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Le rapport Colin-Collin propose au gouvernement d'instaurer une fiscalité incitative en fonction de la collecte et de l'exploitation des données personnelles. Décryptage.

Une somme de 1,130 milliard d'euros. C'est, selon le Syndicat des régies Internet (SRI), le montant des recettes nettes de Google en France en 2012, avec une part de marché de 95% sur les moteurs de recherche et de 50% sur la vidéo (You Tube). Pourtant, le géant n'apporte pas plus de 5 millions d'euros de rentrées fiscales… au lieu des 378 millions qui seraient dus au titre de l'impôt sur les sociétés (34,3%). Normal: Google a domicilié ses activités en Irlande, où il ne paye que… 2,4% d'impôt, grâce à une fiscalité avantageuse et des mécanismes d'optimisation dans les Bermudes.

Pour tenter d'appréhender fiscalement ces «GAFA» (Google, Amazon, Facebook, Apple), qui réaliseraient 5 milliards d'euros de chiffre d'affaires en France selon la Fédération française des télécoms, le gouvernement a demandé à Nicolas Colin, inspecteur des Finances, et à Pierre Collin, conseiller d'Etat, de lui faire des propositions. Dans leurs conclusions, rendues publiques le 18 janvier, ils suggèrent de taxer les acteurs du Web sur le volume de données personnelles qu'ils collectent et exploitent en masse. «L'idée est intéressante, mais on a du mal à imaginer quels peuvent être les mécanismes de contrôle, réagit Eric Aderdor, président du SRI. Quels seront les acteurs concernées? Les sites de vente en ligne, d'e-commerce? Ceux dont l'usage de la donnée est destiné au marketing interne?»

L'un des rapporteurs précise à Stratégies qu'il s'agit de se doter d'une fiscalité nationale du numérique sans attendre l'issue des discussions d'harmonisation engagées au niveau européen et de l'OCDE. Le domaine des données personnelles apparaît pertinent car la France, sans contourner l'Etat européen où s'établit l'impôt, peut faire prévaloir sa légitimité à s'emparer d'une thématique qui touche à la protection de ses droits fondamentaux et qui met en jeu la relation des entreprises avec des millions d'utilisateurs.

«Représentatives de la valeur créée par les internautes français et captées par les grandes entreprises du numérique», de telles données sont de bons indicateurs de pertinence économique sur le territoire national. D'autant que leur valeur dépend d'investissements publics, comme le haut débit ou l'éducation, la valeur d'un commentaire sur Amazon, par exemple, dépendant du niveau d'instruction de l'internaute.

Un double seuil

Il s'agit de créer une fiscalité incitative, à la façon de la taxe carbone, qui amènerait les entreprises à quantifier elles-mêmes, «sous le contrôle de l'administration fiscale, le volume de données qu'elles collectent et exploitent». De même que le principe du pollueur-payeur incite les firmes à respecter davantage l'environnement, une fiscalité très clémente serait mise en place à condition d'assurer le renforcement de la protection des libertés individuelles, une réappropriation par les utilisateurs de l'accès à leurs données personnelles ou l'émergence de nouveaux services personnalisés passant par une réutilisation de ces données, «afin de soutenir l'innovation», selon le rapport.

Un double seuil est aussi proposé, reposant sur le nombre d'utilisateurs – le chiffre de 8 à 12 millions est évoqué – et sur le «suivi régulier et systématique» des internautes. Objectif: retenir les «GAFA» dans le filet sans pénaliser les start-up. Les gros sites comme Aufeminin.com, qui paye déjà l'impôt sur les sociétés en France, seraient assujettis à cette taxe. «C'est le prix à payer pour une fiscalité nationale», indique le rapporteur, qui veut élargir le spectre aux gros exploitants de données non publicitaires comme les banques ou les télécoms.

Valoriser les bonnes pratiques

Fleur Pellerin, la ministre déléguée au Numérique, estime que ce rapport soulève des pistes pour lutter contre «la nouvelle piraterie fiscale». L'idée du rapport Marini [présenté en octobre 2012] consistant à taxer les clics donnant accès à des contenus, et pouvant servir à rémunérer les éditeurs de presse, en est une autre. Une chose est sûre: le rapport Colin-Collin n'est pas un bon instrument pour faire rentrer des centaines de millions dans les caisses de l'Etat. Mais, valorisant les bonnes pratiques, c'est un bon moyen d'inciter les géants de l'Internet à entrer dans le radar du fisc…

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