Année des médias 2012
A Bercy, au ministère de la Culture et de la Communication ou dans les grands médias audiovisuels publics, des personnalités affirment ouvertement leur homosexualité. Faut-il y voir le signe d'un réseau de pouvoir gay ?

Mais comment fait Pascal Houzelot pour boucler de pareils tours de table? A l'annonce, il y a un an, de l'actionnariat de T-Vous, le projet de chaîne lancé le 12 décembre dernier sous le nom de Numéro 23 par le fondateur de Pink TV, la question taraudait plus d'un acteur du paysage audiovisuel. Car, huit ans après la création d'une minigénéraliste «gay friendly» par cet ancien collaborateur d'Etienne Mougeotte, qui avait déjà réuni dans son capital les groupes TF1, Canal+, M6, Lagardère (via sa filiale Helios), une filiale de Sodexo, la Financière Pinault... et Pierre Bergé - figure incontournable des médias communautaires et de la lutte contre le sida -, il réussissait à emmener dans sa nouvelle aventure télévisuelle le patron de Free Xavier Niel, le PDG de LVMH et des Echos Bernard Arnault, le dirigeant du groupe Casino Jean-Charles Naouri, le patron d'Eiffel Investment Group Jacques Veyrat, ou encore Matthieu Pigasse, directeur général de la banque Lazard, coactionnaire du Monde et propriétaire des Inrockuptibles. Un casting à rendre jaloux tout entrepreneur en quête de capitaux et ce, malgré l'échec de Pink TV qui, pour survivre, s'est transformée en un simple canal à péage de films pornographiques. Et, le 8 mars 2012, l'actionnaire majoritaire était encore bien entouré pour présenter son projet devant le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), avec notamment David Kessler, alors directeur des Inrocks et futur conseiller médias à l'Elysée, Damien Cuier, ex-dirigeant de France Télévisions et Freemantle, ou encore Véronique Bernis, directrice générale adjointe de GDF-Suez.

 

Volonté de rester dans le placard

Certains ont voulu y voir une parfaite illustration de la tendance qui touche de nombreuses entreprises affichant des valeurs de tolérance. D'autres y ont détecté la puissance des réseaux gays qui seraient à l'œuvre dans les médias. «Le métier de Pascal Houzelot consistait déjà à utiliser son carnet d'adresses pour faire le lobbying de TF1», nuance Jean Stern, cofondateur en 1978 de Gai Pied, puis journaliste à Libération et La Tribune, et auteur du livre Les Patrons de la presse nationale, tous mauvais (La Fabrique). Celui-ci «croit davantage en l'existence de réseaux politiques, d'argent, d'influence... que basés sur les affinités sexuelles». Ce même Pascal Houzelot, ancien assistant parlementaire RPR, a ainsi «présenté Pierre Bergé à Matthieu Pigasse afin qu'ils deviennent, avec Xavier Niel, les trois principaux actionnaires du Monde», écrit Vincent Nouzille, dans son livre d'enquête multimédia La France des réseaux (Hi-Media), paru l'an dernier. Preuve que l'on serait avant tout dans des réseaux d'affaires. Depuis, Pierre Bergé suit de très près la couverture éditoriale du Monde sur le mariage gay et l'adoption par les couples homosexuels.

«Les réseaux gays sont plus influents dans certaines administrations», note cependant le journaliste d'investigation, citant notamment «la plupart des ministres de la Culture, de Jean-Jacques Aillagon à Frédéric Mitterrand, qui ont affiché cette orientation sexuelle.» Des ministres auxquels on a parfois reproché des nominations difficiles à expliquer à partir des seules compétences des bénéficiaires, comme celle, fin 2009, de l'écrivain homosexuel Abdellah Taïa à la Commission d'avance sur recettes du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC). Il observe également qu'un groupe communautaire (Comin-G) s'est créé à Bercy, ministère qui joue un rôle essentiel dans les médias, notamment publics, et qui a établi des passerelles entre les deux univers. Le constat est partagé par Jean Stern, pour qui «il existe une énarchie de plus en plus homosexuelle, dans une société où les élites restent au placard». Au niveau des dirigeants de médias grand public, «je ne vois pas d'homosexuel déclaré», confirme d'ailleurs Jean-Paul Cluzel, président du Grand Palais et de la Réunion des musées nationaux (RMN), partisan d'une visibilité des gays dans la société. Pour l'ex-PDG de Radio France, «c'est la période à laquelle je dirigeais la radio publique et Marc Tessier présidait France Télévisions [de mai 2004 à juin 2005] qui a eu un effet de loupe trompeur».

