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Le quotidien britannique a fermé ses espaces publicitaires aux sociétés spécialisées dans les énergies fossiles. Mais cet acte courageux pour lutter contre le changement climatique présente des limites.

En décidant début 2020 de rejeter les publicités de sociétés spécialisées dans l’exploitation du pétrole ou du gaz, la direction du Guardian a renforcé son image auprès de son lectorat, marqué centre gauche et CSP+, plus sensible aux enjeux environnementaux que celui des autres journaux britanniques. Et le deuxième quotidien le plus lu du royaume se montrait en phase avec lui-même, ayant lancé dès 2015 la campagne « Keep it in the ground » pour pousser deux importantes associations caritatives, la Fondation Bill et Melinda Gates et le Wellcome Trust, à mettre fin à leurs investissements dans des compagnies pétrolières. Le risque économique de ce refus des publicités « polluantes » s’avère toutefois relatif. Selon Campaign, celles-ci représentaient 500 000 livres (environ 582 000 euros) sur près de 90 millions de livres de chiffre d’affaires publicitaire total.

Mais le quotidien a surtout joué de malchance, cette décision ayant été prise quelques semaines avant la pandémie. Celle-ci a provoqué un fort recul des recettes publicitaires, qui représentent 40 % du chiffre d’affaires. Six mois après la fin des publicités pour les énergies fossiles, la direction, confrontée à une baisse de revenus de 25 millions de livres, annonçait la suppression de 180 postes. Même si la portée de ce plan aurait été similaire avec des publicités de BP ou Shell, le timing n’a donc pas été idéal. Par ailleurs, le Guardian a donné le sentiment de céder à la pression des réseaux après un tweet de Greta Thunberg qui appelait les journaux à imiter le quotidien suédois Dagens ETC en refusant ce type de publicités. Il lui a accordé une tribune 48 heures plus tard, puis a rapidement accédé à sa requête.

Un exemple isolé

« Trop souvent, la publicité devient le bouc émissaire idéal, regrette Phil Smith, directeur général de l’Isba, organisme représentatif de l’industrie publicitaire britannique. Les interdictions sont très visibles, font les gros titres, suscitent facilement un élan populaire, mais elles sont souvent une diversion par rapport à des défis sociétaux multifactoriels. L’initiative du Guardian ne nous a pas semblé judicieuse et a inquiété beaucoup de nos membres. »

Le quotidien reste pour l’instant très isolé dans cette démarche. Certains médias comme Thomson Reuters ont été mis sous pression par des activistes mais n’ont pas cédé. La problématique dépasse la cause environnementale. Supprimer par blocs les publicités dérangeantes suggère en effet en creux qu’une rédaction adhère à celles qui financent une partie de son activité et est donc potentiellement sous influence des annonceurs.

En matière de publicités sensibles, l’enjeu est d’indiquer le plus clairement possible la nature commerciale d’un espace. Or des médias font de moins en moins cette séparation. Selon Jamie Henn, activiste et fondateur de Fossil Free Media, « la plupart des grands journaux américainsNew York Times, Wall Street Journal, etc. – vont plus loin que la publicité pour des ressources fossiles, ils travaillent de façon étroite avec l’industrie sur des “advertorials” ou des contenus premium ». Au-delà de sa forme caricaturale, le coup de force du Guardian a, lui, au moins le mérite d’être parfaitement clair.

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