Présidentielle 2012
Le président de la République, candidat à sa réélection, a répondu aux questions de Stratégies. Il défend son bilan dans la communication et les médias et annonce une «guerre sans concession aux sites illégaux installés dans les paradis numériques».

Comment assurer la contribution des géants de l'Internet à la création audiovisuelle française ? Faut-il une taxe pour corriger un phénomène d'évasion fiscale de leurs revenus ?

Nicolas Sarkozy. Les géants transnationaux de l'Internet, dont nous admirons tous la réussite, doivent assumer leurs responsabilités en payant l'impôt en France. Ces entreprises sont parmi les plus rentables de la planète: le bénéfice de Google représente un tiers de son chiffre d'affaires, celui d'Apple un quart et cette entreprise dispose par ailleurs d'une trésorerie de 80 milliards d'euros. Comment pourrions-nous accepter dans ces conditions que les 4 milliards d'euros de chiffre d'affaires que les «quatre grands» (Google, Apple, Facebook et Amazon) réalisent dans notre pays ne donnent lieu à aucune contribution? Et cela, alors même que je propose de créer un impôt sur les sociétés minimal pour les plus grandes entreprises?

Dans le contexte actuel, nous ne pouvons pas laisser un pan entier de l'économie réaliser des bénéfices en France sans qu'il contribue à proportion de son activité, sauf à fournir une nouvelle illustration de «l'Europe-passoire». Les ressources du droit national en matière fiscale permettent d'assujettir ces entreprises à l'impôt. Nous le ferons.

Je crois par ailleurs que l'ensemble des acteurs de l'Internet ont une responsabilité morale aussi bien qu'économique à l'égard des créateurs de contenus: quelle serait la valeur d'usage des réseaux sans les contenus culturels? Je veux donc qu'au moment du lancement des services de télévision connectée, leurs opérateurs soient assujettis aux mécanismes de financement du cinéma français, comme le sont tous les autres diffuseurs d'œuvres audiovisuelles. C'est pour les mêmes raisons que j'ai créé le 9 mars dernier un Centre national de la musique qui soutiendra la production de concerts et d'enregistrements notamment grâce à une contribution des fournisseurs d'accès à Internet.

 

Audiovisuel

 

Comment garantir un service public audiovisuel indépendant de la tutelle politique? Faut-il revoir le mode de nomination des présidents de l'audiovisuel public et des membres du CSA?

N.S. Les nominations des dirigeants des sociétés nationales sont parfaitement transparentes et démocratiques. Les noms proposés par le président de la République doivent recevoir l'assentiment du CSA et du Parlement dont les avis doivent être obligatoirement suivis par le gouvernement. Trois ans après le vote de cette réforme, qui peut croire qu'elle est une atteinte à l'indépendance et à la neutralité des rédactions? Je rappelle que le directeur d'une radio publique a déclaré publiquement son soutien à un candidat à la présidentielle et que ce candidat ce n'est pas moi! Je vous laisse imaginer le déferlement d'indignation si le directeur d'une chaîne publique avait appelé ouvertement à voter pour moi ...

 

Faut-il rétablir la publicité sur le service public TV le soir après 20h30?

N.S. Non je ne le crois pas. La fin de la publicité sur le service public après 20h30 a trois avantages que personne ne conteste. Le premier, c'est qu'elle permet de faire commencer à 20h35/20h40 le début de la première partie de soirée et donc de permettre aux Français qui se couchent tôt car ils doivent se lever tôt, de profiter d'une vraie deuxième partie de soirée. Le deuxième, c'est que le service public dégagé de la pression des annonceurs publicitaires peut prendre de véritables risques dans sa programmation. Qui peut imaginer que nos grandes chaînes publiques auraient pu programmer en première partie de soirée des documentaires en images d'archives colorisées, des fictions patrimoniales ou des grands magazines culturels? La troisième, c'est qu'elle introduit de la cohérence dans le financement de l'audiovisuel. Les chaînes gratuites privées sont financées par la publicité, les chaînes payantes par leurs abonnés et les chaînes publiques par de l'argent public.

 

Concentration

 

 

Faut-il revoir les dispositifs anticoncentration, interdire aux sociétés dépendant des commandes publiques de détenir et/ou d'acquérir des médias d'information?

N.S. Le secteur audiovisuel est l'un des secteurs économiques de notre pays parmi les plus encadrés et les plus régulés. On ne peut pas tout à la fois préserver l'indépendance des grandes entreprises de médias français de toute influence étrangère en interdisant à des capitaux non européens de détenir une majorité de leur capital et en exclure aussi les principales entreprises françaises. Alors que l'économie médiatique mondiale est dominée par des géants du numérique comme Google ou Apple qui pèsent chacune des dizaines de milliards d'euros, nous ne pouvons affaiblir les entreprises françaises par de nouvelles contraintes purement idéologiques. Si demain nos entreprises audiovisuelles ne trouvent plus à se capitaliser elles sont vouées au déclin et à la disparition.

