Télévision
De France Télévisions à Public Sénat, en passant par Arte et bientôt TF1, les chaînes télé sont de plus en plus nombreuses à investir la plateforme Twitch. À la clé, la création d’une nouvelle relation avec les audiences jeunes.

Un « baptême du feu nécessaire ». C’est ainsi que Marc-Olivier Fogiel, directeur général de BFMTV, qualifie la première incursion menée sur Twitch par la chaîne d’information. Le 3 mars 2021, la cheffe du service santé, Margaux de Frouville, venue répondre aux questions des viewers – c’est ainsi qu’on appelle les utilisateurs de Twitch – sur l’épidémie de Covid-19, a été assaillie sur le chat par une armée de trolls, qui ont multiplié les propos insultants et misogynes. « Je m’attendais à ça. BFMTV est une marque très caricaturée, qui incarne tous les maux des chaînes info. On ne peut pas aller sur Twitch sans accepter un peu d’adversité, même s’il y a une ligne à ne pas dépasser », reconnaît Marc-Olivier Fogiel.

Expérimentations

Malgré le risque d’être prises à partie, d’autres chaînes télé multiplient ces jours-ci les expérimentations sur Twitch, attirées par une audience en hausse de plus de 60 % en un an, à 5,5 millions de visiteurs uniques en janvier, selon Médiamétrie. Parmi eux, une grande majorité de moins de 35 ans. France Télévisions par exemple a intégré la plateforme de live streaming à son dispositif dédié aux jeunes, Nous sommes la génération 2021, dont le point d’orgue sera la diffusion d’une grande émission sur France 2 le 18 mars, animée par Élise Lucet et Samuel Étienne. « Twitch est un élément du grand puzzle de la réflexion que nous menons à l’information de France Télévisions autour de l’idée d’interactivité et de co-construction. On se rend compte que l’interactivité est difficile à faire à la télévision, d’où des dispositifs comme #OnVousRépond. Twitch est une autre manière de tester cette interactivité », explique Eléonore Gay, directrice adjointe de la rédaction.

Car sur Twitch, en plus du flux vidéo en direct, un chat permet donc aux viewers de réagir à ce qu’ils voient. Ce chat est central dans l’expérience, par la place qu’il prend à l’écran mais surtout par l’utilisation qu’en font les streamers, ceux qui diffusent. Le journaliste de France Télévisions Samuel Étienne l’a bien compris dans le live qu’il anime quotidiennement sur Twitch depuis décembre 2020, #LaMatinéeEstTienne, et qu'il a désormais étrenné avec Jean Castex. À mesure que les commentaires défilent, il salue les uns, répond aux questions des autres, leur parle avec décontraction et bonne humeur, sur la longueur – ses lives durent plus de deux heures. 

À la bonne franquette

« Twitch est construit sur cette idée de dialogue. On n’est pas sur quelque chose d’aussi cadré qu’en télévision, c’est un peu à la bonne franquette. C’est une forme différente de faire du journalisme », analyse Eléonore Gay, dont les équipes ont évidemment beaucoup appris de l’expérience de Samuel Étienne.

« Ce qui est important sur Twitch, c’est la proximité de l’animateur avec sa communauté. On casse la distance de la télévision, l’idée d’une information qui arrive d’en haut, on montre le côté humain », renchérit Elise Colette, directrice adjointe au numérique à Public Sénat. Il y a deux ans, la chaîne parlementaire s’est associée au streamer Jean Massiet pour y proposer chaque semaine l’interview d’un sénateur. Depuis la rentrée 2020, Public Sénat y diffuse aussi la séance hebdomadaire des questions au gouvernement, commentée par le fondateur de la chaîne Accropolis. « Notre enjeu est de faire connaître le travail parlementaire à un public différent. C’est pourquoi nous avons choisi de nous associer à quelqu’un qui a les codes de Twitch et déjà une communauté sur ces sujets », résume Elise Colette.

Ne pas « faire trop télé »

Contrairement à Public Sénat, la plupart des chaînes télé vont aujourd’hui sur Twitch toutes seules, en s’appuyant sur leurs propres journalistes. « Notre force, c’est notre marque et nos personnalités. C’est suffisant pour se faire accepter sans alibi », estime Marc-Olivier Fogiel. « S’appuyer sur ce qui fait notre force, à savoir nos journalistes, permet aussi une maîtrise éditorial », ajoute Julien Mielcarek, directeur de la rédaction digitale de BFMTV.

Reste à ne pas trop ressembler à une émission télé, sous peine de ne pas être accepté par la communauté des viewers. C’est dans cette logique qu’Arte a lancé le 3 mars Jour de play, une émission bimensuelle sur l’univers du jeu vidéo. « Sans être dans une démarche de co-construction de A à Z, l’émission et les suivantes se nourrissent des échanges avec les viewers. C’est important de bien comprendre la grammaire de ce support sans y coller notre point de vue de média », insiste Gilles Freissinier, directeur du développement numérique d’Arte. « Il y a un juste milieu à trouver entre l’obligation de ne pas faire trop télé et la nécessité de ne pas arriver en étant trop amateur », estime pour sa part Flore Galaud, rédactrice en chef adjoint de LCI en charge de la vidéo et de l’innovation digitale. Le groupe TF1 tentera de résoudre ce dilemne lors du lancement fin mars d’un format autour du fact-checking.

Les chaînes n’ont en tout cas rien à envier, pour l’instant, aux audiences rassemblées sur Twitch : moins de 5 000 vues pour le premier live de Jour de play (14 000 vues pour le replay), 22 000 pour le premier direct de Margaux de Frouville, autour de 15 000 spectateurs uniques en moyenne chaque semaine pour Public Sénat. TF1 aime à rappeler que les conférences de presse du Premier ministre Jean Castex sont suivies sur la chaîne par 640 000 jeunes de 15 à 34 ans en moyenne. Sur Twitch, il n'a rassemblé qu'un peu plus de 85 000 personnes en direct. Mais est-ce là l’essentiel ?

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