Droits TV
Après le fiasco de Mediapro et le retour de Canal + en position de force, sur fond de crise sanitaire, la valeur des droits audiovisuels de la Ligue 1 est au plus bas. Charge à la Ligue de football professionnel de stimuler les appétits, notamment d’Amazon, pour tenter de faire remonter les prix pour les saisons qui viennent.

Pour le retour des grandes affiches de Ligue 1 sur Canal+, la chaîne cryptée a frappé fort : 1,71 million de téléspectateurs le 7 février pour le match OM-PSG, une audience record pour un match de foot sur ses antennes depuis octobre 2019, preuve s’il en fallait que le foot français a encore une valeur pour les abonnés de Canal+. Cette valeur de la Ligue 1, ou plutôt celle des droits audiovisuels du championnat français, a été nettement dégradée depuis mai 2018. De 1,217 milliard d’euros, dont 814 millions promis par le groupe Mediapro, la Ligue 1 aura rapporté in fine 683 millions d’euros en droits TV cette saison, soit une baisse de 44 %. « Cette diminution est la conjonction de deux phénomènes : la baisse très forte du niveau de concurrence entre les diffuseurs et l’urgence dans laquelle se retrouve le foot français du fait de la crise sanitaire », analyse Christophe Lepetit, responsable des études économiques au Centre de droit et d’économie du sport (CDES) de Limoges.

Le retour en force de Canal+

Le groupe Canal+ revient de loin. Diffuseur historique de la Ligue 1, celui-ci avait pâti en 2018 d’un appel d’offres de la Ligue de football professionnel (LFP) taillé pour faire monter les enchères et attirer de nouveaux acteurs, comme Mediapro. En ligne de mire, le fameux milliard d’euros. Pour la première fois, les enchères étaient ouvertes lot après lot ; Canal+ ayant raté le lot 1, le plus convoité, il a voulu se rattraper sur le lot 2 en misant plus gros, en vain. « L’appel d’offres séquentiel favorise les reports de budget d’un lot à l’autre, ce qui a fait monter les prix progressivement. Il a d’ailleurs été choisi par la LFP pour aller chercher le maximum de budgets », rappelle Christophe Lepetit.

« Cet appel d’offre a tiré le football français au-delà de ce qu’il valait. La balle est montée trop haut et elle est retombée d’autant plus fort qu’il y a eu le Covid », estime de son côté Philippe Bailly, président du cabinet NPA Conseil. « La valeur des droits TV du foot ne dépend pas du produit lui-même mais quasi-exclusivement de la concurrence que se livrent les opérateurs. Entre 2012 et 2018, la grande concurrence entre les diffuseurs a fait exploser les droits. Aujourd’hui, le groupe Canal+ se retrouve dans une situation quasi-monopolistique », résume Pierre Maes, consultant et auteur de Le business des droits TV du foot, paru en mars 2019.

Canal+ le sait. Ce n’est pas pour rien que le groupe détenu par Vincent Bolloré a pu récupérer l’intégralité de la Ligue 1 à compter de la 25e journée de championnat (12-15 février). Après la défaillance de Mediapro, une consultation infructueuse de la LFP – dont le prix de réserve n’a pas été atteint – et d’âpres négociations, le prix n’est plus, pour le groupe, que de 367 millions d’euros sur l’ensemble de cette saison. Mais quid des prochaines années ? « Le seul sujet à la fin, c’est combien les abonnés sont prêts à payer pour regarder la Ligue 1 à la télévision. C’est comme ça qu’on estime la valeur du produit », a rappelé Maxime Saada, président du directoire du groupe Canal+, le 5 février sur RTL, ajoutant que désormais, « l’enjeu est de redonner de la valeur » à la Ligue 1. Avec Mediapro, selon l’Observatoire du sport business, l’audience tous médias confondus de la compétition a été presqu’égale, en décembre, à celle de la Champions League, à un peu moins de 8,3 millions d’individus (plateformes vidéo et réseaux sociaux inclus). « Les audiences ont chuté car Téléfoot avait peu d’abonnés, rappelle Vincent Chaudel, président de l'Observatoire du sport business. Le foot est désormais plus consommé sur les autres médias que sur la TV (36%). Beaucoup de fans ont basculé sur une consommation de streaming : ils acceptent de payer 3 à 5 euros de plus, pas 25 euros comme avec Mediapro. Heureusement que l’aventure n’a pas trop duré car elle est de nature à abîmer les droits ». Canal+ présente l’avantage de fixer la valeur de la Ligue 1 dans une offre multithématique apte à satisfaire tous les goûts du foyer, contrairement à une chaîne dédiée.

