Dossier Innovations TV
Pour répondre aux évolutions des usages, les acteurs historiques de la télévision en France ont constitué ces dernières années des plateformes qu'ils alimentent avec leurs programmes en replay et de plus en plus avec des contenus originaux. En attendant le lancement de Salto.

Cet article fait partie du dossier publié le 09/04/2020 dans le Stratégies n°2034

 

Avec le confinement de plus d’un tiers de la population mondiale du fait de la pandémie de coronavirus, de nombreux experts craignent que la consommation accrue de vidéo n’impacte l’accès à internet pour les infrastructures stratégiques. Il faut dire que ces dernières années, la consommation audiovisuelle à travers le monde a bien changé et même si, avec la période de confinement, l’écoute de la télévision est en nette hausse, les plateformes profitent également de ce temps disponible inédit. La télévision par internet, quel que soit son modèle ou son mode de distribution, est aujourd’hui clairement entrée dans nos foyers (lire encadré p.23), d’abord par YouTube et le replay, puis par Netflix, qui a imposé le modèle OTT payant. Un modèle plus que jamais challengé avec l’arrivée de nouveaux acteurs de la SVOD (vidéo par abonnement) : Apple TV + depuis novembre 2019, Disney+, avant Peacock, qui doit être lancé par NBC Universal mi-avril aux États-Unis.Nouvelle èreEn France, les trois distributeurs historiques de télévision gratuite – TF1, France Télévisions et M6 – se sont alliés pour lancer Salto, une offre francophone « complémentaire » (lire encadré p.24) des Netflix, Amazon Prime Video, Disney+… Car avec un budget estimé à 250 millions d’euros par an, il n’est pas question pour Salto d’aller en concurrence frontale avec les géants mondiaux de la SVOD, dont les budgets d’acquisition et de création de programmes se chiffrent en milliards (6 milliards de dollars pour Apple TV +, 20 milliards de dollars pour Netflix, soit cinq fois plus qu’en 2015).« Nous entrons dans une nouvelle ère de la SVOD », affirme Gilles Pezet, analyste au pôle économie des médias numériques de NPA Conseil. « Nous assistons à un changement global des habitudes de consommation des téléspectateurs ; le public veut désormais regarder le contenu qu’il souhaite comme il veut, quand il veut », constate Alexandre Dureux, directeur des antennes numériques de France Télévisions. « Deux modes de consommation de l’offre audiovisuelle se confrontent : une consommation de flux et une consommation de choix », analyse pour sa part Julien Domingues, head of trading chez Dentsu.Si les chaînes françaises se sont alliées pour être présentes dans la vidéo par abonnement, elles n’en ont pas moins affûté leurs armes en termes d’offre gratuite ces dernières années avec leur plateforme de replay. Depuis deux ans, France Télévision a réorganisé son offre, rebaptisée France.tv (ex-Pluzz). Une nouvelle version de MyTF1 a quant à elle vu le jour à l’été 2019, tandis que M6 a revu sa plateforme il y a trois mois.Les diffuseurs se positionnent ainsi sur l’autre volet de l’offre OTT, l’AVOD, la vidéo gratuite financée par la publicité, proche de leur métier historique. « Que nous diffusions des programmes vidéo via la télévision linéaire, en multi-écrans ou en replay, cela ne change rien à notre métier historique de fournisseur de contenus différenciants et de qualité », estime Christine Bellin, directrice stratégie et distribution clients de TF1, qui s’inscrit désormais dans un contexte « total video ». « TF1 n’est plus uniquement un groupe de télévision, il additionne les contenus fédérateurs d’un média de masse et une consommation individualisée à grande échelle », expliquait ainsi Gilles Pelisson, PDG du groupe TF1, dans une interview au Journal du dimanche en février.

