Portrait

Pigiste au Elle à ses débuts, elle a fini par en prendre la tête… sans prise de tête apparente. Portrait d‘une Champenoise devenue l’incarnation de la Parisienne.

C’est dans l’appartement qu’elle loue près du Luxembourg que Véronique Philipponnat nous reçoit. À rebours des codes control freak en vigueur. Troisième étage sans ascenseur. Un blanc mat recouvre les hautes poutres anciennes et s’égaie de touches bleu canard signées Sarah Poniatowski. La décoratrice d’intérieur est l’une de ses amies. Elle a signé sous sa direction Ainsi soit style, Les secrets du chic parisien (éditions de La Martinière et Fayard). Un livre astucieux à l’image de notre hôte.

Pour faire son portrait, le photographe se faufile dans cette cuisine-salle à manger-salon joliment agencée. Une photo de Patti Smith domine la bibliothèque qui recouvre tout un mur : Marcel Proust voisine avec la collection de littérature érotique éditée par Le Monde et illustrée par Nathalie Rykiel. L’éclectisme est la signature de cette bonne vivante qui se refuse à boire du champagne, alors que le breuvage de la région éponyme fait la gloire et la fortune de sa famille depuis 1522. « J’en ai trop bu, peut-être », s’amuse celle qui reprend à son compte la définition du luxe de Jean-Louis Dumas, ancien dirigeant du groupe Hermès : « “C’est ce qui se répare”, disait-il. Mais aujourd’hui, c’est aussi avoir du temps et savourer des expériences uniques, que proposent de plus en plus de marques à leurs clients. Dans le Elle, le luxe, c’est avoir du style, savoir mixer une pièce haut de gamme avec un bon marché basique », lance-t-elle en forme d’autoportrait.

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Bac en poche, elle a quitté sa Champagne pour débarquer à Sciences Po Paris. Et avoue en avoir été éjectée après l’année préparatoire. Mais l'étudiante se régale en fac de lettres modernes à la Sorbonne. Spécialisée en stylistique, elle décortique dans son mémoire de M2 le discours d’Ariane dans Belle du Seigneur, d’Albert Cohen. Elle rêve de travailler dans l’édition. Elle lance ses filets vers Gallimard et Flammarion où elle effectue des stages. Le fil se noue autour de Brigitte Genestar, la femme d’Alain Genestar, alors patron du Journal du Dimanche. Il la prend en stage puis en piges. « J’aimais bien écrire et l’ambiance de la rédaction m’a plu », affirme-t-elle. Véronique Philipponnat se retrouve à appeler dans les vestiaires des stades de foot pour avoir des réactions à chaud, les soirs de bouclage. Elle délie aussi le fil de sa plume en culture, pige dans 20 ans et Beaux Arts.

En 1989, elle signe ses premiers papiers dans Elle. L’osmose fonctionne avec cette mère de deux filles de 27 et 23 ans qui se reconnaît « impatiente, énergique, curieuse et toujours de bonne humeur ». Elle y tisse sa toile et en devient rédactrice en chef puis de directrice adjointe de la rédaction : « Ce journal a un ADN qui mêle luxe, mode, beauté, grands photographes et sujets de société. Il veut faire rêver, informer et rendre service à sa lectrice, qui a en moyenne 44 ans ». Remerciée dans la foulée du départ de Valérie Toranian, alors directrice de la rédaction, elle s’offre une courte formation de management à Stanford. Et monte ensuite sa boîte de com pour marques de luxe. « Je me suis beaucoup amusée à observer leur politique de communication et à comprendre comment une marque s’adresse à sa clientèle », lâche-t-elle.

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En 2019, les patrons de Reworld Media lui proposent de diriger Grazia, racheté à Mondadori. Elle dit avoir appris de cette expérience. « Pascal Chevalier et Gautier Normand [patrons de Reworld Media] ne viennent pas de la presse mais du digital, où ils sont très puissants. Mais ils ne savent pas opérer le luxe. Et leur priorité n’est pas la qualité éditoriale », décrit-elle. L’hebdo, qui n’a jamais trouvé sa rentabilité depuis son lancement, est suspendu pendant le confinement avant de devenir un trimestriel haut de gamme. Trente et un salariés sont licenciés dont seize dans le journal.

En 2021, elle rebondit chez Elle par l’entremise de Denis Olivennes, ancien dirigeant de Lagardère et compagnon de son amie Inès de la Fressange. Il la met en relation avec Étienne Berthier, à la manœuvre chez CMI Media. « J’y suis allée sans conviction et j’ai été à nouveau mordue en cinq minutes. » Sa mission ? « Faire en sorte que Elle évolue avec les usages ». Donc imposer sur le digital la marque aux 295 829 exemplaires par semaine en DFP en 2021-2022 (-6,1 % sur un an). Et accroître la diversification. Mais elle avoue sans ambages quand on l’interroge sur la difficulté de son job : « C’est 90 % de management et 10 % de créativité. Ça fait partie du plaisir et des contraintes de ma mission. Il me revient de motiver les équipes, donner du sens à leur travail dans une presse écrite en décroissance et faire en sorte qu’ils soient heureux de travailler ». De quoi occuper cette femme qui se dit paresseuse mais assure que son hyperactivité est le meilleur remède pour combattre son mal. 

Parcours 

1985-1990. Lettres modernes à La Sorbonne.

1989. Premières piges à Elle.

2000-2015. Rédactrice en chef puis directrice adjointe de la rédaction de Elle

2015-2019. Crée son agence de consulting pour les marques de luxe Svp.agency.

2019. Directrice de la rédaction de Grazia.

2021. Directrice de Elle.

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