Stratégies Les 50
Avant l’entrée en vigueur de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, le ministre de la Justice revient sur une des mesures phares qui la compose : filmer la justice.

Arthur Dreyfuss : Vous avez décidé d’ouvrir les audiences aux caméras pour faire rentrer la justice, comme vous dîtes, dans le salon des Français. Qu’est-ce qui vous a convaincu que cette réforme était nécessaire ?

Éric Dupond-Moretti : Il y a une succession d’éléments qui m’ont donné la certitude que nos compatriotes ne connaissaient pas la justice. Et en particulier les conversations que j’ai pu avoir à postériori avec des jurés qui m’ont expliqué à quel point le fait de participer à la justice avait changé leur vie. En ces termes qui semblent très forts, parce qu’ils ont appréhendé un monde qu’ils ne connaissaient pas, ils ont touché du doigt la difficulté de décider d’une peine ou d’une culpabilité. Je me suis dit qu’il fallait que l’on fasse mieux connaître la justice – avec des réserves bien sûr –, d’où cette idée de la filmer et d’étendre naturellement cette ouverture à la connaissance, à d’autres choses que le pénal bien sûr qui est la vitrine. Dans une salle pour 500 personnes, le 501e ne voit pas ce qui se passe.

Ces réserves sont-elles les vôtres, en tant qu’ancien avocat qui avait eu à convaincre des jurés, des magistrats et parfois la presse, ou sont-elles liées au poids de cette maison, de son administration ?

Ma légitimité de ministre, c’est mon expérience d’avocat, que je revendique. Naturellement, j’ai eu à me plaindre, dans mon parcours professionnel, d’intrusions médiatiques, parfois violentes, ne respectant pas la présomption d’innocence. C’est pourquoi, dans la loi, nous avons pris de nombreuses précautions pour mettre les retransmissions à l’abri du trash, pour respecter bien sûr la présomption d’innocence, mais également la douleur et la pudeur des victimes.

Puis, surtout, faire en sorte que cette diffusion intervienne seulement après que le procès a connu son épilogue judiciaire définitif, c’est l’autorité de la chose jugée. Il ne s’agit pas de faire une diffusion d’un procès en première instance qui doit être évoqué dans 18 mois en appel, ça n’aurait aucun sens. Outre l’information, je pense que les uns et les autres feront peut-être un peu plus attention à la façon dont ils exerceront leur métier. Pour les grands professionnels, ça ne changera rien et les autres, quels qu’ils soient, il y aura un effort supplémentaire, un petit supplément d’âme.

Concrètement, vous voyez une mise en œuvre de quelle façon, à partir de quand, sur quelles chaînes et sous quels formats ?

Après le vote définitif de la loi, ce sera une question de semaines pour son entrée en vigueur. Il y aura un système de double autorisation. Les projets devront tous être soumis à la Chancellerie qui les soumettra aux juridictions, après les avoir analysés et validés, afin qu’elles les valident à leur tour.

Donc les chaînes TV doivent s’attendre à recevoir des appels du ministère très prochainement ?

C’est plutôt aux chaînes de faire des propositions ! Le choix n’est pas encore validé définitivement. On discute avec France Télévisions, et avec d’autres aussi. J’étais plutôt partisan du service public mais ce n’est pas fermé. Les raisons qui ont conduit à bannir l’audiovisuel des audiences étaient matérielles car lors du procès Dominici, les appareils très bruyants avaient empêché la bonne tenue de l’audience. Ces aspects techniques sont, depuis, réglés. D’ailleurs, le Conseil constitutionnel enregistre déjà, la Cour européenne aussi, à Strasbourg les audiences sont filmées. Mon souhait est d’aller dans les régions pour voir la justice dans nos territoires et nous avons ajouté au cahier des charges l’obligation de joindre au programme une explication pédagogique après la diffusion du procès. Il y a des choix thématiques enfin, on parle beaucoup du pénal mais il y a aussi les audiences civiles, commerciales qui sont très importantes.

