Communication politique
Le Premier ministre doit gérer de front la crise sanitaire, le plan de relance économique, la rentrée scolaire, le climat social et la question de l’insécurité. Sept experts se prononcent sur sa communication tous azimuts.

C’est sans doute sa séquence la plus difficile à gérer. Il s’agit de combiner les communications autour de la crise sanitaire, du plan de relance, de la rentrée scolaire et des tensions sociales et sécuritaires qui s’annoncent. À Châlon-en-Champagne, le 4 septembre, le Premier ministre a endossé les habits de « chef de la majorité » devant les élus d’Agir pour réaffirmer son autorité. Pas question de laisser se disloquer une majorité désormais relative. Un chantier de plus pour le locataire de Matignon qui vient de se découvrir « cas contact » de Christian Prudhomme, le patron du Tour de France, et doit s’isoler quelques jours.

On s’en souvient, sitôt sa nomination, Jean Castex a d’abord été présenté comme l’homme qui avait réussi le déconfinement. Mais l’apparition de ce qu’on nomme, à tort ou à raison, la deuxième vague, ne sonne-t-elle pas le glas de cet élément de langage censé mettre au plus vite la crise sanitaire derrière nous ? « Avec la résurgence de la Covid, il y a un problème de légitimité par rapport au déconfinement, estime Éric Giuily, président de Clai, ce qui était un bon argument en juin est devenu un pari risqué. » Le fait est que l’homme ne pourra plus multiplier les rendez-vous médiatiques et les voyages en province. D’autant plus ennuyeux que, comme le note Denis Pingaud, président de Balises et expert en communication politique, « ils ont fait le choix d’une communication de visibilité tous azimuts avec des déplacements sur le terrain visant à esquiver les incertitudes sur la crise sanitaire. »

 Ancien maire de Prades, fort d’une expérience d’État aux côtés de Nicolas Sarkozy en tant que secrétaire général adjoint de l’Élysée en 2011 et 2012, Jean Castex a fait de son ancrage territorial une ligne de force : « Après Édouard Philippe qui jouissait d’une très bonne image et était habile dans les médias, il a tout misé sur la compétence et l’image de proximité, jouant et surjouant peut-être l’homme de terrain. Pour l’instant, ça marche, mais je suis curieux de voir ce que ça donnera face à l’urgence de la situation économique », note Gaspard Gantzer, ancien conseiller de François Hollande.

Du «en même temps» à la mode pyrénéenne

L’urgence ne vient pas seulement de l’appel des Gilets jaunes à reprendre les manifestations le 12 septembre. Il s’agit d’abord de répondre aux 800 000 destructions d’emplois annoncées avant la fin de l’année. Que faire ? Et, tiens, faut-il approuver l’offre d’achat de Véolia sur Suez ? « Il me semble que l’opération fait sens », déclare Jean Castex, « c’est une logique industrielle » à condition « d’assurer la pérennité de l’emploi ». Du « en même temps » à la mode pyrénéenne… « Macron a cherché à dépolitiser son Premier ministre, observe Jean-Christophe Alquier, président du cabinet du même nom, il lui fallait un faiseur, un pragmatique qui met en exécution et connaît bien le système administratif. Il n’est pas charismatique, ce n’est pas un féru d’estrades mais il est assez posé et terre à terre. »

Pourtant, ajoute l’expert, « les faits lui reviennent en boomerang. » Alors qu’il s’est accaparé avec son ministre de la Santé, Olivier Véran, le monopole de l’expression sur la pandémie, chacun peut constater au cours de l’été que le déconfinement a basculé dans un grand relâchement des gestes barrières que le gouvernement n’a pas su anticiper. « La fenêtre du déconfinement semble se refermer avec la rentrée scolaire et la reprise des contaminations, ajoute le patron d’Alquier Communication, le sujet de la pandémie semble être un angle mort, personne n’en parle en dehors de Véran et Castex, mais dès lors qu’il est central, ce n’est plus tenable. »

Philippe Moreau Chevrolet, président de MCBG Conseil, constate aussi un manque de transparence et de clarté. « Depuis le début, on est dans l'injonction paradoxale, assène-t-il. Il faut à la fois ne pas s'inquiéter et absolument se protéger. On ne peut pas vivre avec une communication de ce type. On nous infantilise. Plus on essaye de rassurer, plus on inquiète. Cela me fait penser à ces médecins de famille qui pensaient qu'il valait mieux cacher la vérité au malade atteint d'un cancer afin de les ménager. Mais une information très lacunaire est encore plus anxiogène. » Pour preuve, le communicant cite l'absence de données sur les eaux usées alors qu'il a été dit que c'était un bon indicateur de la présence de la Covid dans les zones d'habitation.

