Portrait

Revenu à la matinale de Radio Classique après un cancer sévère, Guillaume Durand en est devenu le directeur de l’information. Rencontre avec un mélancolique, bien loin de l’étiquette de dilettante mondain qu’on lui a si souvent collé.

Il a tout connu ou presque. La vie de prof d’histoire avant celle de reporter de guerre sous les bombes en Irak pour Europe 1, le JT de La Cinq, financée à des millions de lires par Silvio Berlusconi, et les magazines culturels sur TF1 ou France 2, la direction de l’information sur LCI et la présentation de Nulle part ailleurs sur Canal+. Il a interviewé David Bowie, Boris Eltsine et François Mitterrand. Depuis 2009, ce fils de « bourgeois cultivés mais sans argent », dit-il, s’est installé à la tête de la matinale de Radio Classique. Après une année d’absence, Guillaume Durand anime à nouveau la tranche 8 h- 9 h et il est devenu le directeur de l’information de la station. « Je suis un des rares septuagénaires promus. Je travaille encore pour gagner ma vie car j’ai de jeunes enfants », lâche-t-il avec cet humour détaché qui le caractérise.

Ses détracteurs ont fait leur miel de son aisance, le taxant de dilettante. Pourtant, ce matin encore, face à l’écrivaine Catherine Millet qu’il interviewe dans le studio de la radio, près de l’église Saint-Augustin, ses notes recouvrent plusieurs feuilles blanches et jusqu’aux épreuves du livre qu’elle publie. Elles sont manuscrites. Guillaume Durand n’a pas d’ordinateur. Juste un smartphone. Il a relevé des citations en pagaille, chacune étant l’amorce d’une question possible. « J’ai toujours pensé qu’une interview était une conversation. Il faut simplement trouver le bon angle. Une fois que j’ai fait mon boulot en amont, je me sens léger. J’écris juste les deux premières questions », révèle-t-il. Seules l’extrême fatigue et l’hostilité de l’interviewé lui ont parfois fait perdre son apparente décontraction. C’était en d’autres lieux, loin de « l’ambiance familiale qui règne au sein de l’équipe, une cinquantaine de personnes ».

Le souvenir des plateaux télévisés affleure. « Sur les grandes chaînes, on est souvent miné par les rivalités. Tous s’imaginent des destins qui passent par la nécessité de vous marcher dessus. Même quand j’étais très heureux de mon boulot, je souffrais de ces batailles d’ego risibles », philosophe-t-il. Celui qu’on a souvent présenté comme mondain s’avoue plutôt « mélancolique et horriblement sentimental », puis concède : « Je ne suis pas le meilleur publicitaire de moi-même ». Il reconnaît des épisodes dépressifs sévères. À l’été 2021, c’est un cancer de la mâchoire qui l’a foudroyé. Funambule toujours arrimé sur le fil de l’élégance, il élude le pathos sans dénier la réalité de la chimiothérapie et la chirurgie reconstructive. Ce qui l’aidait à tenir ? « Un petit mot de ma fille de 14 ans. Je le prenais et le serrais fort dans ma main pendant chaque séance de chimiothérapie, dans ma clinique ». De son quotidien entamé par une convalescence qui gâche jusqu’à sa gourmandise, il dit sobrement : « On s’habitue à se mettre en mode survie souriante. C’est presque une éthique ». Il suit ses prescriptions à la lettre : « Mes médecins m’ont assuré que c’était vital de recommencer à travailler. »

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Il a donc retrouvé Radio Classique et s’est arrimé à l’écriture de Déjeunons sur l’herbe, paru chez Bouquins. Un livre très personnel dédié à Édouard Manet. Sa mère disait souvent à son père, modeste marchand de tableaux, décédé en 2020, à 100 ans : « Ce serait bien que tu ne parles pas uniquement de cravates avec Aragon ». De ce père, dont il dit « c’était un dandy », il a hérité de l’élégance et d'une addiction pour l’art. Au point de s’être ruiné pour acheter des Basquiat, Bacon ou Léger… qu’il a dû revendre pour la plupart. « Parmi mes défauts, il y a l’irréalisme financier, j’ai rêvé plus grand que ma vie, comme un joueur et j’ai mis des années à rembourser mes dettes fiscales. J’étais inconscient » poursuit-il.

Ce père de cinq enfants a quitté l’appartement familial du 7e arrondissement à l’âge de 17 ans, mais il y fait toujours halte quotidiennement. Avec sa mère de 95 ans, il parle d’art avec bonheur. « Sa pertinence est remarquable ». L’autre femme de sa vie, c’est Diane de Mac Mahon, mère de ses deux jeunes enfants et cofondatrice de Brut. Elfe brun au teint de porcelaine et aux yeux cristallins, elle le couvait du regard lors de la conférence de presse de rentrée de Radio Classique. Dans une précédente vie, elle a été la femme de Frédéric Beigbeder, celle de son livre L’amour dure trois ans. Magnanime, Guillaume Durand a proposé à l’écrivain une heure d’antenne tous les vendredis pour un tête à tête avec un auteur. « Je n’ai jamais eu de problème avec lui. Il est fondamentalement indépendant et incontrôlable, ce qui nous fait deux points en commun », lâche ce prince de l’élégance.

Parcours

1986-1991. Pilier de La Cinq de Silvio Berlusconi.

1992. Intègre TF1 dont il est l’un des journalistes vedettes.

1997-1999. Présente Nulle part ailleurs dont il est remercié brutalement comme il le raconte dans un livre La Peur bleue (Grasset).

1999-2004. Retrouve la radio de ses débuts Europe 1.

2001-2011. Présente de nombreux magazines sur France 2 dont Campus et Esprits libres.

2009. Rejoint Radio Classique.

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