« Avec son offre digitale, M6 s’offre un terrain d’expression illimité pour faire vivre sa marque et proposer des programmes en adéquation avec son public » , souligne Frédéric de Vincelles, directeur des programmes en charge du digital chez M6. « La télévision linéaire est évidemment la locomotive de cet ensemble : elle alimente la catch up [TV de rattrapage] qui est prépondérante sur 6play, mais aussi la stratégie de promotion sur les réseaux sociaux et, à terme, Salto avec des programmes en avant-première », ajoute le dirigeant. « M6 a aussi développé une politique d’extension de l’offre de contenus, qui vise à proposer des programmes inédits réservés au digital », complète Frédéric de Vincelles, citant l’achat de droits de télénovelas et téléréalités­ (L’incroyable Famille Kardashian) ou encore la production de contenus propres comme des spin off de programmes phares du groupe (À la table des Top Chef).

De son côté, France.tv diffuse depuis septembre les épisodes de séries en avant-première de la diffusion en linéaire, comme les fictions de soirée, dès 6 heures du matin. Le groupe public a aussi négocié des droits élargis pour la diffusion de programmes déconnectés du linéaire (saison 12 de Doctor Who) tout en se lançant dans la production de contenus spécifiques, comme la série Parlement, programmée pour avril, ou des documentaires en cours de tournage.Fluidifier l’expérience« MyTF1 se positionne aujourd’hui comme la sixième chaîne du groupe », précise Nicolas Lemaitre, son directeur. Depuis sa refonte l’été dernier, la plateforme a dopé son offre par 2 500 heures de contenus supplémentaires, qui s’ajoutent aux 6000 heures déjà en diffusion. L’offre de MyTF1 regroupe mangas, télénovelas, téléréalités, fictions françaises ou étrangères en création originale ou acquises à l’international.Que ce soit chez TF1, M6 ou France Télévisions, les plateformes de replay intègrent désormais des fonctionnalités devenues indissociables des usages : recommandation de vidéos en fonction de ses choix, création de listes de lecture, reprise de la vidéo au même endroit, y compris lorsqu’on change d’écran, grâce à l’identification de l’utilisateur. « L’objectif était de fluidifier l’expérience des consommateurs en mettant mieux en valeur la richesse du contenu et en proposant des fonctionnalités améliorées afin de se mettre au niveau des attentes du public », assure Alexandre Dureux, chez France Télévisions. « On a été challengé par les plateformes sur les fonctions utilisateur – l’UX, la personnalisation, la reprise de lecture, les recommandations… », confirme Nicolas Lemaitre, directeur de MyTF1. « Auparavant, les chaînes de télévision étaient jugées uniquement sur la qualité des programmes. Désormais, elles sont aussi évaluées sur leur capacité à animer et fidéliser une communauté », analyse Julien Domingues chez Dentsu.Seul bémol, « l’industrie de la publicité n’est pas tout à fait prête à opérer dans cet univers du total video, fait remarquer Laurent Bliaut, directeur général adjoint marketing et R&D à TF1 Pub. Il faut que l’on aille vers l’harmonisation des indicateurs de performance. » C’est aussi pour cela que TF1 Pub a mis en place son offre One PTV d’achat programmatique en télévision linéaire. Il faudra aussi que les acteurs français, diffuseurs et opérateurs, arrivent « à constituer une base de données suffisamment conséquente pour contrecarrer les Netflix et autres plateformes » sur la data, alerte Julien Domingues, de Dentsu.

Salto veut renouer avec l’écoute collective

Transgénérationnelle et incarnée : telle est l’ambition de Salto dont le lancement commercial devrait être repoussé à l’automne. Les concepteurs de la future plateforme, qui sera disponible directement sur internet, veulent favoriser l’écoute conjointe, l’ouverture et le partage, et proposer une alternative à l’expérience parfois jugée trop individualiste des plateformes. Pour cela, Salto s’appuiera notamment sur des personnalités et des influenceurs, qui livreront leurs propres recommandations. Le prix d’abonnement sera compris entre 5 et 10 euros (Netflix est à 7,99 euros pour l’abonnement de base).

Les nouveaux usages de la TV en France

7,8 millions de Français regardent chaque jour la télévision en replay

4,3 millions regardent la TV sur internet

17,3 millions ont regardé au moins un programme en SVOD au cours des 12 derniers mois

73 % du temps passé à regarder des programmes VOD/SVOD se fait sur la TV

Source : Médiamétrie, Médiamat Global TV, avril-novembre 2019.

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