Une communication « par petits bouts »

Une telle posture a été justifiée par le souci de ne pas polluer la médiatisation du plan de relance, par l’idée (fausse) qu’il vaut mieux attendre un tassement de la tension sanitaire, comme en Mayenne, pour lui donner toute la place. D’où le retard d’une semaine pris dans la présentation du plan avec, comme dit Éric Giuily, « pas d’annonce solennelle mais une communication par petits bouts. » Résultat, tout est déjà connu le 3 septembre, lors du dévoilement du fléchage des 100 milliards d’euros consacrés à « la relance pour redresser l’économie ». « Une erreur, juge Gaspard Gantzer, ce ne sont pas forcément de mauvais choix économiques mais c’est difficile à comprendre quand il n’y a pas de mesure symbolique. Jospin, c’était les 35 heures ou les emplois jeunes, Sarkozy, le grand emprunt, Hollande, le pacte de compétitivité. Là, il y a un montant global. Et 30 milliards pour la transition écologique cela fait une belle jambe à ceux qui commencent à souffrir économiquement et socialement. »

Jean-Christophe Alquier pointe l’absence d’axe majeur autour du digital et une ambition écologique qui se résume à la rénovation des bâtiments. « Il y a très peu d’éléments de modernité, comme en témoigne le commissariat au plan avec Bayrou, et cela n’a pas généré d’échanges, ni de débats. » Denis Pingaud est plus sévère encore : « On ne peut pas faire une communication qui ait un sens avec un chiffre, fustige-t-il. C’est une caricature de com techno. On dit qu’on fait de la réindustrialisation ou de la compétitivité mais ce sont des milliards accolés à des milliards. On est très loin de ce que donnait à voir le président sur la nécessité de se réinventer. » Pour lui, la réalité est donc beaucoup plus prosaïque avec sa baisse de 20 milliards d’euros en impôts de production en faveur des entreprises. « C’est une communication d’agitation permanente pour esquiver des débats sur la nature de ce plan de relance, sur ses choix, sur l’absence de contrepartie aux aides. Est-il de nature à endiguer la crise sociale très violente qui vient avec ses deux angles morts que sont l’écologie et le social ? »

Philippe Moreau Chevrolet rappelle que le plan de relance était, potentiellement, en capacité à la fois d'éteindre la contestation sociale et de plaire à un électorat de droite. Du « en même temps » dans toute sa splendeur.  «Seulement, essentiellement, le gouvernement donne l'impression de travailler avec les entreprises, pas avec les citoyens, quand il faudrait s'adresser aux deux », complète-t-il.

Adaptation ou improvisation

Sur le plan sanitaire, les critiques sont aussi nombreuses malgré les efforts d’Olivier Véran pour jouer la transparence. « Je comprends que le gouvernement dise qu’il s’adapte et qu’il est pragmatique mais cela donne l’impression qu’il improvise et ne maîtrise pas la situation », juge Éric Giuily. En témoigne la volte-face autour du masque en extérieur sur les cyclistes et les joggers. Ou la géométrie variable du port du masque en établissement scolaire suivant que les élèves sont en cours ou à la cantine. Ou encore ce moment étrange où la ministre déléguée au Logement, Emmanuelle Wargon, s’exprime sur Franceinfo après la fermeture d’une centaine de classes pour cause de coronavirus : « Notre réponse est : nous allons trouver une solution. » Comme si le dispositif ne pouvait pas être prêt dès la rentrée scolaire. À cela s’ajoute le fiasco du tracing avec l’application StopCovid, une politique de tests qui apparaît assez anarchique et surtout, des critères changeants en matière de communication sanitaire. « Ce qui compte, ce ne sont plus les admissions en réanimation et les morts, mais le nombre de tests positifs et cela n’a pas été expliqué », relève Gaspard Gantzer. Pour ajouter à la confusion, alors qu’un mouvement anti-masque commence à se faire jour, Olivier Véran fait savoir qu’il pourrait réduire de moitié le délai de la quatorzaine dans les prochains jours.