 

Faut-il encadrer et/ou taxer les cessions de fréquences TV?

N.S. Les autorisations d'utiliser les fréquences hertziennes sont délivrées gratuitement par le CSA à la suite d'un appel à candidatures. C'est la détention de ces autorisations qui fait toute la valeur des sociétés auxquelles elles sont attribuées. Qui achèterait les titres d'une société d'édition de services audiovisuels qui n'en disposerait pas? L'Etat ne peut donc accepter que se développe une spéculation sur la valeur des titres de ces sociétés, détentrices d'une autorisation gratuite d'utiliser un bien dont il reste le propriétaire. Il est normal de mettre en place une taxation sur les plus-values réalisées lors de la vente de ces entreprises. L'actionnaire d'une entreprise audiovisuelle qui revend les titres de sa société ne devrait pas pouvoir empocher de plus-value avant le terme de la première autorisation d'émettre attribuée à celle-ci, dont la durée est de cinq ans. Ainsi, plus la détention d'une fréquence serait ancienne, moins la cession des titres de l'entreprise titulaire serait taxée.

 

Piratage

 

 
Faut-il revoir la loi Hadopi ?

N.S. Les premiers résultats de la Hadopi, mesurés par plusieurs instituts indépendants, sont exceptionnellement encourageants. La «réponse graduée» a brisé le piratage de pair-à-pair, qui a chuté de 35% pour la musique et de 50% pour les films du box office. La France représentait 6,2% des échanges illégaux mondiaux au début de l'année 2011, elle est passée à 4,5% à la fin de la même année : le piratage a donc diminué dans notre pays beaucoup plus rapidement qu'ailleurs. En outre, la Hadopi joue un rôle très important dans la promotion de l'offre légale, action qui est indissociable de la première. Elle a notamment mis en place une labellisation des sites légaux et un portail de référencement. La Hadopi a également créé des «Labs», un lieu unique au monde d'échange entre experts, acteurs économiques et chercheurs sur la circulation des contenus culturels sur Internet.

Cela ne veut pas dire qu'il ne faille pas la compléter. Je mènerai une guerre sans concession aux sites illégaux installés dans des «paradis numériques». Je veux que les fournisseurs d'accès bloquent l'accès à ces sites, que les moteurs de recherche les déréférencent et que les intermédiaires de paiement (Mastercard, Paypal, Visa) les boycottent, de même que les annonceurs et les régies publicitaires. Je m'engagerai dans une coopération judiciaire et policière internationale pour lutter contre cette forme de criminalité.

 

Presse

 

Comment assurer la distribution de la presse ? Faut-il mettre des limites à la libre concurrence entre les deux entreprises de messageries, Presstalis et MLP ? Faut-il une nouvelle loi après la loi Bichet de 1947 ? Faut-il réformer les aides à la presse ?

N.S. La liberté d'acheminement du journal vers son lecteur est une composante essentielle de la liberté de la presse. C'est pourquoi je suis attaché au principe de la distribution coopérative, qui assure l'égalité de traitement des journaux. Entre les différentes coopératives, la concurrence doit faire l'objet d'une régulation raisonnable et moderne. J'ai confié cette mission au Conseil supérieur des messageries de presse que j'ai refondé par la loi du 20 juillet 2011. Laissons ce système souple, où les professionnels eux-mêmes jouent un rôle essentiel, faire ses preuves.

Quant aux aides à la presse, je viens de les rénover entièrement. Lors des États Généraux de 2008, j'avais en effet annoncé que l'augmentation sans précédent de ce soutien - que j'ai fait passer de 155 à 315 millions d'euros par an, soit une hausse de 103% - devrait s'accompagner d'une réforme de leurs objectifs et de leur gouvernance. Je veux privilégier l'investissement sur le fonctionnement afin d'accélérer la rénovation des modèles économiques. C'est chose faite avec le décret du 13 avril 2012, qui prévoit une contractualisation des aides entre l'État et les titres bénéficiaires, ainsi que la fusion des différents fonds d'aides à l'investissement en un unique Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP). Ce Fonds poursuivra trois objectifs : les mutations et modernisations industrielles (imprimeries notamment), l'investissement dans le numérique et la conquête de nouveaux publics.


Comment favoriser l'éclosion de nouveaux journaux d'information en ligne ?

N.S. Les Etats généraux de la presse ont doté la France d'un statut de l'éditeur de presse en ligne et ouvert à ces acteurs, y compris les «pure players» dépourvus d'édition papier, le bénéfice des aides à la presse, conformément au principe de neutralité technologique. Le décret du 13 avril 2012 qui procède à une réforme d'ensemble des aides à la presse, insiste encore davantage sur la dimension numérique, puisque ce type d'investissement constitue l'un des trois objectifs poursuivis par le nouveau Fonds stratégique pour le développement de la presse.

 

Affichage

 

Faut-il restreindre l'affichage commercial dans les villes ?

