actualité. La SSII Atos pourrait être chargée de développer l'interface technique de paiement.

Jean-Bernard Lévy, président de Vivendi, a confié qu'il travaillait d'ailleurs aussi avec Atos à la mise au point d'«une solution de micropaiement» rassemblant Orange, Bouygues et SFR en faveur de la monétisation des contenus. Mais à quels frais doivent s'attendre les éditeurs et comment évoluent les mentalités par rapport à l'acte d'achat sur Internet?

Un système adapté aux groupes de médias

L'étude d'Ernst & Young précise que «le coût de compensation et de règlement d'un paiement sont d'environ 0,20 dollar, ce qui est trop élevé pour un règlement d'un dollar au moins». Si cette réalité a longtemps fait obstacle au développement du micropaiement, elle a de bonnes chances d'évoluer: Pay Pal envisage désormais d'accepter que les entreprises accumulent des micropaiements jusqu'à un certain volume. Le service de paiement en ligne fait d'ailleurs acquitter aux éditeurs de journaux une redevance plus faible – 0,05 dollar par transaction et 5% de la valeur de l'achat – qui peut paraître attractive, mais c'est encore trop pour des éditeurs qui veulent faire payer quelques centimes par article. Visa vient, lui aussi, de se lancer dans le micropaiement avec Pay Click.

«Il est plus facile de payer pour un achat en ligne de 20 centimes même si c'est cinq fois en dix minutes», déclare Hartmut Ostrowski, président du directoire de Bertelsmann, qui a lancé un kiosque numérique en Allemagne et rappelle que le micropaiement permet aussi de vendre des contenus physiques (des livres sur France Loisirs, par exemple).

En fait, Ernst & Young précise que le système semble adapté aux groupes de médias, qui sont à la recherche de revenus complémentaires significatifs et qui cherchent à lutter contre la piraterie. Les coûts unitaires des transactions sont alors bas (une chanson, un article, un chapitre de livres), mais les volumes élevés.

Pour un groupe comme Vivendi (Universal, Canal+, SFR, etc.), dont le patron se montre très attaché aux «expériences communautaires» associées aux contenus, via les réseaux sociaux par exemple, le micropaiement présente là encore de l'intérêt: un fan sera prêt à payer plus cher pour être au cœur d'une dynamique de groupe, même s'il faut s'attendre à des volumes de transaction moins importants.

Avantage dans les deux cas, le consommateur a toutes les chances d'intégrer le micropaiement dans ses habitudes et des services associés pourront lui être vendus: «Quand on est prêt à payer pour un contenu, on est prêt aussi à payer pour un service», résume Bruno Perrin, d'Ernst & Young. Cela n'a pas échappé au Figaro, qui diversifie de plus en plus ses revenus (billetterie, courtage en ligne, etc.).

D'autant que les réseaux sociaux habituent déjà leurs centaines de millions d'utilisateurs à l'idée de payer des petites sommes pour des contenus. Facebook a créé sa monnaie virtuelle sur son site («Facebook Credits») pour permettre à ses quelque 500 millions d'amis de payer des biens ou des contenus virtuels, notamment des jeux en ligne.

Pour les plates-formes de médias, c'est la possibilité offerte de «monétiser des communautés d'utilisateurs», comme dit Ernst & Young. Heureusement pour les ayants droit, un accord signé début 2010 avec Pay Pal ou les cartes de crédit rend ces micropaiements sur Facebook assez peu virtuels…

 

 

 

La sécurité au cœur du micropaiement

Selon Ernst & Young, les risques d'escroquerie augmentent avec l'essor des micropaiements, notamment entre 1 et 10 dollars. Les éditeurs devront donc assurer un paiement sécurisé et la confidentialité de leur consommation en ligne pour garantir la confiance dans leurs marques. Mais il y a autant de coûts de protection que de niveaux de sécurité. Les entreprises de médias devront donc arbitrer entre accepter une part délictueuse ou investir dans la sécurité des plates-formes afin d'inciter les gens à basculer fortement vers l'achat en ligne.

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