Audiovisuel
Arthur Dreyfuss, PDG d'Altice Media, présente ses nouveaux axes de développement de ses programmes en radio, en télé et en digital. Il dévoile aussi ses projets en matière d'implantation de BFMTV en régions et ne mâche pas ses mots sur le projet de fusion TF1/M6.

Comment expliquer le départ d’Alain Weill, le fondateur de BFMTV et l’artisan de la relance de RMC et de BFM ? Il ne pouvait pas incarner le rapprochement avec SFR ?

Arthur Dreyfuss. Alain Weill est un entrepreneur qui a incarné le rapprochement avec Altice, après le rachat de NextRadioTV en juillet 2015, encore plus que ce qui était prévu, en prenant d’éminentes fonctions. Il était convenu qu’il reste quatre ans pour s’occuper des médias. Alain est resté six ans pour présider Altice France, SFR et être le CEO d’Altice Europe. La relation avec le groupe s’est encore mieux passée que prévu et ces deux dernières années ont permis de préparer cette transition. C’est le témoignage de la parfaite alchimie qu’il y a eu entre NextRadioTV et Altice-SFR. Dans les deux cas, il s’agit d’entreprises familiales avec des entrepreneurs à leur tête, une culture d’entreprise et une vision de l’innovation très ressemblantes. Le développement, l’agilité et la croissance sont inhérentes à chaque décision.

 

Quel bilan de la saison 2020-2021 faites-vous ? Si on noircit le trait, on voit qu’Apolline de Malherbe n’a pas les audiences de Jean-Jacques Bourdin sur la matinale de RMC, que BFM TV a été certains jours dépassée par CNews…

La saison a été exceptionnelle en termes de performances, après des mutations importantes en près de deux ans. La radio n’est plus en 2021 celle qu’elle était encore en 2015. Il y a une transformation historique de l’écoute digitale et de la façon dont nous construisons la radio. Ce n’est plus un transistor, un numéro de fréquence et un horaire. On a changé de logiciel. Sur RMC, nous pensons d’abord programmes. Nous avons des identités fortes autour de la marque RMC sur le sport, le débat et l’opinion qui se traduisent par l’After Foot, le Moscato Show, les Grandes Gueules, l’Interview de Jean-Jacques Bourdin, Apolline de Malherbe et maintenant Estelle Denis et Jérôme Rothen. On construit des programmes et ensuite on réfléchit à leur mode de distribution et à leur commercialisation. Vous avez toujours une grille radio pour une diffusion linéaire mais aussi l’audio digitale sur votre smartphone, avec Radioplayer, demain le DAB+ ou l’appli RMC. Vous avez aussi le replay audio avec les podcasts et bientôt le preplay, les podcasts avant la diffusion linéaire. Si on regarde le média comme on le faisait en 2005 ou en 2015, on a une vision décroissante. Mais programme par programme, en intégrant l’ensemble des modes de distribution, de consommation et de commercialisation, la réalité n’est pas celle-là. Certains programmes comme l’After Foot, premier podcast de France, ont plus de 50% de leur audience hors linéaire. En juillet, nous avons eu 21,3 millions de téléchargements de podcasts, soit +25% sur un an.

 

Estelle Denis sera présente à la fois sur RMC et sur RMC Story. Vous continuez donc à rapprocher télé et radio… L’avenir de la radio est-il dans ce jumelage avec le petit écran ?

Les programmes d’abord, la distribution ensuite. NextRadioTV a été le premier groupe à faire de la radio-télé. Altice Media passe au radio-télé-digital comme on le voit sur BFM Business où 100% de la grille est concernée. L’ensemble des programmes de RMC de 6 heures à 15 heures sera sur RMC Story ; l’interview de Bourdin étant sur BFMTV. Le CSA n’autorise pas le multicast sur deux TV mais la réglementation le permet s’agissant d’une TV et d’une radio. D’autres nous copient désormais.

