Depuis 2005, le média indépendant couvre les révoltes urbaines et donne la parole aux habitants des quartiers populaires. Le Bondy Blog a consacré une édition spéciale à cette nouvelle flambée de violence qui a secoué l'Île-de-France. Stratégies s’est rendu dans ses locaux basés en Seine-Saint-Denis.

Le rendez-vous hebdomadaire à ne pas manquer au Bondy Blog, dont les locaux se situent à Bondy, en Seine-Saint-Denis, c’est le mardi soir. De 19h15 à 21h, le média indépendant tient sa conférence de rédaction, qui est ouverte aux apprentis journalistes. Trente-cinq personnes étaient présentes à celle du mardi 4 juillet, la première depuis la flambée de violence qui a suivi la mort de Nahel, tué par un policier à Nanterre après un refus d’obtempérer, mardi 27 juin.

Arrivés deux heures avant la conférence de rédaction, nous sommes accueillis par des journalistes d’une vingtaine d’années et par Sarah Ichou, directrice du Bondy Blog, et Héléna Berkaoui, rédactrice en chef du média. Près du studio de podcast, nous y trouvons Fatoumata Koulibaly, en plein montage. « Je suis en train de dérusher un podcast d’une quinzaine de minutes que nous avons tourné cet après-midi à la rédaction. Avec mes collègues Thidiane, Nadhuir et Salimou, nous avons reçu deux jeunes - Aymen, 15 ans et Mohamed, 16 ans - pour recueillir leur témoignage sur leurs rapports avec la police. Ils nous expliquent que leurs liens sont cristallisés », explique la journaliste, casque sur les oreilles.

Une fois le montage finalisé, Sarah Ichou écoute attentivement la première pastille audio incarnée par Aymen, avant sa mise en ligne prévue aux alentours de 18h30. « Donner la parole aux premiers concernés, c’est notre travail au Bondy Blog, depuis 2005 », peut-on lire dans les posts de publication de l’épisode mis en ligne sur les comptes Instagram, Twitter et Facebook du Bondy Blog. Pour rappel, le média en ligne a été créé le 11 novembre 2005, à la suite des révoltes urbaines qui ont suivi la mort de deux adolescents, Zyed Benna et Bouna Traoré, en octobre 2005 à Clichy-sous-Bois, électrocutés dans un transformateur électrique dans lequel ils s'étaient cachés pour échapper à un contrôle de police.

Passage en édition spéciale

Depuis la mort de Nahel le 27 juin dernier, le Bondy Blog a basculé en édition spéciale. Mais le premier jour des faits, les choix éditoriaux de la rédaction ont été mesurés. « Notre média est attendu sur la façon dont nous allons retracer le récit et rapporter la parole des habitants. Nous devons aussi nous interroger sur notre valeur ajoutée », insiste Sarah Ichou. Ce jour-là, la rédaction a partagé une ancienne interview (datant de septembre 2022) de Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS. « Le spécialiste explique que l’augmentation du nombre d’homicides policiers ne peut s’expliquer par la simple hausse des refus d’obtempérer, contrairement à ce qu’affirment les syndicats de policiers », avait écrit Héléna Berkaoui, qui avait à l'époque recueilli les propos de l'expert.

Le 27 juin, le Bondy Blog n’a pas relayé la vidéo montrant le policier tirer sur Nahel, filmée par un habitant. Dès le mercredi 28 juin, trois articles ont été publiés. Le premier d'entre eux a fait l'objet d'un post post Instagram illustré par une capture d'écran de la vidéo de la scène. « Depuis notre création en novembre 2005, la rédaction du Bondy Blog voit grandir la violence. Pour autant, la vidéo de la scène filmée par un témoin a été particulièrement choquante. De plus, nous sommes en train de parler de la mort d’un enfant, donc il est important en tant que journalistes de prendre en compte ces éléments-là », confie Sarah Ichou. 

« Un maillage territorial »

Au fil des jours, les journalistes et blogueurs ponctuels prennent la mesure de l’ampleur des événements. Nanterre, Sarcelle, Clichy-sous-Bois, Strasbourg... Les équipes, qui échangent majoritairement sur WhatsApp, se rendent sur le terrain pour réaliser en priorité des reportages écrits. La ligne directrice ? Donner la parole aux habitants et notamment aux jeunes. La majeure partie des articles sont d’ailleurs titrés par une citation forte. « Quand on parle, ils ne nous écoutent pas, donc on se fait entendre autrement », titrent par exemple Sarah Ichou et Salimou Danfakha sur un article. « Habituellement, nous publions un papier par jour, l’équipe permanente n’étant composée que de cinq journalistes. Mais depuis une semaine, notre production a augmenté : jusqu’à trois papiers par jour, sans compter les partages sur nos réseaux sociaux, explique Sarah Ichou. La force du Bondy Blog, ce sont les remontées de terrain de nos blogueurs qui sont implantés principalement en Île-de-France, mais aussi dans d’autres régions. Et ce maillage territorial, il est enrichissant pour un média comme le nôtre », ajoute la directrice de la rédaction.

D’autres formats éditoriaux sont exploités par la rédaction, comme la photo avec citation pour le réseau social Instagram. « Une photo peut être plus impactante qu’un article, mais il est important d’ajuster le format selon l’actualité qui est couverte. Sur le terrain, beaucoup de personnes m’ont demandé de ne pas montrer leur visage et d’angler la photo au niveau de leurs pieds », rapporte Thidiane, journaliste et photographe au Bondy Blog, qui s’est rendu le mercredi matin à Nanterre dans le quartier Pablo-Picasso, là où résidait Nahel. « Sur place, nous avons senti une défiance des médias traditionnels, et plus largement de la presse généraliste, et ce, avant même qu'on se présente en tant que journaliste », ajoute Thidiane.

Au-delà des formats, le Bondy Blog mesure aussi le poids des mots. « Pour nous, le terme "émeute" est péjoratif car il animalise les personnes. Nous parlons plutôt de "révolte", car c’est un terme à caractère politique, et le sujet est politique », souligne la directrice de la rédaction.

Sarah Ichou et Héléna Berkaoui ont été sollicitées par divers médias français et étrangers, dont France 24 et le quotidien généraliste suisse Le Temps. « Il est nécessaire d’accorder une séquence médiatique aux révoltes urbaines, mais les quartiers ne doivent pas être traités que lorsqu’ils brûlent. Les habitants des quartiers doivent aussi être inclus dans d’autres sujets d’actualité, comme l’inflation par exemple », déplore Sarah Ichou.