Dossier RSE
Au-delà de l’éditorial, les médias ont une responsabilité vis-à-vis, non seulement de leurs lecteurs, mais aussi de la société toute entière. Certains précurseurs mettent en place des actions mais les chantiers ne font que démarrer.

La décision n’a pas fait tache d’huile. En janvier 2020, The Guardian a annoncé renoncer aux publicités des sociétés pétrolières et gazières afin de lutter contre la crise climatique. Une démarche exceptionnelle, puisque le quotidien britannique est quasiment seul dans ce cas. Ce parti pris engagé - le financement de la presse reste fragile - apparaît comme un symbole de la façon dont les médias peuvent, eux aussi, mettre en œuvre leur responsabilité sociale et environnementale. « La singularité de la RSE dans les médias, c’est comment ils permettent aux générations actuelles et futures de réaliser quatre choses : satisfaire leur besoin de communiquer, nourrir leur curiosité, développer les talents, encourager le dialogue interculturel et le vivre-ensemble », entame Pascale Thumerelle, fondatrice du cabinet de conseil Respethica, spécialisé dans la responsabilité sociétale des médias et des industries culturelles.

Service Planète

Cette responsabilité commence par l’éditorial, leur cœur de business. Mais il ne s’agit pas ici de saupoudrer de la RSE dans les sujets en abordant périodiquement les grandes thématiques sociales et environnementales. L'une des actions à mener est de sortir les sujets écologiques des seules rubriques dédiées : à l’heure de la transition écologique, la question du climat irrigue désormais tout le reste, à commencer par l’économie. De son côté, Le Monde a fait le choix de se doter d’un service Planète, qui permet d'aborder une variété de sujets : coronavirus, économie, climat, biodiversité, etc.

« Quand on fait un portrait d’entreprise formidable pour sa réussite économique sans aborder sa politique RSE, cela pose question. Cela traduit un manque de curiosité du journaliste qui devrait analyser la RSE comme un volet de la performance globale », remarque Pascale Thumerelle. Autre démarche possible, celle de Mediapart, qui a annoncé début octobre se doter d’un responsable éditorial aux questions de genre. Sa mission : coordonner le travail des journalistes sur « les discriminations de genre, la révolution féministe et les violences faites aux femmes ». « L'objectif est de veiller de manière transversale à ce que le journal soit inclusif dans son traitement éditorial et dans son fonctionnement interne », précise le site d’investigation cité par l’AFP.

De nouvelles lignes éditoriales

Par ailleurs, ces dernières années, le journalisme de solutions a gagné du terrain. « Ce qui m’intéresse, c’est l’impact des contenus que l’on diffuse, affirme Gilles Vanderpooten, directeur général de Reporters d’Espoir, ONG qui incarne ce type de journalisme. Si on laisse les personnes face à l’impuissance [sans ressources face au changement climatique par exemple], on ne leur permet pas de reprendre le pouvoir dans les événements. L’idée est de permettre aux gens d’être acteurs. »

Pour le dirigeant, « il y a eu un mouvement de fonds en 2014 et 2015. Les médias ont saisi qu’il y en avait assez de parler uniquement de crise, ce qui a abouti à des créations de lignes éditoriales nouvelles, comme à L’Express. À France Télévisions, Delphine Ernotte l’a très bien saisi : elle a mis cela au cœur de son projet stratégique. » Au-delà du service public, de nouveaux venus se créent sur ce créneau, à commencer par So Good, initié en juin par So Press et Ulule, qui promet un traitement particulier des grands enjeux sociétaux : « Le ton de So Good ne sera pas culpabilisateur ou inquiétant. Au contraire, le magazine ambitionne de raconter le monde autrement, en mettant en avant les courageux, les audacieux, les intrépides, les téméraires qui tentent de faire avancer le monde », écrit le trimestriel sur son site.

Mais s’engager au niveau éditorial ne suffit pas. La RSE repose aussi sur d’autres piliers comme la production. La problématique de l’éco-conception monte en puissance, bien qu’elle reste très marginale. « La question de la responsabilité carbone des entreprises de presse est très sous-traitée », explique Jérôme Bouvier, président de l’association Journalisme & Citoyenneté, organisatrice des Assises internationales du journalisme. Parmi les rares exemples, Le Monde s’interroge sur l’impact carbone de ses vidéos en streaming tandis que M6 a entamé un double chantier pour réduire l’empreinte carbone de sa plateforme 6play en modifiant son back-office pour qu’il soit moins énergivore et a lancé une fonctionnalité d’usage visant à réduire le scrolling à l’infini.

Adieu l’avion

Les entreprises de l’audiovisuel et de la presse ont donc fort à faire pour réduire l’impact de leurs activités digitales. C’est tout l’objet des réflexions menées par le collectif Ecoprod, fondé, entre autres, par des acteurs de l’audiovisuel (France Télévisions, TF1). Celui-ci s’interroge sur des méthodes de travail et de création éco-responsables, et met à disposition des outils et des guides. Pour la presse écrite, il y a aussi un sujet sur la question des encres. « Demain, y aura-t-il une évolution sociétale qui fera que les gens achèteront, pour cette raison, un journal respectant certaines pratiques ? interroge Jérôme Bouvier. Aujourd’hui, le signal est très faible mais pourquoi scanner sa consommation alimentaire [via Yuka] et exclure le champ médiatique ? »

Autre champ d’action pour les médias : les pratiques professionnelles. L’idée est que les journalistes puissent faire leur travail dans le respect de ces exigences sociales et environnementales. « Le journal danois Politiken a décidé de ne plus envoyer de reporters sur le terrain par avion dès lors qu’aucune urgence ne le justifie », illustre Jérôme Bouvier. Enfin, la formation des journalistes sur les sujets écologiques et le climat laisserait aujourd’hui à désirer. « Le point de progrès, c’est qu’il existe une demande des journalistes sur la façon de traiter ces questions sans faire fuir les gens, qui n’écoutent pas si on leur présente la réalité dans son versant dramatique. Si l’on veut embarquer la population, il faut montrer les bonnes pratiques », défend Gilles Vanderpooten. Une promesse d’embellie ?

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