 

Voulez-vous instiller plus de débats et d’opinions dans la grille de BFMTV alors que Natacha Polono et Yves Calvi rejoignent la chaîne ainsi que Manuel Valls ?

Jamais BFMTV n’a été aussi forte, populaire et autant regardée que cette saison sous l’impulsion de Marc-Olivier Fogiel, de Céline Pigalle, d’Hervé Béroud et de la rédaction. BFMTV est devenue le partenaire du quotidien des Français. Il faut miser sur ce qu’on sait faire de mieux : le direct, l’événement, l’information et le décryptage qui peut être accompagné de débats et d’opinions. Il faut toutes les opinions pour aider les Français à s’en faire une, à comprendre telle situation. Notre enjeu est de demeurer la chaîne la plus populaire du pays sachant que 100% des téléspectateurs viennent sur BFMTV toutes les trois semaines. Il n’y a pas d’équivalent en Europe. Par ailleurs, notre capacité à mailler le territoire avec les BFM en régions, à être en direct dès qu’il se passe quelque chose où que ce soit, est aussi ce qu’attendent les Français. BFMTV a obtenu la saison dernière un record en termes d’audience et de chiffre d’affaires publicitaire. Sur 100 euros investis dans les chaînes infos, 70 vont à BFMTV.

 

Le développement de BFM Régions va-t-il se poursuivre alors que vous avez rompu votre processus de rapprochement avec Via ?

Nous développons nos chaînes locales en nous inspirant de News 12, la première chaîne d’infos locales, propriété d’Altice, à New York. Nous avons BFM Paris, Lyon, Lille, Grand Littoral, D’ICI dans les Alpes du Sud, Toulon Var, Marseille Provence et Nice Côte d’Azur. On va continuer de se développer avec des chaînes dans l’Ouest et dans le Grand Est. Nous aurons dix chaînes locales en 2022. Nous sommes dans une logique partenariale : chaque fois que nous arrivons sur un territoire, nous allons voir l’écosystème local existant, qu’il soit médiatique ou économique et nous lui proposons de travailler main dans la main. Nous voulons être une alternative à France 3. Nous lançons des plateformes d’informations locales, avec un positionnement très clair de services (trafic, météo, qualité de l’air, bons plans, sorties…).

 

Pourriez-vous vous associer au groupe Ouest France pour l’une de vos deux futures chaînes ?

Nous discutons toujours avec les acteurs locaux car nous sommes dans une logique partenariale. Nous travaillons déjà de façon étroite avec la Provence à Marseille. C’est un exemple que nous souhaitons reproduire. Nous investissons d’abord dans l’éditorial, avec près de 150 journalistes recrutés au total dans nos chaînes locales, puis dans l’innovation technologique – 100% de nos reporters tournent à l’iPhone et nos studios sont sans régie technique – avec des offres commerciales très simples : l’objectif est d’avoir 80% d’annonceurs locaux. On propose de faire de la publicité en télé et en digital en créant des spots pour des PME ou des TPE pour quelques milliers d’euros. Nous donnons les moyens à des acteurs locaux qui ne font pas de pub d’avoir accès à la publicité télévisée. Nos BFM en régions couvrirons près de 30 millions de Français. Nous invitons aussi de plus en plus nos annonceurs nationaux à faire de la pub adressée. Notre logique de proximité est celle des marques dans le secteur de la distribution, de l’automobile, du voyage, du tourisme…

 

La régie du groupe a été rebaptisée Altice Media Ads & Connect. Votre ambition affichée était d’accélérer dans le programmatique et la publicité adressée, via SFR. Est-ce que cela va assez vite ? La data peut-elle être reine dans la télé ou c’est la force commerciale qui prime ?

