Audiovisuel
Le groupe Canal+ a noué d’importants accords de distribution en fin d’année. Il se prépare maintenant à jouer une partie cruciale pour sauver son modèle économique.

L’année 2019 ne s’est pas terminée en ola pour Canal+ mais le groupe a marqué la saison par quelques buts. Après Netflix et la Ligue des champions associée à la sous-licence avec BeIn Sports sur la Ligue 1, c’est un accord exclusif avec Disney+ que le groupe a décroché à partir du 31 mars. De quoi relancer la marque sur ses deux piliers – la fiction et le sport - tout en écrivant une nouvelle histoire où l’agrégateur de contenus se taille une place de plus en plus centrale aux côtés de l’éditeur tandis que sa base est devenue internationale, avec 40 pays et 19 millions d’abonnés.

Pour bien la raconter, Maxime Saada, le président du directoire, a débauché chez M6 Emilie Piétrini qui cumule les fonctions de directrice de la communication et de la marque. Objectif : assurer la mutation d’une chaîne cryptée vers le streaming numérique dominé par Netflix. « On était dans une stratégie de revenus et de rentabilité par augmentation des prix, on est dans une stratégie de croissance des abonnements en baissant nos prix jusqu’à moins de 10 euros », affirme Maxime Saada. D’où un chiffre d’affaires en baisse (-1,8% sur les neuf premiers mois à périmètre constant).

Si le groupe continue de perdre des abonnés en France (7,9 millions contre 8,1 millions en un an), il tend à retrouver de la stabilité sur la chaîne et progresse en Afrique comme au Vietnam, en Pologne ou en Europe avec M7. Son plan de départs volontaires, qui court jusqu’en avril, devrait faire partir jusqu’à 550 salariés sur l’Hexagone. Mais le patron rêve déjà de nouveaux relais de croissance comme l’Italie, où Vivendi est présent dans Telecom Italia, ou l’Afrique anglophone, à partir de l’Ethiopie. Il est convaincu qu’il a vocation à exporter cette part de la culture européenne, exigeant même avec Studio Canal que les films français soient financés à 50% par l’international. Il rêve aussi d’agréger des services culturels : il songe à intégrer une offre de musique avec Universal.

  • Les contenus originaux

Mais le point fort de Canal+ reste sa création originale. Même si le groupe multiplie les accords de distribution, pas question d’abandonner son rôle de créateur et de producteur de contenus. « Il faut les deux, explique Maxime Saada. Face aux plateformes, si vous n’avez pas un rempart en étant vous-même créateur et producteur d’une partie de vos contenus, vous risquez de vous retrouver tout nu : vous vous exposez au risque que chacun reparte avec les siens. Il faut un socle. » En 2019, le groupe a dépensé 3,2 milliards d’euros dans les contenus, dont près de 90 millions d’euros par an dans les séries originales, avec dix nouvelles séries (Vernon Subutex, Mouche…). Pour 2020, dix à douze séries devraient voir le jour, avec notamment une nouvelle saison du Bureau des légendes au printemps et une série portée par Jonathan Cohen, La Flamme, sorte de parodie des émissions de dating comme Le Bachelor. Canal+ pré-achète aussi tous les films de ce réalisateur-interprète. Les séries, avec les films, sont d'ailleurs au cœur de la plateforme MyCanal, qui revendique 1,7 million d’utilisateurs quotidiens, 13 millions de visiteurs par mois, en hausse de 42% sur un an. « Nous étions une chaîne de télévision, nous sommes devenus une plateforme digitale. Ça change les métiers et les compétences », insiste le patron.

  • L’inconnue Mediapro

Les abonnés de Canal+ verront-ils la Ligue 1 la saison prochaine ? Après l’annonce d’un accord de sous-licence et de distribution exclusive avec BeIn Sports en décembre, le groupe s’est assuré deux matchs par journée de championnat. Demeure la question des huit affiches que Mediapro s’est offertes au prix fort et que le groupe espagnol entend diffuser sur la chaîne qu’il veut lancer à l’été. De plus en plus de voix estiment que cette chaîne ne se fera pas et que Mediapro sera contraint de s’entendre avec Canal+ ou RMC Sport. Un avis que ne partage pas Maxime Saada : « Jaume Roures est un grand professionnel, il a eu plusieurs réussites dans des situations très compliquées. Je ne crois pas qu’il y ait un modèle économique possible avec la charge qu’il a, mais je suis persuadé qu’il va se lancer et qu’il va tenter le pari. » Reste à savoir si Canal+ diffusera cette chaîne. Les discussions ont été suspendues entre les deux groupes, faute de s’entendre sur un minimum garanti faisant supporter de nombreux coûts à Canal+, mais pourraient reprendre dans les prochains mois. « Le groupe Canal+ a vocation à agréger les meilleures offres sur le marché. Si celle proposée par Mediapro est très bonne et que les conditions économiques sont au rendez-vous, pourquoi pas [diffuser cette chaîne] », avance Maxime Saada, fier d’avoir déjà récupéré à RMC Sport la Premier league et une partie de la Ligue des champions.

  • Quid du gratuit ?

« Une forme de diversification de portefeuille. » C’est ainsi que Maxime Saada définit la place qu’occupe le gratuit dans la stratégie du groupe, qu’il s’agisse du clair de Canal+, de C8, de Cnews ou de Cstar. « Le clair de Canal+ n’avait plus beaucoup de sens car ça ne jouait pas sur nos abonnements et ce n’était pas rentable », rappelle-t-il. Mais financièrement, les trois chaînes gratuites sont jugées « dans une épure économique plus satisfaisante ». Cnews a « largement amélioré sa rentabilité », avec une perte autour de 10 millions d’euros, contre -30 millions en 2016. Cstar est à l’équilibre tandis que, selon les comptes sociaux de C8, la chaîne affichait en 2018 une perte de 4,2 millions d’euros, contre -75,5 millions un an plus tôt. Quant au contrat de 50 millions d’euros par an signé en 2016 avec la société de production de Cyril Hanouna et qui arrive à échéance mi-2021, le groupe a vocation à le renouveler : « On veut continuer à travailler avec Cyril », dit Maxime Saada. Reste le sujet de la fréquence TNT de la chaîne Canal+, qui arrive à échéance le 5 décembre prochain et pour laquelle le CSA lancera bientôt un appel à candidatures. Canal+ pourrait-il ne pas candidater et ainsi renoncer à ses 400 000 abonnés sur la TNT pour se concentrer sur le satellite et les FAI ? « Clairement, la question se pose », tranche le patron, qui pointe pêle-mêle « les obligations [qui] nous assomment », « notre fiscalité [qui] n’a cessé de se durcir en France » et les « coûts de diffusion propres à la TNT extrêmement élevés ». Pour preuve, il cite les 120 millions d’euros d’impact qu’ont eu le passage de 5,5% à 10% de la TVA. La fin des jours interdits de cinéma à la télévision est peut-être le coup de canif de trop dans le modèle de Canal. « On considère le deal rompu », s’énerve le dirigeant, qui n’exclut pas de candidater « sous condition ». Le chiffre d’affaires généré par le foot pourra-t-il contribuer longtemps au cinéma français ? « En l’état, le modèle économique de Canal+ est menacé », assure le dirigeant.

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