Réseaux sociaux
Le journaliste du Monde Samuel Laurent raconte dans un ouvrage aux Arènes, qui sortira le 11 février, comment le réseau social Twitter, qui s'est imposé dans nos quotidiens, a encouragé la polarisation de l'espace public.

Le titre de votre livre c'est J'ai vu naître le monstre: Twitter va-t-il tuer la #démocratie? (Les Arènes). Que représente ce «monstre» ?

Samuel Laurent: Le monstre, c'est Twitter. C'est un réseau qui est devenu une drogue pour les journalistes et les politiques. On est tous collés et accros à ce réseau social qui a un poids totalement disproportionné par rapport à tous les autres dans la vie publique.

Dans ce livre j'essaie de retracer un peu l'histoire de Twitter, puisque j'ai assisté à ses débuts, j'ai vu monter ce phénomène. C'est devenu un monstre car c'est un endroit où se créent de la polarisation, des camps... C'est la grammaire du réseau social qui amène à ce genre de comportements de plus en plus violents, dans les propos, les échanges et les manières, qui finissent par influer sur la vie sociale.

On le voit aujourd'hui avec Donald Trump, qui est une créature de Twitter : il a fait ses campagnes et sa présidence depuis son compte Twitter. On a un problème collectif d'addiction à Twitter.



Quand est-ce que vous avez décidé que Twitter était devenu trop violent pour vous ?

SL : J'étais à la tête d'une équipe de vérification factuelle (Les Décodeurs du Monde) et donc très actif sur les réseaux sociaux. On s'exposait beaucoup, donc j'ai pris des rafales de vagues de harcèlement dans la tête. À mesure que le nombre d'utilisateurs augmentait, les techniques de harcèlement étaient de plus en plus organisées.

Dans le livre, je raconte deux épisodes qui m'ont marqué. Le premier c'était après un article sur le rappeur Nick Conrad (qui appelait à pendre les blancs dans un morceau polémique), qui expliquait factuellement que la chanson avait été mise en ligne il y a plusieurs mois et qu'elle n'aurait pas eu cet écho sans les relais de l'extrême droite. Après cela, j'ai reçu des menaces de mort, des messages très violents. «J'aimerais que tes enfants crèvent», des choses immondes.

L'autre, c'est celle qui m'a fait arrêter la vérification. Aux Décodeurs, on a produit un article de vérification factuelle sur la polémique des manifestants qui étaient venus se réfugier l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière pour échapper à la police et sur la fake news de Christophe Castaner qui avait annoncé que les manifestants avaient intentionnellement attaqué l'hôpital. Je me suis pris des vagues de trolls macronistes par centaines. Cela a duré pendant des mois, et au bout d'un moment ce n'était plus tenable.

J'ai décidé d'arrêter la vérification et de rejoindre le service enquête, mais surtout d'arrêter d'utiliser Twitter pour autre chose que le simple partage d'articles. J'essaye maintenant de limiter mon expression sur Twitter pour me protéger.



La suspension du compte de Donald Trump vous inquiète-t-elle ?

SL : Non, je dirais seulement que ça pose de manière claire le problème de la puissance des plateformes et de la centralité que les réseaux sociaux ont dans la vie publique. Les réseaux n'ont jamais été capables de définir les limites des propos que l'on peut y tenir. Il ne faut pas oublier que c'est une plateforme privée, qui a ses règles d'utilisation.

C'est une décision critiquable sur beaucoup d'aspects, car les réseaux sociaux n'ont jamais voulu s'emparer de leur rôle en tant que média à part entière. Ils se sont toujours considérés comme des canaux neutres et n'ont jamais voulu assumer ce côté éditorial et prendre la responsabilité des contenus publiés.

 

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