Nous avons engagé depuis deux ans une transformation qui vise à faire du digital la colonne vertébrale du groupe. Depuis, on essaye d’additionner la puissance des médias et celle de la data. SFR nous apporte une expertise technologique dans la donnée que nul autre n’a. La télé nous met en contact avec des millions de personnes et, avec la data, nous personnalisons cette relation de masse. Cela permet à la télé d’être plus puissante que le digital et aussi performante dans sa capacité de personnalisation. On a repensé entièrement l’organisation de la régie et créé de nouvelles offres commerciales comme de nouveaux formats éditoriaux. Au mois de juin, la hausse des recettes de BFMTV dans le digital est de +61%. BFM Business, où les annonceurs sont les téléspectateurs, est aussi en très forte croissance.

 

Le taux de croissance de l’Avod est supérieur aux États-Unis à celui de la Svod. RMC-BFM Play est-elle une façon de répondre à cette montée en puissance ?

Il s‘agit d’une plateforme avec une excellente expérience utilisateur grâce à l’expertise technique de SFR. On veut aussi, c’est vrai, aller chercher ce marché de l’Avod avec des programmes en exclu, en avance et sur des longs formats (26 mn et 52 mn). On a ainsi d’abord diffusé sur RMC BFM Play les enquêtes « Ligne rouge » de BFM sur Booba ou sur Dupont de Ligonnès qui a eu plus d’un million de spectateurs. La prochaine enquête sur la traque d’Abdeslam sera diffusée sur la plateforme dès le 4 septembre et sur BFM le 6. Nous allons aussi lancer en preview des programmes de RMC Découverte et RMC Story, les premières chaînes de documentaires de France. On pense désormais en linéaire mais aussi en digital, en Svod et en Avod.

 

Le plan des départs volontaires à Next s’est traduit par la suppression de 245 CDI à NextRadioTV et un tiers des emplois de pigistes et intermittents, au lieu des 340-380 CDI annoncés. Est-ce que suffisant pour la mise en place de votre plan de « reconquête » ou faut-il s’attendre à de nouveaux licenciements ?

Cette réorganisation était indispensable. Si aujourd’hui, un an après, je peux parler de notre mue digitale, de notre croissance, de notre vision des programmes et des modes de distribution, c’est parce que nous avons réalisé cette transformation dont le groupe avait un impérieux besoin de procéder s’il voulait rester moderne, performant et innovant. Nous avons la bonne organisation pour affronter les 5 prochaines années. Nous sommes dans une logique de développement et de croissance : nous créons des chaînes, des emplois, des plateformes et des programmes.

 

Sur RMC Sport, considérerez-vous avoir mis le paquet pour garder les droits ou était-ce juste un produit d’appel pour SFR ?

Les deux. On a mis le paquet sur les droits mais certains se gagnent, d’autres pas. A la rentrée, RMC Sport diffusera La Ligue des Champions, la Premier League anglaise, 266 matchs d’Europa league et de Conference League, après la récupération du lot B de Mediapro. Nous avons une pensée extrêmement rationnelle de RMC Sport. On n’a pas été candidat sur la Ligue 1.

 

Croyez-vous toujours à la convergence pour Altice ? À l’exception des États-Unis, avec News 12, on ne la voit pas vraiment ailleurs…

Nous sommes un groupe de médias adossé à un acteur mondial des télécoms. Nous nous appuyons sur cette expertise pour développer Altice Media. On le voit avec la techno, la data, les locales, la plateforme RMC BFM Play ou la publicité adressée qui bénéficient de l’expertise de SFR.

 

Etes-vous favorable à une plus grande intégration de Teads dans le pôle média ?

Chaque activité fonctionne indépendamment et est utile à l’autre. Teads est un leader mondial de l’adtech présent dans 23 pays avec lequel nous travaillons mais qui a sa vie propre. C’est une licorne d’entrepreneurs qui travaille avec des éditeurs et des annonceurs. On travaille ensemble, entre collègues, sur la transformation digitale de notre régie.

 

Que pensez-vous du projet de fusion M6-TF1 ? Est-il selon vous justifié d’élargir à la vidéo sur internet et les réseaux sociaux le marché pertinent de la télévision ?