« VRP des territoires »

Pour l’assister dans sa communication, Jean Castex a fait venir d’Havas Paris Mayada Boulos. « Avec moins de gravité et de solennité qu’Édouard Philippe, Jean Castex apparaît rassurant en VRP des territoires », note Amélie de Bourbon Parme, directrice associée d'Havas. Mais son grand challenge sera de sortir, comme dit l’experte, du « feuilletonnage sur le Covid ». « Il faudrait sortir du précautionnisme permanent, suggère-t-elle, que ce soit clair et qu’on passe à autre chose. » Gaspard Gantzer cite ainsi en exemple l'action du ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer : « Il a fait preuve de simplicité et de courage en sortant les enfants d'une situation épidémique au moment de la rentrée scolaire. C'était essentiel et je suis sûr que ce sera au crédit du gouvernement dans quelques semaines. »

Pour l’heure, la rentrée ne joue pas en la défaveur du Premier ministre. Un sondage Ifop Fiducial du 4 septembre montre que Jean Castex gagne 9 points en passant de 39 à 48 points d’opinions favorables pour son action à la tête du gouvernement. Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’Ifop, y voit la confiance montante des Français envers quelqu’un qui est dans le parler vrai et qui « en émetteur chimiquement pur » a peut-être capitalisé sur la sécurité sanitaire en préparant l’opinion à une deuxième vague. Ce n’est pas la seule explication : l’alliage avec Macron fonctionne plutôt bien et la polarisation récente sur la question de l’insécurité semble lui profiter. Le 7 septembre, selon un autre sondage Ifop, sept Français sur dix jugent justifié l’emploi du terme « ensauvagement » par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, qui gagne 11 points quand Éric Dupond-Moretti, le garde des Sceaux, en perd 4. « La lutte contre la délinquance gagne 26 points, du jamais vu depuis mars 2002 », observe Frédéric Dabi. La posture sarkozyenne n’est bien sûr pas pour déplaire à un président qui prépare sa candidature pour 2022. L’histoire a montré qu’entre le good judge, qui permet de satisfaire une aile gauche, et le bad cop qui chasse sur le terrain de la droite, mieux vaut jouer la sécurité… Quoi qu’il en soit, il ne peut voir en Castex un rival potentiel. « Pour l’instant, le Premier ministre a le beau rôle, résume Éric Giuily, entre les emplois promis lors du Ségur de la santé et les milliards distribués du plan de relance, mais après… » Une coagulation des mécontentements est probable après les premières vagues de licenciements.

 

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Macron se consacre au régalien

 « C’est : courage fuyons », résume Jean-Christophe Alquier. Après avoir occupé en permanence la scène médiatique au moment du confinement, Emmanuel Macron semble aux abonnés absents. « Il a compris qu’il avait perdu la main sur la gestion de la pandémie et que cela lui avait coûté des points de crédibilité, il occupe désormais le poste du président du conseil constitutionnel libanais », sourit l’expert en communication. Une allusion aux deux voyages d’Emmanuel Macron à Beyrouth, après l’explosion qui a détruit son port et fait vaciller le gouvernement libanais.

En réalité, le président tâche de ne plus associer son image à la gestion courante du pays. Comme le montre son intervention au Panthéon, à l’occasion du 150e anniversaire du retour de la République, il ne prend plus en charge que le régalien. « Il n’a pas intérêt à s’exposer sur le plan de relance, complète Denis Pingaud (Balises), il a compris qu’il n’avait que des coups à prendre. On assiste donc à un repositionnement au-dessus des contingences et à une triangulation de la droite. » Objectif : préparer sa campagne électorale en tirant les ficelles d’un gouvernement qui devra se montrer plus sécuritaire que LR tout en entretenant le RN avec lequel il a intérêt de se retrouver au deuxième tour.

Mais n’est-ce pas un faux retrait ? Le président profite souvent de la présence des micros pour intervenir sur la situation française ou gourmander un journaliste du Figaro, Georges Malbrunot. Éric Giuily rappelle que « Jupiter abattait la foudre et n’était pas dans les cuisines pour commenter tous les plats. » Résultat, s’inspirant des recettes de Jacques Pilhan, en charge de la communication de Mitterrand et de Chirac, Macron souhaite se faire rare. Mais il reste très présent dans le verbe. Avantage : « Il n’y a pas de décalage entre les paroles et les actes, pas la critique majeure de l’inaction comme avec Hollande ou de l’éparpillement comme avec Sarkozy », note Frédéric Dabi (Ifop). Mais le réglage n’est pas encore parfait entre une posture régalienne en surplomb et sa propension à jouer les managers d’équipe.

Pour Philippe Moreau Chevrolet (MCBG Conseil), Emmanuel Macron se caractérise par une absence d'empathie. « C'est un vrai handicap, estime-t-il, il apparaît plus dans les enjeux cérébraux et les stratégies électorales. Il semble davantage tourné vers des jeux qui lui plaisent à lui que vers les besoins de la population. » Comme si le Président avait délégué la relation avec les Français au Premier ministre et à son gouvernement pour ne plus se soucier que de la France. Et une France sinon fantasmée, en tout cas loin des préoccupations des gens.

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