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Extension du «brand content», le «native advertising» qui intègre la publicité aux contenus journalistiques digitaux, arrive dans les régies de presse. Les sites du Parisien, L'Equipe, 20 Minutes s'y mettent. Et bientôt les groupes Le Monde, Prisma et Lagardère.

Il a l'apparence d'un contenu éditorial, on le retrouve derrière un lien sur Twitter ou Facebook et il fait fureur aux Etats-Unis… Bienvenue dans le monde du «native advertising», ou publicité intégrée aux contenus journalistiques digitaux. Du Washington Post au Guardian, du New York Times au Wall Street Journal, de nombreux sites Web de médias anglo-saxons ont adopté ce format. Forbes s'est même targué de devoir sa survie à cette bonne intégration des marques dans son contenu, via sa rubrique «Brand Voice».

 

«Forbes a été sauvé par son adaptation sur le Web au prix de la destruction du journalisme, de l'effacement des frontières entre une communication payante et une information libre», fustigeait l'essayiste Jean-Claude Guillebaud dans Stratégies, le 6 juin dernier. Crainte fondée ou alarmisme? Etat des lieux à l'heure où les groupes Amaury, Lagardère et 20 Minutes ont déjà créé leur offre de native advertising, et où les groupes Prisma ou Le Monde vont lancer la leur.

 

Le native advertising est d'abord au numérique ce que le publireportage est au papier. La marque se loge de façon «native» dans les flux d'actualité ou au cœur des contenus éditoriaux, à la façon des tweets sponsorisés ou des «sponsored posts» de Facebook. Cela lui permet de capter l'attention du lecteur et d'entrer dans la conversation avec l'internaute.

La régie Adyoulike, spécialisée dans ce nouveau genre, travaille ainsi pour Microsoft, Orange, SFR ou l'armée de terre avec les sites d'Europe 1, du Huffington Post ou de L'Express. Au total: 15 à 20 campagnes par mois pour un coût moyen de 20 000 euros. «On vend à l'engagement et au clic, de 40 à 80 centimes le clic natif, suivant la problématique, explique Julien Verdier, son fondateur. Alors que le taux de clics s'est effondré à 0,01% sur les bannières en raison du bruit publicitaire, on peut passer à un taux de 1 à 3%, parfois  beaucoup plus.» Sa promesse est celle d'une consommation de la publicité «plus efficace et bien perçue par le consommateur.»

 

Mélange des genres? A en croire les éditeurs, pas question de laisser les marques s'ingérer dans les prérogatives des rédactions en cette période très tendue pour la presse. A l'Udecam, le 5 septembre, Denis Olivennes, le président de Lagardère Active, a promis d'être «scrupuleux quant à l'indépendance et la protection de la rédaction». Pour Olivier Bonsart, président de 20 Minutes, il s'agit de «mettre en avant l'expertise de la marque sur un sujet», en aucun cas de «tromper le lecteur», une charte éditoriale y veillera, assute-t-il.

Pour Pierre Conte, nouveau président de l'agence médias Group M et ancien patron de la régie du groupe Figaro, «tout se fera dans la grosseur de la ficelle: il faut que le contenu ait une valeur ajouté pour les internautes, qu'il ne faut pas prendre pour des imbéciles». La clé est selon lui que les périmètres soient bien identifiés.

 

Marianne Siproudhis, présidente d'Amaury Médias, ne dit pas autre chose lorsqu'elle annonce  «une rubrique intégrée dans le corps des sites d'information, une sorte d'écho des marques, qui permettra aux annonceurs de s'exprimer directement auprès des internautes» sur les sites du Parisien et de l'Equipe:  «Nous proposerons aux marques une présence sur une durée donnée dans un nouveau territoire d'expression clairement identifiable, il n'y aura pas de confusion possible avec les contenus de la rédaction», déclare-t-elle.

 

Mais Dominique Pradalié, secrétaire générale du Syndicat national des journalistes, s'inquiète de la volonté de «mixer les équipes» et de «mêler la pub au milieu de l'information», comme en témoigne un cas récent dans les magazines du Journal de la Réunion : «Ils ont été créés et dirigés par le directeur commercial, où interviennent les journalistes qu'il choisit lui-même, surtout s'ils sont dociles et acceptent de travailler en "indépendants". Ces magazines sont présentés comme ceux de la marque Journal de l'île, entretenant la confusion entre rédaction et pub. Le "native advertising" est juste une théorisation de ce qui se fait déjà».

 

Travailler main dans la main

En France, la première régie de presse à avoir testé le native advertising est Lagardère Publicité, avec le site du magazine people Public. Deux annonceurs sont en cours de signature. «Pour la première fois, on va utiliser des outils rédactionnels, l'annonceur va bénéficier des effets de levier sur l'audience: l'article peut être commenté, partagé et bénéficier de toutes les actions sur les médias sociaux», souligne Axel Auschitsky, directeur du marketing délégué au numérique. L'important est pour lui que le contenu intégré au flux rédactionnel «prenne le ton» des articles et s'insère dans les thématiques phares du titre.