La version intégrale du procès sera sur le digital en replay ?

Exactement. Un procès, cela peut être au pénal, au minimum deux jours. Il peut y avoir aussi des choix thématiques, des focus. Pourquoi ne pas parler par exemple de l’ADN ? C’est passionnant à expliquer. On peut aborder le sujet du témoin, du travail de l’enquêteur, du juge d’instruction. Qu’est-ce que le travail de l’avocat, de l’avocat général… Il y a une infinie possibilité au pénal, au civil le divorce, la filiation, l’adoption, autant de choses qui préoccupent les gens.

La justice commerciale aussi ?

Bien sûr. En la matière, il y a des procédures en amont qui permettent d’éviter les faillites qui sont assez mal connues. Alors que plus on pousse vite la porte du tribunal de commerce, plus on a de chances d’être sauvé rapidement et efficacement. Les grosses entreprises savent cela par cœur mais ce n’est pas le cas des plus petites boîtes.

Est-ce que ça demande des investissements au ministère de la Justice ou tous les investissements seront à la charge des chaînes ?

Les investissements seront à la charge des chaînes. Une participation financière de leur part n’est d’ailleurs pas totalement exclue.

Une participation financière ? Donc de payer des droits en gros ? Et qui viendront dans un fonds pour les victimes ?

Oui, par exemple. Regardez, avec la mise aux enchères récentes d’objets saisis ou confisqués, nous avons récolté 3 millions d’euros qui vont soit abonder le budget de l’État soit être reversés pour partie à des associations reconnues d’utilité publique. Ça ne serait pas dénué de sens non plus de mettre à contribution les diffuseurs pour aider la Justice. Mais rien n’est arrêté encore.

Est-ce que l’on peut imaginer avoir dix chaînes simultanément sur dix affaires différentes dans des régions différentes sur des thématiques différentes ?

Attendez ! La justice est une vieille dame qu’il faudra découvrir sans la brusquer. Il faut que les choses démarrent et j’ai la conviction que ça va marcher car là, ce sera du live et il y a une attraction pour ça.

Pourriez-vous autoriser les acteurs digitaux comme Netflix ou Amazon ?

Nous serons dans du cas par cas. Comme je vous l’ai dit, c’est le ministère qui proposera aux juridictions. J’ai vu sur Netflix le procès du bourreau de Treblinka. C’est une vraie réalisation, c’est très impressionnant, très documenté. Les choses vont s’accélérer parce que je souhaite une mise en œuvre le plus vite possible mais pas dans la précipitation. Cela dépendra aussi des propositions qui nous seront faites.

Est-ce que l’on peut imaginer d’ouvrir, de la même façon, le bureau du juge d’instruction aux caméras ?

Ce n’est pas prévu. Il y a, je vous le rappelle, un secret d’instruction auquel moi, je suis attaché.

Y a-t-il des procès auxquels vous avez participé en tant qu’avocat pour lesquels vous diriez qu’avec la présence des caméras ça aurait été une autre histoire ?

Quelques-uns, oui.

Vous diriez lesquels ?

Non. Je ne le dirai pas d’abord par respect pour ceux que j’ai pu défendre, qu’il s’agisse de victimes ou d’accusés d’ailleurs. Et puis imaginez que je vous dise un certain nombre de choses plus précises et que la personne que j’ai pu défendre pense que ça aurait été différent aujourd’hui avec cette loi portée par son ancien avocat. Je trouve que c’est de nature à faire du mal aux gens ; ce n’est pas utile.

Comme téléspectateur, il y a des procès que vous auriez aimé voir ?

Oui, forcément, parce que j’ai toujours eu une vraie curiosité pour la chose judiciaire. Je ne vais pas vous dire le contraire. Et il y a des procès qui n’ont pas été les miens qui m’ont passionné.

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