Le marché pertinent a vu maintes fois sa définition confirmée, et encore récemment par la Commission européenne. Elle se limite à la télévision. Quand on nous raconte que le rapprochement TF1-M6 a vocation à concurrencer Amazon ou Netflix, je m’interroge pour savoir si l’objectif n’est pas plus simplement d’affaiblir les concurrents sur le marché français. Que des acteurs se renforcent par principe nous sommes pour, mais cela ne saurait se faire au détriment de la concurrence. On sera très vigilant à ce qu’elle reste active, animée et efficace.

 

Lire aussi : Fusion TF1-M6 : le pour et le contre

 

Saisirez-vous les juridictions compétentes, le Conseil d’État notamment, pour vous opposer à cette fusion ?

Il y a une revue antitrust et un examen par le CSA qui vont s’ouvrir. Nous y participerons activement en tant qu’acteur du marché. Nous sommes très attentifs aux impacts d’une telle fusion sur le plan commercial, en matière de pluralisme, sur l’information et dans la relation avec les producteurs. Nous voulons la plus libre concurrence et que nous puissions continuer de nous développer.

 

Serez-vous candidat au rachat des chaînes auxquelles le groupe TF1-M6 va devoir renoncer pour faire accepter sa fusion ?

Nous regarderons. De même que l’on a regardé le dossier M6 et décidé de ne pas faire d’offre.

 

La Ligue 1 a été emporté par Amazon Prime, dont les revenus ne sont pas spécifiquement lié à l’univers audiovisuel. Est-ce que les prix présentés, près de 13 euros, pour suivre cette compétition, vous semblent raisonnables ?

On espère que l’arrivée d’Amazon dans le foot français soit un succès pour tout le monde. On a suffisamment entendu de commentaires lors du lancement de RMC Sport pour ne pas ajouter les nôtres.



En 2020, SFR a connu une année de croissance (+ 2,4% pour le CA, + 108.000 pour les clients et+3% pour l’Ebitda). Pourtant, vous avez présenté un plan qui vise 1700 départs volontaires. Est-ce que ce que la maximisation des profits passe par une baisse de la masse salariale ?

SFR, sous l’impulsion de Grégory Rabuel, s’est engagé dans un plan de réorganisation car il est évident qu’un acteur du numérique comme l’est un opérateur télécom doit se transformer pour construire un avenir d’innovation et adapter son organisation au besoin du marché, de ses clients.



Êtes-vous favorable à l’arrêt de la diffusion, à terme, de la TNT ?

Altice-SFR déploie massivement de la fibre, et la consommation par les box ne cesse de croître, mais la TNT existera certainement tant que le dernier Français n’aura accès qu’à ce mode de diffusion démocratique. On peut maintenir et moderniser la TNT mais l’avenir c’est la fibre.



BFM a porté plainte après une manifestation antivax en juillet…

Oui, contre des agresseurs de deux de ses journalistes qui faisaient leur travail. Chaque jour, des journalistes de BFM comme d’autres médias sont insultés, parfois pourchassés, agressés. Nous mettons désormais au moins un agent de sécurité par personne sur le terrain pendant les manifs. Nous continuerons de faire notre métier, quoi qu’il en coûte, et on ne laissera rien passer.

 

Pourquoi est-ce souvent BFM qui est pris à parti ?

Parce que c’est la chaîne la plus populaire de France, la première que les Français regardent pour s’informer, tout le temps et partout.

 

Vous n’avez pas de notice sur Wikipedia. Pourquoi ?

Il y a un Arthur Dreyfus, talentueux écrivain, qui est un ami d’enfance. Je la lui laisse (rire). L’exposition ne m’importe absolument pas. Je n’ai qu’un objectif : que le groupe se développe, que les salariés soient heureux, qu’on ait chaque jour plus de téléspectateurs et d’auditeurs. Et qu’on convainque des annonceurs d’innover avec nous, de tester la pub adressée, de faire par exemple du live shopping sur nos antennes, ou d’investir sur les BFM locales.

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