 

Le Covid plonge les clubs dans l’urgence

L’urgence financière dans laquelle se trouvent tous les clubs de foot professionnel a ajouté encore à ce besoin de trouver une solution rapidement, quitte à ce qu’elle rapporte moins. Privés de revenus de billetterie du fait de la crise sanitaire, les clubs ont un besoin urgent de cash, ce qu’apporte aujourd’hui Canal+, avec le versement immédiat de 200 millions d’euros, au lieu des trois versements fixés dans le contrat de sous-licence signé avec Bein Sports. C’est justement parce qu’elle a aujourd’hui le sentiment de payer deux fois trop cher ce produit (le lot 3) acquis 332 millions d’euros, que le groupe présidé par Maxime Saada plaidera le 18 février auprès du tribunal de commerce la nécessité de relancer un appel d’offres global à partir de 2021-2022. Selon Vincent Chaudel, le prix des droits TV peut se fixer entre 800 et 900 millions d’euros, ce qui permettrait à la Ligue de sauver la face. Canal+ n’aurait alors pas l’intégralité de la compétition à sa charge mais partagerait l’addition avec un codiffuseur comme Bein, dont il a déjà été le distributeur.

« Le Covid a inversé le rapport de force entre les ayant-droits – les clubs et donc la LFP – et les diffuseurs », insiste Aurélien Sadrin, rédacteur et analyste à News Tank Football. La tendance dépasse le seul cadre de la France : le prix de réserve des droits TV du foot en Italie n’a pas été atteint fin janvier, ceux de la Bundesliga (-5 %) ont légèrement fléchi en juin 2020, après le Royaume-Uni (-4 %) en 2018. « Le retour au monopole ou au duopole des diffuseurs s’observe dans les quatre autres grands pays européens [le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie] », relève Pierre Maes, selon qui la bulle inflationniste des droits TV du foot est en train d’exploser partout.



L’espoir d’Amazon

Au-delà de l’accord trouvé avec Canal+, la LFP devrait chercher dans les prochaines semaines à tout faire pour redonner de la valeur au championnat français. « On ne sera sans doute pas à plus d’un milliard d’euros, mais 800 millions ne serait pas utopique », confirme Christophe Lepetit. Tout dépendra des choix de la LFP, qui peut soit négocier de gré à gré, soit lancer un appel d’offres global. « À court terme, seule la concurrence peut faire augmenter les droits TV, mais la LFP a peur de faire un appel d’offres complet par crainte d’une absence de concurrence, ce qui entraînerait encore la chute des montants », souligne Aurélien Sadrin.

« La LFP, qui est dans une position de monopole de vente des droits TV, a intérêt à ne pas avoir en face un monopole d’achat. Dans une situation idéale, il faudrait qu’elle conçoive des lots susceptibles d’aiguiser l’appétit d’Amazon afin de créer un jeu de concurrence avec Canal+ », anticipe Christophe Lepetit. Ces dernières années, le géant du e-commerce s’est positionné au Royaume-Uni, en Allemagne et en Italie, et même en France sur les droits de Roland-Garros. « Amazon cherche des lots événementiels, par exemple le Boxing day au Royaume-Uni fin décembre, pour des montants d’acquisition très raisonnables, inférieurs à 100 millions d’euros », rappelle Aurélien Sadrin. Car l’objectif pour Amazon est bien d’augmenter le nombre d’abonnés à son offre Amazon Prime, des clients réputés pour acheter bien plus que la moyenne sur le site e-commerce, surtout en fin d’année.

« L’avantage d’Amazon, c’est que par leurs données, et leur analyse du marché, ils savent très combien valent les choses, souligne Stéphane Distinguin, président de Fabernovel. Ils ont une très bonne capacité à voir l’économie et à anticiper les mouvements à venir. Ils sont les mieux placés pour donner le bon prix aux choses et n'ont aucun intérêt à casser leur tirelire pour s’acheter des droits. Amazon a déjà ses abonnés Prime. Ca pourrait être un levier pour Twitch, et le développement du Live, mais ils n’ont pas intérêt à aller chercher des nouveaux abonnés à un prix exorbitant. »

Autre acteur qui pourrait se positionner dans le cadre d’un appel d’offres global, la plateforme DAZN, qui, comme Amazon et Discovery, a candidaté dans le cadre de la consultation flash et infructueuse lancée fin janvier par la LFP. Mais là aussi sur des montants très raisonnables et sur des lots non premium. Reste aussi à savoir si la jeune société allemande, que l’on dit en recherche d’investisseurs, a les reins assez solides pour se positionner sur le championnat français.