L'idée est d'étendre le dispositif à l'ensemble des marques du groupe, notamment Paris Match et Europe 1, en veillant à ce que les fils d'actualité collent bien aux thématiques des annonceurs. Reste qu'on peut très bien imaginer un publirédactionnel sur le dernier Iphone derrière un article sur la Syrie, mais Axel Auschitsky est prudent: «L'article de marque doit être proche de ce qu'on a sur le site.»

Mais au fait, qui en est l'auteur? L'annonceur signe, il peut proposer sa livraison, mais les journalistes peuvent aussi être mis à contribution, moyennant finances sous forme de frais techniques. «La rédaction peut dire non, c'est elle qui a le dernier mot», rappelle le responsable de Lagardère Publicité. Il précise que des accords-cadres sont en train d'être définis pour déterminer le nombre d'allers-retours possibles vis-à-vis des équipes rédactionnelles. «Cela intéresse beaucoup les annonceurs qui ont des problématiques d'image: cela permet d'asseoir le côté référent sur une thématique», souligne-t-il encore.

Mais que les annonceurs qui voudraient profiter de ce système pour intégrer le référencement naturel de Google se méfient. «Certaines marques peuvent en avoir la tentation, mais c'est formellement interdit», alerte Julien Verdier, d'Adyoulike. Interflora, en Grande-Bretagne, l'a appris à ses dépens en février: le fleuriste a été retiré de l'algorithme du moteur de recherche du jour au lendemain pour avoir cherché à faire passer du contenu de marque sur page «rank» en «dofollow», réservé aux contenus éditoriaux.

Signe que le mélange des genres n'est pas de circonstance? C'est un peu plus compliqué. «Dès qu'on touche à l'éditorial, il faut raison garder, souligne Sylvia Tassan-Toffola, directrice adjointe «trading» d'Aegis Media France. Mais dans le native advertising, on est obligé de travailler main dans la main avec l'éditeur, qui est remis au centre de la discussion. On est dans une logique d'intégration pertinente pour la marque. Il y aura d'ailleurs à imaginer des mesures d'efficacité et à se mettre d'accord: est-ce que l'émergence et l'engagement sont là, est-ce que la perception des valeurs est bien respectée?»

Stéphanie Robelus, directrice général déléguée au digital de Havas Media, estime de son côté qu'il faudra passer d'un modèle fondé sur le clic à une notion d'engagement via le temps passé sur la page de l'annonceur. Elle aussi proscrit toute ambiguïté. Mais il s'agit d'«amener l'internaute de façon tactique sur le contenu qui existe déjà chez l'annonceur».

A travers un papier sur la transition énergétique, EDF peut ainsi étayer son point de vue dans le flux d'actualité d'un site de presse: à chaque fois qu'un article traite de ce sujet, il peut avoisiner le publi-e-article de l'entreprise. Avantage: l'annonceur peut apporter infographies, vidéo, datavisualisation… qui enrichissent la base de contenus de l'éditeur.

Intégrer sans dénaturer

Prisma Pub, qui lancera son offre en octobre, distingue le «publirédactionnel», conçu par l'annonceur, du «billet sponsorisé». Dans ce dernier cas, l'internaute est envoyé vers «un espace de marque dédié cobrandé avec le site de presse». L'éditeur peut alors créer un «scenario» pour un annonceur en associant la rédaction, dixit Carine Rielland, directrice commerciale digital. Sur le site de Femme actuelle, on trouve déjà «le must have de la rédaction» dans un espace Tex de Carrefour. «Il faut que l'information soit pertinente pour qu'elle génère de l'engagement», dit-elle.

«Depuis quatre ans, on tend vers le native advertising», constate Corine Mrejen, directrice générale de M Publicité, la régie du Monde, qui cite en exemple l'e-mag d'IBM, la plate-forme communautaire qui rassemble des experts. «L'audience considère que les contenus des experts peuvent venir d'ailleurs que de la rédaction», souligne-t-elle.

La régie mène une étude afin de tenir compte des attentes des agences, annonceurs et journalistes. Objectif: lancer «une offre très détaillée qui prenne en compte le fait que les marques ont des choses intéressantes à partager dans un monde connecté". Le lancement est prévu après une conférence, attendue courant novembre, destinée à intégrer les sollicitations du marché... sans dénaturer le flux éditorial. «Nous allons tester l'offre au sein du Monde avec des annonceurs qui ont besoin de délivrer des informations plus riches, souligne Corine Mrejen «mais elle sera bien identifiée, il ne s'agit pas de faire passer un émetteur pour un autre». Donc, le «native» serait bien distinct sur le plan formel des articles de la rédaction. D'ores et déjà, la régie commercialise un format intégré au flux d'actualités sur l'appli Iphone du Monde: elle renvoie vers un univers de marque via un «fond grisé». Une zone grise?

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