N.S. Il faut rechercher un équilibre raisonnable : protéger le cadre de vie en limitant la publicité extérieure, tout en permettant l'utilisation de moyens nouveaux. C'est cet équilibre que la loi «Grenelle II» a posé et qui vient d'être mis en œuvre par un décret du 30 janvier 2012. Ce texte contient des mesures très importantes, par exemple en réduisant la taille des panneaux publicitaires et en instituant une règle de densité le long des voies publiques. La publicité sur les bâches, qui avait soulevé des polémiques très vives au cours des dernières années, est elle aussi réglementée. Enfin, les règlements locaux de publicité ne pourront dorénavant qu'être plus restrictifs que la règle nationale. Ils donneront lieu localement à un important débat démocratique puisqu'ils seront élaborés et modifiés selon les mêmes règles que les plans locaux d'urbanisme.

 

Internet

 

Quelles dispositions mettre en œuvre pour garantir les données personnelles sur le Net ?

N.S. Nous pouvons tous constater l'imprudence dont font parfois preuve les jeunes à l'occasion de leurs publications sur les réseaux sociaux. Il y a très certainement une importante action de sensibilisation à conduire sur ce sujet, notamment au collège et au lycée, sur le bon usage de l'internet. Plus généralement, c'est la question du «droit à l'oubli» qui se pose : le citoyen doit pouvoir contrôler ce qui est mis en ligne et ce qui demeure enregistré à son insu, car aujourd'hui, la suppression des données personnelles n'est pas garantie. Il doit être possible, par exemple, de fermer son compte sur un réseau social avec la certitude que toutes ses données seront supprimées. La Commission européenne a déposé le 25 janvier dernier un projet de règlement et un projet de directive pour moderniser les règles de protection des données en Europe. La France facilitera l'examen le plus rapide possible de ces textes, encore très perfectibles. Ce qui compte, c'est qu'internet soit un espace de liberté, où chacun puisse être autonome et maîtriser les éléments de son identité numérique.

 

Faut-il davantage réglementer l'usage des cookies publicitaires sur Internet ?

N.S. Il nous faut trouver une solution équilibrée: assurer à l'internaute une maîtrise suffisante des données qui se rapportent à sa vie privée, sans empêcher l'essor des entreprises du numérique dont le modèle économique est fondé sur l'utilisation de ces données. J'ai signé à cet effet l'ordonnance du 24 août 2011, qui pose le principe selon lequel l'internaute doit être informé de manière claire et complète de la finalité des cookies et des moyens dont il dispose pour s'y opposer. Il revient maintenant aux professionnels, dans ce cadre général, de se rapprocher pour s'entendre sur de «bonnes pratiques» en matière d'usage des cookies. C'est d'ailleurs un sujet sur lequel le Conseil national du numérique pourrait utilement être consulté.

 

Publicité

 

Faut-il davantage encadrer le respect de l'image de la personne humaine, et en particulier celle des enfants, dans la publicité?

N.S. Très sincèrement, entre l'Autorité de régulation de la publicité qui vérifie systématiquement le contenu des spots publicitaires et le CSA qui peut intervenir après diffusion du premier spot, nous possédons en France un système de contrôle très efficace. C'est d'ailleurs grâce à lui que notre paysage publicitaire est peut-être l'un des plus «propres» au monde. Ce qui d'ailleurs n'enlève rien à sa créativité.

 

Le système d'autorégulation de la publicité est-il satisfaisant en l'état ?

N.S. Je pense que oui, car nous avons en fait un double système de protection, avec, d'un côté, une autorité d'autorégulation composée de professionnels de la publicité, de l'autre, le CSA qui peut intervenir immédiatement dans le cas ou l'autorégulation aurait mal fonctionné. Quel pays dispose d'un système de surveillance aussi complet?

 

Faut-il assouplir la loi du 15 janvier 1990 réglementant la communication politique?

N.S. Cette loi a été votée pour limiter les dépenses des campagnes électorales et éviter la surenchère entre partis politiques dans les achats d'espaces publicitaires. C'est une loi qui évidemment limite les recettes publicitaires, mais qui protège le bon exercice de la démocratie. Par ailleurs, il ne serait pas raisonnable, dans la période de crise que nous traversons, d'envisager un assouplissement qui reviendrait à augmenter les dépenses de campagne. Les Français ne le comprendraient pas.

 

Faut-il restreindre l'accès des marques - notamment du secteur des sodas et de la confiserie - à la publicité TV pendant les émissions destinées aux plus jeunes ?

N.S. Là encore, faisons confiance à la régulation et au sens de la responsabilité des professionnels de l'audiovisuel. Le CSA a fait un énorme travail avec les chaînes pour les inciter à modérer la diffusion de publicité pour les produits de ce genre aux heures de grandes écoutes des plus jeunes. Mieux, le régulateur a obtenu de ces mêmes chaînes la diffusion d'émissions éducatives sur une bonne hygiène de vie qui s'adressent directement aux enfants.

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