Piratage

Une chose est sûre, ces nouveaux venus suivront avec intérêt la proposition de loi sur le piratage, attendue pour le printemps. La valeur des matchs sur les plateformes dépend en effet de la lutte contre le streaming illégal. « Le piratage est l’une des causes majeures de l’explosion des droits. Certains disent que l’industrie des droits TV est à son moment Napster, comme en 1998 avec la musique », rappelle Pierre Maes. Mais pour Philippe Bailly, « il n’y a pas une fatalité absolue au piratage. Le retour d’une offre plus simple et plus accessible financièrement aidera les téléspectateurs à revenir. » 

Et comme le rappelle Aurélien Sadrin, une chaîne dédiée avec des droits plus élevés active les contournements de l’offre légale : « À l’arrivée de chaque nouvel acteur en France, que ce soit Bein en 2012, RMC Sport en 2016 ou Mediapro en 2020, le piratage a augmenté. » Il reste désormais à espérer que la Ligue 1 retrouve sa pleine exposition auprès des Français, donc sa place dans le débat public, et donc son appétence auprès de diffuseurs potentiels. « Regardez le foot anglais, plus personne n’en parle », avait déclaré Maxime Saada alors que RMC Sport en avait les droits. C'était sur France Info, en 2018, au lendemain de son échec où il prédisait l’insuccès de Mediapro, faute de rentabilisation possible des droits. « Entre 3 et 5 millions d’euros le match, la pub ne permet pas non plus de compenser sur une chaîne gratuite, il ne reste que Canal+ », affirme un ancien du groupe. Ou un coup de théâtre.

« Le modèle des enchères ne peut survivre »



Wladimir Andreff est président du conseil scientifique de l’Observatoire de l’économie du sport et professeur émérite à Panthéon-Sorbonne.



Pourquoi l’offre de Mediapro était-elle condamnée d’avance ?

La Ligue vend les droits pour tous les clubs et les redistribue. C’est un système où il y a une mise aux enchères, qui est le propre de ceux qui ont un monopole. En principe, plus il y a de concurrents, plus les droits montent. Mais la théorie des enchères montre que quand est mis en vente un produit dont la valeur n’est pas certaine, il se produit ce qu’on appelle la « winner’s curse » ou la malédiction du vainqueur de l’enchère. Celui qui gagne paye trop cher et il doit ramer avec ses abonnements pour couvrir son coût. C’est ce qui est arrivé à Mediapro qui a été piégé par la Ligue en 2018. Il lui aurait fallu 7 millions d’abonnés et il en a eu un. Avec l’impact du Covid-19, la LFP a fini par à être pieds et poings liés dans une négociation remportée par Canal+.

La mise aux enchères n’est plus adaptée à la vente des droits de la Ligue 1 ?

Pendant des années, il y a eu un monopole bilatéral entre la Ligue et Canal+, où le prix dépendait du rapport de force entre les deux partenaires. Cela a été détruit par l’opération Mediapro. Aujourd’hui, la Ligue a un monopole sur quelque chose que plus personne ne veut au prix qu’elle réclame. Ce modèle ne peut survivre car il repose sur l’idée qu’on trouvera toujours des diffuseurs pour surenchérir. Or, aujourd’hui, partout, les chaînes TV ne veulent plus payer autant qu’elles payaient. Dans le monde d’après, le football sera moins riche. Est-ce que cela va changer avec l’arrivée de Gafam comme Amazon ? La firme mondiale imposera son prix. On n’arrive même pas à lui faire payer ses impôts…

Le piratage aussi a un impact…

Bien sûr. N’importe qui d’un peu malin en informatique peut regarder gratuitement le foot. Le streaming illégal fait perdre de 100 à 500 millions d’euros. Ce sera la grande misère du foot français s’il n’y a pas une loi efficace contre le piratage. En outre, le match retransmis à la télévision est en train de devenir obsolète avec le streaming payant. À long terme, il y aura une substitution des abonnements de télévision par ce mode de consommation. Les droits TV vaudront alors encore moins. Et Amazon pourra proposer des offres moins chères.

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