Presse
Des mouvements politiques profitent de l'affaiblissement de la presse de proximité aux États-Unis pour créer des sites d'information locale en apparence non partisans, au risque de créer la confusion chez les lecteurs.

Ann Arbor Times, Lansing Sun ou Detroit City Wire: tous ont une architecture et une présentation laissant penser qu'il s'agit de titres de presse établis. Il n'en est rien. Tous ont été mis en ligne très récemment par une seule et même organisation, Metric Media Foundation, filiale du groupe Situation Management.

Son PDG, Bradley Cameron, a été le conseiller de plusieurs responsables républicains, selon sa biographie publiée sur le site du groupe. Le dirigeant ou son entreprise ont jusqu'ici refusé toutes les demandes d'interviews, y compris de l'AFP, et Bradley Cameron ne s'est encore jamais exprimé publiquement sur sa stratégie d'investissement dans les médias.

«Notre mission est de rebâtir l'information locale, colonne vertébrale de notre démocratie», explique le site de Media Metric Foundation (MMF). MMF finance, selon son site, plus de 900 sites d'information, qui génèrent 3 millions de pages vues, et se targue de produire 600 articles par jour, «ce qui en fait le premier en matière d'info locale» aux États-Unis.

Sur ces sites, pas de fausses informations ou d'éditoriaux partisans, mais peu de contenu, et une multitude de petits articles consacrés aux donations effectuées à des candidats démocrates en campagne.

La question de leur légitimité

À une époque où internet rend parfois difficile l'identification des contenus et de leurs auteurs, la multiplication de ces sites complique la tâche des lecteurs «pour comprendre qui croire», estime Kathleen Culver, responsable du centre d'éthique du journalisme de l'université du Wisconsin. 

Les groupes de médias orientés politiquement ne sont pas nouveau, mais ces «imposteurs», comme les qualifie Brendan Nyhan, professeur à l'université Dartmouth, se multiplient. Ils risquent selon lui de «désorienter de plus en plus d'électeurs et de générer encore davantage de scepticisme vis-à-vis des médias».

Il semble que ces sites n'emploient pas de journalistes implantés localement, ce qui pose la question de leur légitimité. Ils exploitent le vide laissé par la disparition de quelques 1 800 titres de presse locale en 15 ans (étude de l'université de Caroline du Nord), soit environ 20% de l'offre.

Outre Metric Media Foundation, d'autres organisations à forte coloration politique poussent leurs pions dans la presse locale, notamment Star News Digital Media, basé à Nashville, dans le Tennessee. Le groupe a lancé récemment le Tennessee Star, l'Ohio Star ou le Minnesota Sun, des «sites d'information conservateurs», selon la maison-mère.

À la manœuvre : Michael Patrick Leahy, l'un des organisateurs du mouvement ultra-conservateur Tea Party. Les informations locales y sont rares, noyées au milieu des éditoriaux et articles sur la scène politique nationale, placardés sur toutes les plateformes de Star News Digital Media, qui se ressemblent comme des soeurs.

A gauche, Tara McGowan, dont l'organisation Acronym est spécialisée dans le conseil stratégique de candidats démocrates, a lancé Courier Newsroom, une société de presse dont l'objectif n'est pas seulement d'informer. Financée par des contributions de donateurs démocrates, le groupe produit des informations locales via des sites dédiés à la Virginie (The Dogwood) ou l'Arizona (The Copper Courier).

Ce contenu factuel mais orienté sur les problématiques chères aux démocrates, sera ensuite placé, via des achats d'espace, sur des réseaux sociaux, principalement Facebook. L'idée est de contribuer à mobiliser des électeurs dans des États américains clefs dans le scrutin présidentiel de novembre 2020.

Confiance dans les médias locaux

Tara McGowan table sur le fait que les utilisateurs de réseaux sociaux cliquent beaucoup plus facilement sur des articles que des publicités et les partagent aussi plus souvent. «Nous essayons d'être totalement transparents», fait valoir à l'AFP Lindsay Schrupp, rédactrice en chef de Courier Newsroom, tout en proposant «une vision progressiste des sujets».

Elle assure que ses journalistes ne prendront pas plus de pincettes avec les responsables démocrates qu'avec les républicains. «La raison pour laquelle des médias se présentent sous cette forme tient au fait que les gens ont encore confiance dans le journalisme local», explique Kathleen Culver.

Selon une enquête réalisée fin 2018 par l'institut indépendant Pew Research Center, 71% des adultes américains estiment que les médias locaux présentent l'information avec exactitude. Par comparaison, seules 41% des personnes interrogées par l'institut Gallup en septembre disaient avoir confiance dans les grands médias.

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