Portrait
La directrice de l’information de France Inter orchestre l’information sur la première radio de France en cette saison d’élection présidentielle. À mi-chemin entre les journalistes et le monde politique.

Dans son bureau, à France Inter, une photo sur un toit pendant l’affaire Grégory, en octobre 1984. La pigiste de 23 ans pose avec des confrères dans ce qui est resté un des fiascos les plus retentissants de la couverture d’un fait divers. Arrivée un mois plus tôt grâce à une bourse TF1, la jeune diplômée du Celsa découvre alors les ravages de la chasse au scoop avec ses batailles rangées de journalistes qui n’hésitent pas à prendre parti pour un clan contre un autre, livrant au passage leur opinion.

À 60 ans, si elle apprécie les polars américains de Don Winslow, Catherine Nayl n’a pas oublié les risques qu’il y a à s’éloigner des faits pour privilégier le commentaire. Après trois ans et demi à la tête de la centaine de journalistes de France Inter, et 33 ans à TF1, où elle a dirigé près de 500 personnes, elle est passée par plusieurs campagnes électorales. Après ses débuts de reporter à TF1, elle a été très vite propulsée à la rédaction en chef du 13 heures de Jean-Pierre Pernaut, à la direction des reportages puis à la tête de la rédaction et de l’information. Réputée résistante aux pressions du pouvoir sous Nicolas Sarkozy, elle sait combien il importe d’être irréprochable dans l’exposition des idées politiques. À France Inter, où Marine Le Pen ou Laurent Wauquiez hésitent à venir, elle rappelle souvent qu’il faut « faire des lancements qui ne soient pas des commentaires ».

Mais comment conserver sa place de première radio et matinale de France alors même que les méthodes polémistes de CNews arrivent à la radio, par Europe 1 ? « CNews ? Si ça existe et que ça fait de bons résultats d’audience, c’est forcément qu’il y a un public pour regarder et des spectateurs qui y trouvent leur compte. Je n’ai rien à dire là-dessus. On ne se construit ni pour ni contre, on a notre propre ADN », précise-t-elle. On est loin de la dénonciation au vitriol d’un Patrick Cohen qui a mis en garde, lors de la grève à Europe 1, contre un modèle visant à créer des « fractures, à dresser une partie de la France contre l’autre ». Mais Catherine Nayl le reconnaît : elle aime le débat. « Je trouve très intéressant d’arriver avec des idées reçues d’un clan et de ressortir avec des idées reçues d’un autre clan », dit-elle.

Une radio de service public ne peut pas être un média d’opinion, au service d’un camp. Mais cela n’empêche pas la confrontation d’idées. Cela explique le choix d’éditorialistes engagés comme Natacha Polony, Étienne Gernelle, Cécile Duflot ou Anne-Cécile Mailfert à la rentrée. La Société des journalistes de la radio a pointé « le risque de chroniques conçues comme des générateurs de polémiques clivantes et facilement relayables sur les réseaux sociaux », dixit le Canard enchaîné.

À l’écoute de la France

Mais pour la patronne de l’info, l’heure est à la prise en compte d’avis multiples. « Notre pays se cherche en termes de débat démocratique, de pluralité des points de vue, d’accès à la parole, dit-elle. Il y a différents courants de pensée qui traversent la France et qui doivent remonter jusqu’à Paris. » Elle affirme avoir tiré les leçons du fossé qui s’est creusé depuis la crise des Gilets jaunes et la pandémie qui a isolé les Français tout en exacerbant les doutes vis à vis d’une parole institutionnelle. D’où le choix de ne pas traiter par le dédain les antivax comme on a pu l’entendre en juillet au Téléphone sonne de Fabienne Sintes où ils ont pu s’exprimer. « Ce n’est pas parce qu’on doute du vaccin qu’on doit être stigmatisé, souligne-t-elle. Il n’y a pas une brutalité scientifique qui s’imposerait de façon descendante. »

À l’approche de la présidentielle, la directrice sait que France Inter doit être à l’écoute de cette France au mieux interrogative, au pire en ébullition. Pour faire remonter la parole, elle compte sur les zooms de reportage dans la matinale, le magazine Interception et le 13-14 heures où toutes les cinq semaines, durant cinq jours, cinq Français seront suivis : « Ils auront une couleur politique sans être des militants et nous verrons avec eux comment ils évoluent, comment ils sont perméables ou pas à ce qu’il se passe dans le pays », annonce-t-elle.

La politique est d’ailleurs une seconde nature chez cette mère de deux enfants qui a la réputation de savoir habilement gérer les journalistes. « Elle est honnête, droite et très humaine », se souvient Nathalie Maeder, retraitée qui a travaillé avec elle à TF1 et loue son « rapport simple, facile et empathique avec les gens comme son intérêt pour tous les métiers ». Signe de son sens aigu des rapports de force, elle vient de nommer l’ex-secrétaire nationale du SNJ, Valeria Emanuele, secrétaire générale de la rédaction. « Enfin quelqu’un qui s’occupe des RH à France Inter », salue cette dernière. On ne saurait mieux dire.

Parcours

12 décembre 1960. Naissance.

1984. Entre à TF1.

1992. Grand Reporter. Chef du service Enquêtes et Reportages.

1999. Rédactrice en chef du journal de 13 heures de Jean-Pierre Pernault.

2008. Directrice de la rédaction puis de l’information de TF1.

2010. Directrice déléguée à l’information du groupe TF1.

2011. Directrice générale adjointe à l’information du groupe TF1.

2018. Directrice de l'information de France Inter.

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