 

France, pays de la cooptation

Cette courte période a même dû freiner toute velléité de «coming out» chez les personnes tentées de le faire. Alors qu'il postulait à une reconduction de son mandat en juin 2005, Marc Tessier a fait l'objet d'une plainte du Syndicat national des personnels de la communication et de l'audiovisuel (SNPCA-CFE-CGC), insinuant qu'il aurait fait bénéficier son compagnon de prétendus avantages indus. L'épisode a laissé des traces. D'autant qu'en 2009, Jean-Paul Cluzel a, lui, pu mesurer les risques d'une (trop?) grande exposition: son apparition torse nu et encagoulé sur un calendrier vendu au profit de l'association de lutte contre le sida Act Up, aurait empêché le renouvellement de son mandat de PDG de Radio France par Nicolas Sarkozy.
Certains animateurs-producteurs ont parfaitement intégré la problématique. S'ils ont pu à l'occasion faire leur coming out plus ou moins directement (Laurent Ruquier lors d'un spectacle en 1999, Marc-Olivier Fogiel et Stéphane Bern au cours d'interviews données en 2000), ils souhaitent ne pas apparaître en tant que militants. Voire ne plus être référencés comme homosexuels, à l'instar des deux derniers qui avaient poursuivi en 2005 L'Expansion pour avoir cité leur nom dans un article sur «Les petits secrets de la solidarité gay». Une action qui a été rejetée par la justice un an plus tard. «Quand on travaille sur un grand média audiovisuel, il faut être le plus rassembleur possible, estime le journaliste Vincent Nouzille. Il ne s'agit pas de cliver ou d'apparaître comme contributeur au quota.»
Marc Endeweld, auteur en 2010 de France Télévisions, off the record (Flammarion), s'attaque à ce silence propre aux sphères de pouvoir en général, médiatiques en particulier, qui «apporterait soit-disant de la protection alors qu'il ne fait que favoriser l'homophobie». Pour le journaliste multicarte (Témoignage chrétien, Les Inrockuptibles, Têtu), «il règne un énorme conservatisme dans les médias français, où le traitement de l'homosexualité dans le contenu relève de la caricature ou, au mieux, d'un silence gêné». Et de poursuivre: «Etant déjà dans le sexisme, pour ne pas dire dans la misogynie dans le management, imaginez ce qui peut se passer pour les gays!»
Néanmoins, cette volonté de rester dans le placard n'empêcherait pas les connexions de s'établir. Elles sont facilitées par certaines organisations, notamment celles de défense des droits des homosexuels, comme la fédération L'Autre Cercle, ou les associations Gay Lib, à droite, et Homosexualités et socialisme, à gauche. Sans oublier les réseaux d'anciens d'écoles à l'instar d'Outside à HEC, où peuvent se rencontrer ceux qui ont intégré par la suite la sphère médiatique. «La cooptation est la règle en France, souligne Marc Endeweld, où rien n'est plus naturel que de souhaiter travailler avec des copains ou des proches.» Et cela serait particulièrement vrai dans l'univers qui nous intéresse. «Il existe un aspect grégaire dans les médias, atteste Vincent Nouzille, qui concerne autant les anciens de grandes écoles comme l'ENA que des médias comme Libération ou Canal+.» A croire que les réseaux gays ne refléteraient donc, s'ils existent, qu'un fonctionnement dominant. Mais, «si chaque homosexuel s'affirmait, on s'apercevrait de leur faible représentativité, et que l'existence de réseaux est d'abord une fausse rumeur», conclut Jean-Paul Cluzel.

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