Le prix Albert Londres 2012 a été décerné mercredi 23 mai pour l'écrit à Alfred de Montesquiou, grand reporter à Paris Match, pour ses reportages en Syrie et en Libye, parmi 41 candidatures présentées. Compte-rendu d’une conférence sur les difficultés d’informer dans la Syrie de Bachar Al-Assad.

Alfred de Montesquiou, 33 ans, a couvert les révolutions du printemps arabe. Pour Paris Match, il était notamment en reportage avec Rémi Ochlik, reporter-photographe en Syrie, peu avant la mort de ce dernier dans un bombardement à Homs, aux côtés de la journaliste américaine Marie Colvin en févier 2012.

Au Palais du Luxembourg, le 23 mai, Annick Cojean, présidente de l'Association du Prix Albert Londres, a ouvert  une journée baptisée «La Plume dans la plaie» par une conférence intitulée «Syrie: témoigner, par tous les moyens, à tout prix». Outre Michel Moutot, reporter à l'Agence France-Presse, étaient présents Cham Daoud, blogueuse et militante de Souria Houria, et Omar Alasaad, journaliste syrien depuis six ans, exilé à Paris à la Maison des journalistes et «militant contre la dictature».

Tous ont témoigné des difficultés d'informer dans le régime de Bachar Al-Assad. Selon Omar Alasaad, qui s'exprimait an arabe, l'âge d'or de la presse en Syrie remonte à 1950-1954. Le pays compte aujourd'hui quatre quotidiens gouvernementaux, et aucun journal d'opposition même si certaines concessions ont été faites à la liberté de la presse: il est autorisé de critiquer l'économie ou de dénoncer la corruption. «En revanche, aucune critique n'est acceptée sur la politique, intérieure comme extérieure», précise-t-il.

Un pays fermé aux journalistes

Depuis l'avènement des révolutions en Tunisie, en Egypte et en Lybie en 2011, les Syriens n'ont été que très faiblement informés du Printemps arabe par les canaux officiels. Mais Al-Jazira reste regardée malgré les tentatives de brouille du pouvoir en place. De même, Facebook continue de jouer un grand rôle grâce aux contournements de la censure via les proxy. De leur côté, les journalistes étrangers n'ont pas de visa pour entrer sur le territoire national et doivent passer clandestinement par la frontière turque, avec l'Armée syrienne libre, pour couvrir la répression du régime. 

Jusqu'à son départ, Omar Alasaad, qui a été emprisonné deux fois (dont un séjour de quatre mois) concevait donc son rôle comme étant celui d'un témoin: «Il nous fallait montrer les meurtres de masse que le peuple syrien est en train d'endurer. Beaucoup de journalistes professionnels se sont fait tuer. Nous devons aujourd'hui aider les journalistes étrangers qui ne connaissent pas la nature de la société syrienne à surmonter les barrages [...]. Les journalistes doivent entrer par tous les moyens pour témoigner, voir ce qu'il se passe

Selon Michel Moutot, de l'AFP, qui a passé une semaine avec un groupe d'insurgés, c'est néanmoins de plus en plus dangereux d'assurer la couverture des événements: «Depuis quelques années, nous travaillions avec des téléphones satellites indétectables. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Une équipe d'Associated Press a émis 20 minutes avant de recevoir des tirs d'obus. Il y a eu huit morts. Les téléphones satellites sont entrés par milliers dans ce pays pour les familles et les associations. Mais aujourd'hui, leur utilisation est dangereuse.»

L'AFP conserve en parallèle un bureau à Damas, avec des journalistes syriens pour l'information officielle du régime.

Filtrage de la Toile

La surveillance du Web est, comme en Egypte, en Lybie ou en Tunisie, étroite et permanente. Selon Omar Alasaad, «le régime a déployé beaucoup de moyens pour surveiller les communications». Alors que les infrastructures sont jugées plutôt mauvaises, un filtrage d'Internet a été mis en place. L'Iran et la Russie, alliés du régime, seraient associés à la surveillance des réseaux cellulaires. «L'un des crimes les plus punis, c'est de filmer les manifestations dans la rue. C'est complètement interdit», rappelle-t-il.

Les captations vidéos filmées par des téléphones mobiles sont en effet transmises via le Liban par des cartes Flash qui permettent de les faire sortir du pays. Cham Daoud, blogueuse syrienne domiciliée à Paris, fait partie de ces activistes qui recueillent les vidéos postées sur You Tube. Elle s'attache à identifier, parmi des images tournées par des amateurs «ce qui est vrai et pas vrai».

Michel Moutot rappelle que les «tirs à l'arme de guerre contre des populations civiles» après des manifestations au départ pacifiques sont incontestables. Ce sont notamment les images de la répression, reprises sur Al-Jazira, qui ont permis aux populations de se mobiliser. C'est le seul moyen, souligne Cham Daoud, de suivre ce qui se passe dans des villes comme Damas ou Alep, où il est difficile d'envoyer des journalistes qui puissent travailler librement. «Depuis deux semaines, affirme-t-elle, il y a 50 000 étudiants qui se révoltent à Alep. Je ne l'ai vu dans aucun média.»

Responsabilité de la couverture éditoriale

Quelle objectivité pour des journalistes qui accompagnent l'Armée syrienne libre? Le conflit n'est-il pas vu à travers le prisme d'une contre-propagande qui peut paraître tout aussi partiale que la propagande officielle? A ces questions, Michel Moutot, de l'AFP, répond par une remarque de bon sens: «Si vous voulez de l'information libre, de l'objectivité, enlevez les visas.»

Manon Loizeau, grand reporter et Prix Albert Londres 2006, présente dans la salle, intervient alors pour rappeler que «Gilles Jacquier a été envoyé à Damas et qu'il en est mort». Pour Envoyé spécial, elle a réalisé «Syrie interdite», diffusé sur France 2 le 1er décembre dernier. Et elle a pu entrer en Syrie, rencontrer des enfants torturés sans être pour autant sous la férule de l'Armée syrienne libre. Une manière de dire que, même dans des conditions très difficiles, il est encore possible d'exercer son métier de reporter en Syrie. «Mais du fait qu'on a perdu beaucoup de collègues, beaucoup hésitent», concède-t-elle. «Ceux qui hésitent, ce sont les rédacteurs en chef, précise Michel Moutot. A l'AFP, nous avons jugé que c'est trop dangereux pour ce que ça peut rapporter.»

Le Prix 2012 de l'Association Albert Londres a été dédié à Gilles Jacquier, grand reporter de France 2 victime d'un bombardement meurtrier, également en Syrie. Il avait été lauréat du prix Albert Londres en 2003 avec Bertrand Coq pour leur reportage sur Naplouse lors de la deuxième Intifada.

Dans la catégorie Audiovisuel, le prix revient à Audrey Gallet et Alice Odiot pour un reportage intitulé «Zambie, à qui profite le cuivre», produit par Yami2 et diffusé sur France 5 en juin 2011.

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