Spécial régions
Alors que la presse quotidienne nationale a pris – avec un certain succès – le tournant du digital, la PQR rattrape son retard. Les initiatives pour doper l’abonnement numérique se multiplient et commencent à porter leurs fruits. La mutation de la presse régionale passe aussi par la vidéo, les podcasts, les réseaux sociaux ou les influenceurs.

Longtemps épargnée par la crise de la diffusion qui touchait les quotidiens nationaux grâce à sa « rente » de l’abonnement, la presse quotidienne régionale a cultivé un temps une forme d’attentisme, voire d’immobilisme. « La PQR a mis beaucoup de temps à réagir à son déclin. Elle a cru être assise sur un tas d’or avec ses abonnements et notamment le portage à domicile », regrette Patrick Eveno, historien des médias, spécialiste de la PQR. Mais depuis une dizaine d’années, la presse en région a engagé sa diversification et sa mutation pour faire face à la fois à l’érosion de ses ventes, au besoin de multiplier ses sources de revenus et à l’enjeu de la numérisation des contenus.

Accélérer la transition digitale

La priorité pour les quotidiens régionaux est aujourd’hui clairement de regagner du terrain dans la bataille du digital. Si la part des versions numériques sur internet (individuelles et par tiers) représente, d’après l’Observatoire 2021 de l’ACPM, 57,3 % de la diffusion de la presse quotidienne nationale, elle n’atteint que 10 % pour les quotidiens régionaux. La part du numérique est, évidemment, loin d’être homogène : les trois principaux titres (Ouest-France, Sud Ouest et La Voix du Nord) comptent environ 15 % de leur diffusion en version numérique, alors que Le Parisien se hisse de son côté à un record de 23 % et que Le Télégramme n’est qu’à 6 % (cependant, pour ce dernier quotidien, le portage représente encore 80 %). Les groupes régionaux ont bien compris l’importance d’accélérer leur transition numérique. Si la PQR est restée pendant longtemps dans une logique d’audience sur le web (qu’elle pensait monétiser par la publicité), elle s’est depuis convertie à une logique de complémentarité entre l’abonnement papier et sa déclinaison numérique. Les principaux groupes ont donc mis les bouchées doubles pour rattraper leur retard. L’accélération est particulièrement spectaculaire chez Ouest-France, qui revendique aujourd’hui 170 000 abonnés numériques, selon Édouard Reis Carona, rédacteur en chef délégué au numérique, contre 20 000 il y a trois ans. De même au Parisien, qui compte près de 40 000 abonnés fin 2020 (ACPM) contre 4 000 en 2017.

Un impact sur l’audience

La bascule numérique permet aussi de doper l’audience de la presse en région. « Dans sa version historique papier, Ouest-France touchait en moyenne 6 millions de lecteurs par mois. Aujourd’hui, avec le numérique, nous en avons 21 millions, se félicite Édouard Reis Carona. C’est une accélération formidable. » Ouest-france.fr est ainsi le deuxième site d’information français le plus consulté après celui du Figaro, selon l’ACPM. Le rédacteur en chef numérique d’Ouest-France rejette d’ailleurs l’appellation de site de PQR : « Sur le numérique, nous ne pouvons plus être qualifiés­ de presse régionale. 70 % de nos connexions sont réalisées hors zone de diffusion du quotidien. » Même accélération à La Dépêche du Midi, qui a connu une augmentation de son audience internet de 95 % en 2020, comme le souligne son directeur général, Jean-Nicolas Baylet, avec un pic à près de 120 millions de pages vues en janvier 2021. « Pour les abonnements numériques et les abonnements en général, nous envisageons l’année 2021 avec une croissance à deux chiffres », confiait-il fin septembre dans une interview au site New World Encounters. Aujourd’hui, tous les éditeurs s’accordent à rejeter une approche qui mettrait en concurrence web et papier. « Nous ne sommes plus dans une approche par canal. Notre enjeu est de faire le meilleur journalisme possible et de distribuer au mieux les informations, quel que soit le canal utilisé par le lecteur », pointe Gabriel d’Harcourt, directeur général délégué de La Voix du Nord. « Nous ne faisons plus la chasse à l’audience sur internet, c’est dépassé, clame Raphaël Poughon, ­responsable innovation du groupe Centre France. Nous travaillons à améliorer l’engagement de nos audiences, en développant la relation de proximité avec le lecteur et en développant des services premiums. » La Montagne a d’ailleurs nommé il y a deux ans un rédacteur en chef adjoint chargé de l’engagement, Julien Bonnefoy.

Du contenu adapté aux usages

Pour augmenter cet engagement et fidéliser l’abonné numérique – beaucoup plus volatil que celui du papier –, les quotidiens régionaux diversifient et multiplient leur offre de contenu adapté aux usages sur ordinateur ou smartphone. La vidéo – dont le pouvoir d’attractivité sur l’audience internet est bien connu – joue un rôle central dans ce renouveau de l’approche éditoriale. Déjà actionnaires de télévisions locales ou prestataires de TF1 pour les correspondances depuis de longues années, beaucoup de groupes de presse régionale disposaient d’un savoir-faire en télévision. Mais les passerelles ont été longues à se mettre en place en raison de barrières culturelles, de questions d’organisation, de statut professionnel ou de technologies différentes. Aujourd’hui, ces approches parfois divergentes ont été dépassées ou sont sur le point de l’être. Les rédactions les plus en pointe ont constitué des équipes dédiées à la production et à la mise en ligne de vidéos. C’est le cas par exemple du Parisien ou de La Dépêche du Midi, dont les rubriques vidéos en ligne sont alimentées à la fois par de la production locale et des images d’agence. L’enjeu pour les groupes de presse régionale est aussi la synergie avec les télévisions locales dont elles sont actionnaires. C’est ainsi que La Voix du Nord vient de créer un lab vidéo qui rapproche les équipes de Wéo TV de celles en charge de la vidéo sur le net pour créer une web-TV. « Aujourd’hui, la rédaction de Ouest-France est en capacité de produire de l’information sous plusieurs formats différents : articles, articles enrichis pour le web, ­vidéos, stories­ ou encore podcasts », résume Édouard Reis Carona.

Les podcasts sont en effet l’un des autres axes de diversification du contenu éditorial proposé par la PQR. Ouest-France a été parmi les premiers à miser sur ces formats en lançant fin 2018 son « mur des podcasts ». Le Parisien s’y est mis en 2019 avec Code source, un programme audio quotidien pour voir l’actualité autrement. « Nous savons que nous y allons sans forcément pouvoir gagner de l’argent tout de suite, reconnaît le rédacteur en chef délégué au numérique d’Ouest-France, en raison de l’absence d’un vrai modèle économique viable à ce jour. C’est la chance d’appartenir à un groupe qui a envie d’innover et ne se repose pas sur ses lauriers. »

De nouvelles compétences

Au-delà de la vidéo et du son, l’enjeu crucial est celui de la maîtrise des nouvelles technologies et des nouveaux savoir-faire émergents. « À l’avenir, il faudra faire appel à la fois à plus de technologie, plus de narration et plus de journalisme, prédit Gabriel d’Harcourt. Cela passe par des recrutements avec des compétences marketing, data et journalisme. » Pour cela, les groupes régionaux ont investi le terrain des incubateurs de start-up. Le pionnier en la matière a été Sud-Ouest qui a créé Théophraste en 2016. Depuis, ­l’initiative a fait des émules : OFF7 chez Ouest-France, La Compagnie rotative au groupe Centre France, Syllabus Média à La Voix du Nord, Le Mas à Nice-Matin et, tout récemment, 10G au Parisien. L’objectif est double : permettre aux groupes de gagner en agilité au contact des jeunes pousses et de développer des synergies avec elles, mais aussi miser sur de futures pépites pouvant générer quelques profits ou dont la valeur serait multipliée à la revente. « Notre rôle est d’alimenter tous les acteurs du groupe en projets et en innovation », indique Margaux Mazière, responsable de Théophraste. « La vocation de La Compagnie rotative est d’accompagner des porteurs de projets d’innovation responsable, en lien avec l’activité du groupe et implantés sur notre territoire, complète Raphaël Poughon. Cela participe à la transformation culturelle de l’entreprise. » Les start-up incubées ont notamment développé des services qui enrichissent l’offre éditoriale des sites web. Rematch, qui compile les plus belles séquences du sport amateur tournées par les spectateurs, a ainsi permis à Sud-Ouest de doper son contenu vidéo sur le sujet. De son côté, Centre France a lancé Bonjour Marianne, un robot conversationnel sur Messenger qui répond aux besoins des lecteurs de suivre les élections à leur rythme et de participer aux débats locaux. Dernière initiative en date pour toucher de nouveaux publics, rajeunir l’audience et tester d’autres modèles de business : le recours aux influenceurs. Nice-Matin a ainsi créé en mars dernier NM Influence, une agence de marketing d’influence qui contractualise en exclusivité des micro-influenceurs locaux pendant trois ans. Ceux-ci font, à l’occasion, la promotion des produits des clients de la régie et vont aussi, à partir de 2022, participer à une émission télévisée enregistrée sur le nouveau plateau de la rédaction. Qui a dit que le PQR était une vieille dame un peu guindée ?

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